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Full text of "Le Parnasse breton contemporain, publié par Louis Tiercelin & J.-Guy Ropartz"

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LE 


PARNASSE  BRETON 


CONTEMPORAIN 


Œuvres  je  Louis  Tiercelin  I  Je  J.-Huy  Ropartz. 


LOUIS    TIERCELIN 

POÉSIE 

Les  asphodèles. 

Primevère,  poème. 

L'oasis. 

Les  anniversaires. 

La  mort  de  Brizeux,  poème. 

Les  cloches,  poésies  (en  préparation). 

TnÉATRE 

L'occasion  fait  le  larron,  comédie  en  un  acte,  en 
vers  (épuisé). 

L'habit  ne  fait  pas  le  moine,  comédie  en  deux  actes, 
en  vers. 

MARauERiTE  d'Ecosse,  poème  dramatique  en  un  acte. 

Les  noces  du  croquemort,  comédie  en  un  acte,  en 
vers. 

L'heure  du  chocolat,  proverbe  en  un  acte,  en  prose. 

Un  voyage  de  noces,  drame  eu  quatre  actes,  en  vers 
(Odéon). 

Stances  a  Corneille,  (Comédie  Française). 

Corneille  et  Rotrou,  comédie  en  un  acte,  en  vers 
(Odéon). 

Le  rire  de  Molière,  à-propos  en  un  acte,  en  vers  (Co- 
médie Française). 

Amourettes. 

La  comtesse  Gendelettre. 


J.-aUY     ROPARTZ 


Ad.\oiettos,  poésies. 
Victor  Massé,  élude. 


LE 


PARNASSE  BRETON 


CONTEMPORAIN 


PUBLIÉ  PAR 


LOUIS   TIERCELIN  &  J.-GUY   ROPARTZ 


PARIS 

ALPHONSE   LEMERRE,   ÉDITEUR,   PASSxVGE   CHOISEUL 

RENNES 

llnn  CAILLIKRK,  ÉDITEUR,  PLACE  DU  PALAIS 

1889 


FEB  -7  '1957 


^8  S  7 
T5- 


Rennes,  le  lo  février  1889. 


Lorsque  l'idée  nous  vint,  à  J.-Guy  Ropartz  et  à  moi, 
de  réunir  en  un  volume  quelques-unes  des  œuvres  de 
nos  poètes  bretons  contemporains,  les  prévisions  les  plus 
favoraljles  sur  le  nombre  des  appelés  de  cette  anthologie 
s'étaient  arrêtées  à  une  trentaine  de  noms.  Nous  n'étions 
même  pas  sans  crainte  sur  le  succès  de  notre  tentative, 
dans  une  province  où,  selon  le  joli  mot  du  cardinal 
Saint-Marc,  rien  ne  prend  que  le  feu;  et  ce  fut  timidement 
que  nous  fîmes  appel  à  tous  les  poètes  nés  en  Bretagne 
ou  issus  de  parents  bretons.  Mais  bientôt  nous  étions 
rassurés  :  les  manuscrits  et  les  livres  nous  arrivaient  en 
grand  nombre  et  la  presse  de  Bretagne  nous  appuyait 
chaleureusement. 

«  Avez-Yous  des,  assimilés?  »  me  demandait,  un  jour, 
M.  de  la  Borderie  avec  quelque  malice  dans  le  sourire.  Et, 
comme  je  ne  paraissais  pas  très  fixé  sur  le  sens  de  ce 
vocable,  notre  savant  et  spirituel  historien  m'expliqua, 
toujours  souriant,  l'artitice  par  lequel,  dans  l'archéologie 
d'une  province,  —  pas  la  nôtre,  bien  certainement, — 
quand  une  époque  semble  pauvre  en  grands  hommes 
indigènes,  on  l'enrichit  par  l'adjonction  de  tous  ceux  qui 
ont  séjourné  ou  simplement  passé  dans  le  pays.  Il  sou- 
riait encore,  quand  je  lui  aftîrmai,  preuves  en  main,- que 
notre  Bretagne  poétique  contemporaine  pouvait  se  passer 
de  ces  assimilations. 

Donc,  tous  nés  en  Bretagne  ou  issus  de  parents  bre- 
tons. C'est  à  ce  dernier  titre  que  nous  avons  la  bonne 
fortune  de  pouvoir  ranger  parmi  nos  poètes  notre  maître 
Leconte  de  Liste,'  qui,  né  à  l'île  Bourbon,  se  rattache  à 
notre  province  par  les  origines  dinannaises  de  sa  famille. 


LE  parnassk  breton  contemporain. 


Nous  devons  signaler  pourtant  une  troisième  caté- 
gorie. S'il  était  autrefois  de  certains  pays  où  le  ventre 
anoblissait  et,  par  ce  beaic  privilège,  comme  dit  Molière, 
rendait  les  enfants  d'un  vilain  gentilshommes,  nous 
avons  pensé  qu'en  Bretagne  et  en  poésie,  cette  faveur  pou- 
vait être  étendue  jusqu'aux  pères.  Nous  avons  donc 
admis  ceux,  très  rares,  d'ailleurs,  qui,  nés  hors  de  notre 
province,  ont  établi  sur  notre  sol  cette  perpétuelle  de- 
meure dout  parle  le  Code,  s'y  sont  mariés  et  y  ont  fait 
souche  dcliretonà;  ceux-là  que  des  biographes  en  pénu- 
rie d'hununcs  illustres  appelleraient  des  acclimatés. 

Maintenu  dans  ces  limites,  le  volume  que  nous  pu- 
blions aujourd'hui  contient  les  œuvres  de  quatre-vingt- 
dix  élus. 

Élus  est  le  mot,  car  le  nombre  des  envois  a  été  consi- 
dérable et  nous  avons  dû  choisir.  Nous  l'avons  fait, 
croyons-nous,  avec  impartialité.  Sans  tenir  compte  de 
nos  sympathies  personnelles  ou  de  nos  préférences  d'é- 
cole, nous  avons  accueilli  les  vers  de  tous  les  poètes 
ayant  publié  un  volume  et,  parmi  les  inédits,  qui  nous 
semblaient  mériter  plus  de  sympathie  encore,  nous  avons 
inséré  tout  ce  qui  nous  a  paru  olfrir  un  intérêt.  Dans  les 
envois  de  chaque  poète,  nous  avons  pris  une  ou  plusieurs 
pièces,  sans  avoir  la  prétention  de  tenter  des  jugements 
littéraires  et  de  marquer  des  suprématies  dont  le  nombre 
de  vers  ou  de  pages  deLerminerait  l'ordre  et  la  mesure. 

L'ordre  d'iu.-.cription  nous  a  été  fourni  par  l'alphabet. 

Une  seule  dérogation  a  été  laite  [)our  Leconte  de  Lisle. 
Tous  comprendront  ce  témoignage  de  respect  bien  du  au 
Maitre  incontesté  autour  duquel  s'est  l'ait  le  mouvement 
de  rénovation  poétique  de  cette  tin  de  siècle,  et  dont  les 
poèmes,  d'une  inspiration  si  haute,  d'une  forme  si  pure, 
en  même  temps  qu'ils  sont  un  modèle  pour  tous  ceux  qui 
veulent  s'initier  a  l'art  des  vers,  demeureront  pour  les 
véritables  artistes,  loin  des  bassesses  et  des  banalités 
qui  les  assaillent,  le  refuge  sacré  des  rêves  tiers  et  des 
émotions  sereines. 

Et  SI  l'on  nous  demandait  compte  de  la  mesure  que 
nous  avons  faite  à  tel  ou  tel,  nous  pourrions  alléguer 
une  foule  d'excellentes  raisons  :  proportion  de  l'insertion 
avec  l'importance  de  l'envoi;  variété  dans  les  sujets  et  les 
rythmes;  des  considérations  typographiques  même.  Nous 


y  ajouterons  très  sincèrement,  dussions-nous  offenser 
les  personnes  graves,  l'aveu  d'un  peu  de  hasard,  d'un 
brin  de  fantaisie,  d'un  soupçon  peut-être  de  bon  plaisir. 

Nous  voulons  remercier  ici  tous  les  poètes  qui  ont 
répondu  avec  tant  d'empressement  à  notre  appel.  Notre 
idée  a  pris  comme  le  feu  et  notre  province,  parfois  si 
lente  à  s'émouvoir,  s'est  montrée,  cette  fois,  prompte- 
ment  et  de  tous  côtés,  sympathique  à  une  publication 
dont  personne  n'a  méconnu  l'intérêt. 

Cet  intérêt,  tous  pourront  en  juger  à  la  lecture  de  ce 
recueil  de  poésies  dont  les  sujets  sont  si  variés,  l'inspi- 
ration si  différente,  les  procédés  si  divers. 

Est-ce  donc  pour  le  seul  plaisir  de  réunir  tous  ces  étran- 
gers et  de  fixer  leurs  antilogies  que  nous  avons  fait  ce  livre  ? 

Nous  avons  espéré,  au  contraire,  que  de  cette  réunion 
fortuite  l'union  naîtrait  entre  ces  passionnés  du  même 
art;  qu'eu  apprenant  à  connaître  les  autres,  chacun  se 
jugerait  mieux;  qu'eu  groupant  les  poètes  sous  la  ban- 
nière de  Bretagne,  plus  de  sympathie  irait  vers  eux,  et 
que  l'etfort  de  plusieurs  pour  intéresser  la  critique  et  le 
public  serait  plus  fructueux  que  des  tentatives  isolées. 
Nous  avons  cru  ainsi,  faisant  œuvre  de  bons  Bretons, 
nouer  un  lien  solide,  favoriser  un  mouvement  utile,  pro- 
voquer des  jugements  sincères  et  profitables  et,  par  là, 
déterminer  un  progrès. 

Nous  avons  voulu  encore,  à  travers  tant  de  divergences 
apparentes,  témoigner  de  la  persistance  chez  nous  de 
l'idéalisme,  ce  irait  caractéristique  de  la  race  bretonne  , 
si  bien  noté  par  E.  Renan  dans  ses  Souvenirs. 

En  parcourant  ces  nombreux  volumes  de  vers,  presque 
tous  d'une  forme  parfaite  et  raffinée,  qui  paraissent  de- 
puis quelques  années  et  attestent  une  habileté  rare,  dont 
les  secrets  s'apprennent,  assez  rapidement  d'ailleurs,  dans 
les  différents  petits  clans  poétiques  de  Pans,  nous  pen- 
sions à  un  joli  quatrain  que  notre  poète  Joseph  Rousse 
adresse  à  un  confrère  sceptique  : 

En  fixrint  mon  i^egard  sur  les  vitres  glacées 
Qu'argentaiL  un  rayon,  je  songeais  à  tes  vers: 
Ils  sont  comme  un  tissu  de  brillantes  pensées; 
Mais  j'aurais  bien  voulu  voir  le  ciel  au  travers. 

Et,  nous  aussi,  nous  avions  le  désir  d'une  poésie  moins 


IV  LE    PARNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 


pleine  de  choses  brillantes,  moins  faite  d'après  les  recettes 
de  la  mode  actuelle,  plus  sincère,  plus  spontanée,  ayant 
la  franche  saveur  de  ce  pays  où  le  barde  chante  sii?^  le 
seuil  de  sa  porte';  une  poésie  à  travers  laquelle  on  verrait 
encore  le  ciel,  ce  ciel  breton  aux  nuages  mélancoliques, 
où  le  rossignol  de  nuit  et  l'alouette  matinale  ont  des  ra- 
mages si  doux. 

C'est  cette  même  impression  que  Jules  Simon  exprimait 
récemmentd'une  manière  si  pittoresque  en  tête  àQ^Poèmes 
Bretons  de  M.  G.  Boisson  :  Je  ne  sors  jamais  de  l'Opéra 
sans  penser  que  je  serais  bien  heureux  d'entendre  icn  air 
de  biniou. 

Et  nous  aussi  nous  souhaitions  de  l'entendre,  cette 
simple  mélodie  où  peut  vibrer  toute  l'àme  bretonne. 

Nous  pensions  qu'elle  existait  toujours,  cette  âme  poé- 
tique de  nos  bardes,  de  nos  évêques  et  de  nos  mendiants 
d'autrefois,  et  qu'elle  pouvait  inspirer  encore  des  gioerz 
héroïques,  de  jolis  sônes,  des  poèmes  vibrants,  de  suaves 
cantiques,  des  légendes  radieuses. 

Le  dragon  rouge  n'a  pas  écrasé  toutes  nos  bruyères  ; 
la  ileur  d'or  ileurit  toujours  aux  landiers. 


Les  chansons  d'autrefois,  toujours  nous  les  chantons; 
Non,  nous  ne  sommes  pas  les  derniers  des  Bretons. 


Mais  cette  âme,  éparse  en  tous,  flottante  sur  toute 
chose,  serait-il  donné  à  quelqu'un  des  nôtres  de  l'incar- 
ner en  lui,  de  la  répandre  dans  ses  vers  ? 

Où  sont  tes  fils,  ô  Gwenc'hlan,  barde  des  grandes 
colères?  Où  sont  tes  Tiloer,  bon  saint  Hervé,  roi  des  chan- 
teurs? Où  sont  tes  élèves  ,  maître  Brizeux?  N'est-il  plus 
un  Gwion  pour  boire  l'eau  magique  du  vase  qui  contient 
la  toute  science!  Est-elle  perdue,  la  coupe  de  cristal-,  si 
brillante  qu'elle  est  un  flambeau;  la  coupe  pleine  d'une 
liqueur  si  merveilleuse  qu'une  goutte  seule  rendrait 
aussi  savant  que  Dieu!  Ne  se  lèvera-t-il  pas  quelqu'un 
pour  aller  détacher,  au  chevet  du  lit  de  Merlin,  la  harpe 
que  retiennent  quatre  chaînes  d'or  pur?  N'en  ycra-t-il 
pas  un  seul,  i)arnii  ceux  qui  ont  sucé  le  lait  d'une  Bre- 


1.  J.-M.  l.LziiL,  Breiz-Izell. 

2.  La  Ville.\iarqué.  Introductiou  du  Barzaz-Breiz 


PREFACE. 


tonne,  ce  lait  plus  sain  que  du  vin  vieux,  qui  chantera 
assez  liant  sa  chanson  pour  qu'on  l'écoute. 

Ce  n'est  pas  à  nous  de  dire  s'ils  ont  eu  des  héritiers 
chez  nous,  les  Taliesin,  les  Sulio,  les  Hyvarnion,  ces 
insulaires  que  MM.  A.  de  la  Borderie  et  J.  Loth,  qui  furent 
les  historiens  des  émigrations  bretonnes,  donneraient, 
je  l'espère,  au  moins  pour  patrons  à  nos  acclimatés. 

Ce  n'est  pas  à  nous  de  dire  si  le  mouvement  poétique, 
qui  avait  animé  la  première  moitié  de  ce  siècle  en  Bre- 
tagne avec  Brizeux,  Turquety,  H.  du  Pontavice,  Boulay- 
Paty,  H.  de  la  Morvonnais,  M.  Hippolyte  Violeau  et  tant 
d'autres,  pourrait  être  réveillé  de  nouveau.  L'ardente  ima- 
gination des  Souvestre  et  des  Féval  n'a-t-elle  brillé  un 
moment  que  pour  s'éteindre  à  jamais? 

Nous  avons  voulu  seulement  noter  ces  chants  que 
nous  entendions  autour  de  nous.  «  Les  couplets  se  ré- 
pondent de  7^ocUe  en  roche;  les  vers  voltigent  dans  l'air 
comme  les  insectes  du  soir  ;  le  vent  vous  les  fouette  au 
visage  par  bouffées,  avec  les  parfums  du  blé  noir  et  du 
serpolets  »  Nous  avons  voulu  cueiUir  ces  fleurs  de  la 
lande  bretonne  que  chante  le  kloarek  triste  d'amour,  et 
nous  les  aimons  : 

Et  cette  fleur-là,  c'était  une  fleur  de  mélancolie  ;  elle  en- 
tra dans  mon  cœur,  et  depuis  il  est  malaisé  de  l'en  arracher. 

Qu'on  nous  accuse  de  complaisance  et  de  naïveté  pour 
avoir  cru  dans  la  magie  de  ces  mots  qu'on  dit  vides  et  de 
ces  choses  qu'on  prétend  mortes  :  idéalisme,  mélancolie, 
poésie,  BretagQc!  N'importe!  nous  avons  pour  nous  le 
vieux  proverbe  :  Le  roitelet  aime  toujours  les  toits  de 
chaume  où  il  est  né  et  la  voix  de  ses  frères. 

Et  quoique,  depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  nos 
plus  grands  poètes,  Gliàteaubr-iand,  Lamennais,  Renan, 
aient  été  des  poètes  en  prose,  on  comprendra  qu'il  soit 
permis  à  ceux  qui  aiment,  d'un  amour  malheureux  peut- 
être,  la  Bretagne  et  la  poésie,  de  dire  leur  chanson,  tout 
de  même,  pareille  à  celle  des  oiseaux  à  la  cime  des  arbres, 
chaciDi  sa  chansonnette,  chacun  à  sa  manière  ;  et  puis- 
sent-ils charmer  votre  esprit  et  réjouir  votre  cœur  ! 

11  y  a  dans  la  vie  de  saint  Lunaire^  un  ravissant  épi- 

1.  E.  Souvestre,  Les  Derniers  Bretons. 

2.  Saint-Lunaire,  son  histoire,  son  église,  ses  monuments,  par  A.  de 
LA  Borderie. 


VI  LK    I'AHNASSI':    ItllKTON    (;ONTK.\llM»UÀlN. 


sode.  Sur  la  côte  sauvage  où  ils  avaient  abordé,  le  saint 
évèque  et  ses  moines  étaient  obligés  pour  vivre  de  chas- 
ser et  de  pêcher;  cette  occupation  et  cette  nourriture  leur 
semblaient,  ajuste  raison,  peu  monastiques;  mais  la  faim 
était  leur  excuse. 

Un  jour  que  Lunaire  était  à  genoux  dans  la  forêt,  priant 
Dieu  de  lui  venir  en  aide,  un  petit  oiseau  vint  se  poser 
près  de  lui ,  portant  dans  son  bec  un  épi  de  blé.  Ce  fut 
une  lueur  pour  le  saint  homme.  Du  blé  !  Il  y  en  avait 
quelque  part  aux  environs  !  Vite,  il  appelle  un  de  ses  frères 
et  commande  à  l'oiseau  de  les  conduire  à  l'endroit  où  il 
avait  becqueté  cet  épi.  L'oiseau  vole,  les  moines  le  suivent 
et  ils  arrivent  à  une  clairière  où  reluisait  au  soleil  un  long 
champ  de  froment,  dernier  vestige  d'une  culture  an- 
cienne, et  qui,  depuis  la  disparition  des  premiers  habi- 
tants, s'était  ressemé  de  lui-même.  Quelle  joie  ce  fut  pour 
les  deux  frères  et  quel  cantique  la  communauté  dut  en- 
tonner au  retour  pour  remercier  Dieu  de  ce  miracle! 

Ne  pouvons-nous  pas  dire  aussi,  Ropartz  et  moi, 
qu'ayant  recueilli  l'épi  de  blé  du  petit  oiseau,  nous  avons 
voulu  conduire  nos  lecteurs  vers  la  clairière  où  surgit 
la  moisson  abondante.  Si,  guidé  par  nous,  quelqu'un  y 
trouve  son  poète,  il  pourra  lui  demander  toute  sa  récolte, 
dont  nous  avons  donné  seulement  quelques  bons  grains. 

Poète  et  lecteur  nous  diront  merci  ;  nous  n'en  deman- 
dons pas  davantage. 

LOUIS  TIERGELIN. 


Chargé,  en  l'absence  de  mon  ami  J.-Guy  Roparlz,  de  la 
révision  des  épreuves,  j'ai  cru  devoir,  au  dernier  instant, 
hillcr  les  dédicaces  beaucoup  trop  nombreuses  et  surtout  trop 
flalleuses  que  j'avais  acceptées  d'abord.  Mes  amis  apprécie- 
ront le  sentiment  de  discrétion  ([ui  m'a  guidé  et  me  gaide- 
roni  pour  leurs  livres  ces  témoignages  de  sympathie  qu'il  m'a 
paru  impossible  de  me  décerner  à  moi-même.  Si  j'ai  lait  une 
exception ,  c'est  qu'en  ce  cas  je  n'étais  pas  seul  en  cause  ; 
elle  est  de  celles  que  tout  le  monde  comprendra. 

L.  T. 


CHAKLIiS  LECONTE  DE  USEE 


LE  VASE 


REÇOIS,  pasteiiï'  des  boucs  et  des  chèvres  frugales, 
Ce  vase  enduit  de  cire ,  aux  deux  anses  égales. 
Avec  l'odeur  du  bois  récemment  ciselé 
Le  long  du  bord  serpente  un  lierre  entremêlé 
B'hélichryse  aux  fruits  d'or.    Vue  main  ferme  et  fine 
A  sculpté  ce  beau  corps  de  femme.,  œuvre  divine.^ 
Qui,  du  péplos  ornée  et  le  front  ceint  de  fleurs. 
Se  lit  du  vain  amour  des  amants  querelleurs . 
Sur  ce  roc  oii  le  pjied  parmi  les  algues  glisse, 
Traînant  un  long  filet  vers  la  mer  glauque  et  lisse, 
Un  pêcheur  vient  en  hâte;  et,  bien  que  vieux  et  lent, 
Ses  yyiuscles  sont  gonflés  d'un  effort  violent. 
Une  vigne,  non  loin,  lourde  de  grappes  mûres , 
Ploie;  un  jeune  garçon,  assis  sous  les  ramures. 


VI II  LE    PARNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 


La  f/arcle  ;  deux  renards  arrivent  de  côté 
Et  manr/ent  le  raisin  par  le  pampre  abrité, 
Tandis  que  l'enfant  tresse,  avec  deux  pailles  frêles 
Et  des  brins  de  jonc  vert,  un  piège  à  sauterelles. 
Enfin,  autour  du  vase  et  du  socle  Dorien 
Se  déploie  en  tout  sens  l'acanthe  Corinthien. 


J'ai  reçu  ce  chef-d'œuvre,  au  prix,  et  non  sa?is  peine, 
D'an  (p'a)id  frouKu/e  frais  rt  d'une  chèvre  pleine. 
H  t'st  à  toi,  bcr(/er,  dont  les  cJuints  sont  plus  doux 
Qu'une  fujue  d'Aigile  et  rendent  Pau  jaloux. 

(Poèmes  antiques.) 


LA    MOliT  DU  SOLEIL 


LE  veut  d'anlouitie,  aux  bruits  lointains  des  mers  pareil, 
Plf'in,  d'adieux  solcu/wls,  dr  plaintes  inconnues, 
lidlana-  trislrnivnt  le  long  des  avenues 
Les  lourds  massifs  /■tt////is  de  ton  sang,  ù  soleil  ! 

Iji  /riiiltr  m  lourbillons  s'rnvole  par  les  nues; 

7:7  l'ou  voit  osciller,  dans  un  fleuve  vermeil, 

A  ux  approches  du  soir,  inclinés  au  sommeil, 

Dr  (p'uuds  nids  teiutsjlr pourpre  au  bout  des  brandies  nues. 


CHARLES    LECONTE    DE    LISLE.  IX 

Tombe,  astre  glorieux,  source  et  flambeau  du  jour! 
Ta  gloire,  en  uappes  d'or,  coule  de  ta  blessure, 
Com.me  d'un  sein  puissant  tombe  un  suprême  amour. 

Meurs  donc,  tu  renaîtras!  L'espérance  en  est  siire. 
Mais  qui  rendra  la  vie  et  la  flamme  et  la  voix 
Au  cœur  qui  s'est  brisé  pour  la  dernière  fois? 

(Poèmes  barbares.) 


LES  ROSES  D'ISP  AH  AN 

LES  roses  cVIspahan^  dans  leur  gaine  de  mousse, 
Les  jasmins  de  Mossoid,  les  fleurs  de  l'oranger 
Ont  un  parfum  moins  frais,  ont  une  odeur  inoins  douce, 
0  blanche  Leilah  !  que  ton  souffle  léger. - 


Ta  lèvre  est  de  corail,  et  ton  rire  léger 

Sonne  mieux  que  l'eau  vive  et  d'une  voix  plus  douce, 

Mieux  que  le  vent  joyeux  qui  berce  l'oranger. 

Mieux  que  l'oiseau  qui  chante  au  bord  du  nid  de  mousse. 

Mais  la  subtile  odeur  des  roses  dans  leur  mousse, 
La  brise  qui  se  joue  autour  de  l'oranger, 
Et  l'eau  vive  qui  fine  avec  sa  plainte  douce 
Ont  un  charme  plus  sûr  que  ton  amour  léger  ! 


LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


O  Leilah  !  depuis  que  de  leur  vol  léger 
Tous  les  baisers  ont  fui  de  ta  lèvre  si  douce. 
Il  n'est  plus  de  parfum  dans  le  pâle  oranger. 
Ni  de  céleste  arôme  aux  roses  dans  leur  mousse. 

L'oiseau,  sur  le  duvet  humide  et  sur  la  7nousse, 
Ne  chante  plus  parmi  la  rose  et  l'oranger  ; 
L'eau  vive  des  jardins  n'a  plus  de  chanson  douce, 
L'aube  ne  dore  plus  le  ciel  pur  et  léger. 

Oh  !  que  ton  jeune  amour,  ce  papillon  léger, 
Reviemie  vers  mon  cœur  d'une  aile  prompte  et  douce, 
Et  qu'il  parfume  encore  les  fleurs  de  l'oranger. 
Les  roses  d'Ispahan  dans  leur  gaine  de  mousse. 


LE  PARFUM  IMPERISSABLE 

QUAND  la  fleur  du  soleil ,  la  rose  de  Lahor, 
De  S071  âme  odorante  a  rempli  goutte  à  goutte 
La  fiole  d'argile,  ou  de  cristal,  ou  d'or. 
Sur  le  sable  qui  brûle  on  peut  l'épandre  toute. 

Les  fleuves  et  la  mer  inonderaient  en  vain 
Ce  sanctuaire  étroit  qui  la  tint  enfermée  : 
Il  garde  en  se  brisant  son  arôme  divin. 
Et  sa  poussière  heureuse  en  reste  parfumée. 


CHARLES    LECONTE    DE    LISLE.  XI 

Puisque  par  la  blessure  ouverte  de  mon  cœur 
Tu  t'écoules  de  même,  ô  céleste  liqueur, 
Inexprimable  amour,  qui  m'enflammais  pour  elle  ! 

Qu'il  lui  soit  pardonné,  que  mon  mal  soit  béni! 
Par-delà  l'heure  humaine  et  le  temps  infini, 
Mon  cœur  est  embaumé  d'une  odeur  immortelle  l 


M 


LA   MAYA 


AYA  !  Maya!  torrent  des  mobiles  chimères. 
Tu  fais  jaillir  du  cœur  de  l'homme  universel 
Les  brèves  voluptés  et  les  haines  amères. 
Le  monde  obscur  des  sens  et  la  splendeur  du  ciel  ; 
Mais  qu'est-ce  que  le  cœur  des  hommes  éphémères, 
0  Maya,  sino?i  toi,  le  mirage  immortel? 
Les  siècles  écoulés,  les  minutes  prochaines , 
S'abîment  dans  ton  ombre,  en  un  même  moment. 
Avec  nos  cris,  ?}os  pleurs  et  le  sany  de  nos  veines  : 
Éclair,  rêve  sinistre,  éternité  qui  ment, 
La  vie  antique  est  faite  inépuisablement 
Du  tourbillon  sans  fin  des  apparences  vaines. 

(Poèmes  tragiques.) 


;ia'ii'''mii'!imi|,îit,|tiiii|l!ilftm 

m^  mr^    .5S;9-,^lMN-.r--S2ir-_     Mi»/    A^>    ..-"^  ^^-ry<3.  .^^     -^^<r>l/£^'S 


CHARLES  BAUDE  DE  MAURCELEY 


LES  VIEUX  AMIS 


A  Georges  Lorin. 


QUAND  la  ueige  des  ans  aura  blanchi  nos  tètes, 
Assis  au  coin  du  feu,  décrépits  et  voûtés. 
Loin  de  tous,  las  du  monde  et  de  ses  vanités, 
Ami,  nous  parlerons  de  nos  vieilles  conquêtes. 

Nous  ne  fumerons  plus  ;  nos  goûts  seront  honnêtes , 
Et  nos  cœurs  engourdis  par  les  infirmités, 
Nos  vieux  cœurs  impuissants,  à  jamais  désertés. 
Ne  connaîtront  plus  rien,  ni  les  deuils,  ni  les  fêtes  ! 

L'àg-e  anéantira  les  rêves  d'avenir 

Et  nous  ne  vieillirons  que  pour  nous  souvenir, 

Contents  si  le  passé  laisse  une  cicatrice  ! 

En  buvant,  sans  plaisir,  une  tasse  de  thé, 
Nous  attendrons  l'instant  où  la  mort  bienfaitrice 
Roulera  nos  fauteuils  jusqu'à  l'éternité  ! 


LE  PARNASSK  BRETON  CONTEMPORAIN. 


SOUVENANCE 

A  Mademoiselle  Marie  M*** 

JE  la  vis  une  fois.  —  (Vêtait...  près  de  Paris  : 
Blonde,  d'un  blond  cendi'é.  Les  yeux  bleus,  d'un  bleu  gris. 
Le  profd  régulier  des  Beautés  disparues... 
Sa  démarcbe  superbe  est  rare  dans  les  rues... 
Une  robe  très  simple  :  un  point  bleu  sur  du  blanc. 
Puis,  un  large  chapeau  d'un  tour  leste  et  galant. 
Pas  d'ombrelle  à  la  main  ;  mais  des  fleurs...  quelques  roses. 
Un  rayon  de  soleil  enrubannait  ces  choses. 
Les  grands  arbres  du  parc,  la  fierté  du  château. 
Mettaient  tout  autour  d'EUe  un  décor  de  \Yatteau. 
Rien  de  plus  ravissant  que  cette  jeune  fille 
Que  suivait,  d'un  œil  dou.v,  un  groupe  de  famille... 
Je  l'admirai  longtemps,  sans  vouloir  lui  parler, 
Comme  si,  vision,  elle  eût  pu  s'envoler! 
Des  oiseaux  s'adoraient,  tout  là-haut,  dans  les  branches. 
Et  ses  yeux,  grands  ouverts,  images  de  pervenches, 
Suivaient  pensivement  les  gaîtés  des  oiseaux... 
Un  étang,  près  de  là,  dormait  dans  ses  roseaux. 

Après-midi' d'été Fleurs  d'amours,  fleurs  de  flammes, 

Tout  germait  sous  le  ciel,  sur  terre  et  dans  le>  Ames. 
La  Vie  était  concjuise  et  le  Rêve  courait 
Du  parc  à  la  pelouse  et  du  lac  en  forêt. 
Le  grand  livre  (hi  monde,  ù  i^ature  r;  vie, 
Entr'ouvrait  une  page  heureuse  de  la    ie... 
Quand  le  soleil  tomba  derrière  les  coteaux. 
Laissant  un  éclat  rouge  aux  vitres  des  châteaux, 
(-oiiiiuc  1111  lrès,i:raiul  srigneur  jelle  Toi- au  passage, 
Ma  compagne,  lixant  des  Heurs  à  son  corsage, 


CHAULES    PALIUE    1)K    MAURCELEY, 


Reprit  le  grand  chemin  qui  menait  au  perron 

De  l'élégant  manoir.  Là,  lierre  et  liseron 

Flanquaient  d'ornements  vifs  les  granits  de  vingt  marches 

Et,  dans  le  vestibule  ouvragé  sous  des  arches, 

Elle  s'enfuit,  légère,  en  chantant  un  vieil  air, 

Un  lambeau  de  chanson  très  douce,  en  rythme  clair... 

A  table,  on  nous  plaça  l'un  à  côté  de  l'autre... 

(Je  n'aurais  pas  donné  ma  place  pour  la  vôtre). 

Je  regardais  ses  mains,  sa  nuque  et  ses  cheveux, 

En  me  disant  :  «  C'est  bien  la  femme  que  je  veux.   » 

Nous  avons  quelquefois  de  ces  cris  dans  nos  êtres  ; 

Souvent,  il  nous  suffit,  aux  balcons  des  fenêtres, 

Aux  bords  d'une  avant-scène,  au  détour  d'un  chemin, 

D'entrevoir  un  bonheur,  perdu  le  lendemain! 

Un  frôlement  de  robe,  un  regard,  un  sourire, 

Nous  donnent  quelquefois  l'occasion  d'écrire. 

Un  rien  peut  nous  livrer  au  rêve  le  plus  fou... 

En  voulant  trop  monter,  nous  nous  cassons  le  cou. 

C'est  l'histoire  du  monde  en  un  instant  vécue  : 

L'àme  rêve  un  triomphe  et  la  bête  est  vaincue  ! 

Tout  s'efface  à  la  fois  :  image,  amour,  espoir  ; 

Le  Matin  n'est  qu'un  rêve  et  nous  tombons  au  Soir, 

Au  Soir  anéanti  des  voûtes  sans  étoiles, 

Au  Soir  décourageant  des  tristesses  sans  voiles. 

Nous  nous  enténébrons  en  nous  retrouvant  seul, 

Et  le  lit  qui  nous  prend  a  des  airs  de  linceul... 

Avez-vous  éprouvé  cet  effet  magnétique 

Qui  veut  qu'en  rencontrant,  par  quelque  jour  mystique, 

Une  femme  inconnue,  au  regard  attirant, 

Vous  ressentiez,  soudain,  le  charme  d'un  courant? 

On  voudrait  la  poursuivre  et  lui  dire  ces  choses 

Qui  naissent  galamment  des  passions  écloses  ; 

Mais  la  femme  est  partie  et  le  rêve  est  brisé  : 

Vous  avez  tout  perdu  pour  n'avoir  point  osé. 


•i  LE    PARN.VSSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 

«  Ton  honneur  était  là!  »  dit  une  voix  secrète... 
Et  Fespoii'  de  votre  ànie,  en  cet  instant,  s'arrête. 

Donc,  nous  étions  à  table,  et  je  prenais  plaisir 

A  guetter  dans  ses  yeux  le  plus  petit  désir... 

Je  lui  disais  les  riens  dont  s'occupe  le  monde, 

Accrochant  mes  regards  à  ses  cheveux  de  blonde... 

Elle,  d'un  esprit  net,  chercheur,  original. 

Mettait  un  tour  savant,  coquet  et  virginal, 

A  ces  menus  propos  qui  remplissent  la  vie 

Et  qui  font  d'un  désert  une  route  suivie, 

Tandis  qu'autour  de  nous  on  causait  gravement 

Des  devoirs  négligés  par  le  gouvernement... 

De  grands  agriculteurs  parlaient  littérature , 

Et  des  littérateurs  parlaient  agriculture  ! 

Des  tinanciers,  gainient,  causaient  du  cœur  humain, 

Tout  en  établissant  la  rente  de  demain. 

Les  femmes  discutaient  les  romans  à  la  mode  : 

Qui  n'aime  point  Zola,  de  Bourget  s'accommode. 

Et  qui  goûte  Flaubert  adore  Maupassant. 

Elles  jasaient  beaucoup,  —  cela  dit  en  passant. 

Le  seigneur  châtelain,  très  galant  avec  elles, 

Leur  décochait  parfois  d'aimables  bagatelles... 

Comme  le  voyageur,  sur  des  rochers  perdus, 

Jouit,  pour  un  moment,  d'échos  inentendus, 

Moi,  j'écoutais  toujours  la  fine  causerie 

De  ma  voisine  blonde.  Et  c'est  ma  rêverie 

Maintenant.  Je  reviens  à  ce  bon  souvenir  : 

Chose  de  mon  passé,  qui  ne  peut  revenir... 

L;i  lin  de  l'aventure,  hélas!  était  prévue. 

x^()us  nous  sommes  quittés.  Je  ne  l'ai  pas  revue, 

Et  depuis,  je  le  sens,  mon  cœur  en  est  épris... 

Je  ne  la  vis  qu'un  jour.  C'était...  près  de  Paris. 


(C 


FRANÇOIS  BAZIN 


PREMIERE   COMMUNION 


A  ma  Fille. 


Comme  une  aube  de  mai  de  fraîcheur  tout  empreinte, 
Comme  un  lis  reflétant  la  pureté  des  cieux , 
Gomme  une  vision  douce,  aug-élique  et  sainte, 
Tu  m'apparais,  ma  fdle,  en  ce  jour  radieux. 

Quel  est  donc  ce  mystère,  et  pourquoi  cette  larme 
Qui  de  mes  yeux,  enfant,  ce  matin  a  coulé; 
Et  pourquoi  dans  ton  cœur  cet  indicible  charme 
Qui  vaguement  peut-être  un  instant  l'a  troublé? 


Ah!  c'est  que  Dieu,  mon  ang-e,  est  entré  dans  ton  âme 
Pour  en  faire  à  jamais  un  asile  sacré; 
C'est  qu'en  toi  j'ai  vu  poindre  une  petite  femme. 
Et  c'est  pourquoi  je  songe  et  pourquoi  j'ai  pleuré. 

Ne  grandis   plus;  demeure  ainsi  toujours,  mignonne; 
Garde  pour  nous  et  Dieu  tous  tes  amours  d'enfant, 
Gardes-en  les  pensers  simples  et  l'âme  bonne, 
Gardes-en  la  gaité  qui  du  mal  te  défend. 


6 


LE    PARNISSK    BRETOTi    CONTEMPORAIN. 


Bien  des  jours  rayonnants  se  lèveront,  j'espère, 
0  ma  fille,  pour  toi  dans  l'avenir  clément; 
Mais  de  tous  tes  bonheurs ,  crois-en  l'aveu  d'un  père , 
Celui-ci  restera  le  meilleur  sûrement. 

C'est  que  la  joie  humaine  a  ses  lendemains   sombres , 
Que  toujours  le  revoir  est  proche  de  l'adieu; 
Seuls,  les  bonheurs  que  Dieu  nous  donne  n'ont  pas  d'ombres  ; 
Ma  fille,  mets  toujours  ta  joie  aux  pieds  de  Dieu. 

Reste  en  cette  clarté  sereine  où  je  t'ai  vue, 

Le  iVonl  !)aii;iié  d'aurore  et  h'S  yeux  pleins  de  ciel. 

Qui  Taisaient  (ju'on  eût  dit  détaché  de  la  nue 

Le  voile  où  tu  marchais  en  allant  à  l'autel. 


EDOUARD  BEAUFILS 


C 


LES  CLOCHES 

LOCHES  des  vieilles  tours,  cloches  crépusculaires, 
Pleurez  votre  souffrance  en  vos  robes  fêlées , 


Et  vos  gémissements  aux  calmes  envolées 
Berceront  nos  dédains,  nos  mépris,  nos  colères. 


Cloches,  cloches  du  soir,  cloches  mélancoliques, 
Vous  évoquez  l'effroi  d'enténèbrements  proches  : 
Le  chœur  des   trépassés,    ô  cloches,  pauvres  cloches^ 
Se  lamente  parmi  vos  frissons  métalliques! 

On  dirait,  dans  les  soirs  languissants  des  dimanches, 
Que  vous  vous  éteignez,  et  que  l'élan  des  brises 
Emporte  dans  son  vol ,  au-dessus  des  éghses , 
Avec  vos  derniers  chants,  des  âmes  toutes  blanches  1 


Mourez-vous  d'anémie  et  de  pùles  névroses, 
0  cloches!  que  vos  voix  sont  toujours  si  dolentes? 
A-t-il  neigé  sur  vous ,  ce  deuil  des  neiges  lentes 
Où  les  êtres  se  sont  effondrés,  et  les  choses? 


8  LE  PARNASSE  RRETON  CONTEMPORAIN. 


Vous  me  psalmodiez  je  ne  sais  quelles  plaintes 
Et  quels  vagues  sanglots,  veuves  inconsolées, 
D'amours  ensevelis  sous  l'herbe  des  allées , 
De  rayons  disparus,  d'auréoles  éteintes. 

0  cloches!  vous  sonnez  d'étranges  agonies 
Pour  les  crucifiés  des  couchants  grandioses , 
Et  la  mort  du  soleil  nimbé  d'apothéoses 
Vibre  dans  votre  angoisse  en  larges  symphonies! 

Vous  sonnez  de  longs  glas  aux  lassés  de  la  vie, 
A  ceux  c[ui  n'ont  d'espoir  que  dans  la  tombe  seule , 
Et  qui  clament  la  mort,  rêvant  qu'on  enliuceule 
D'un  éternel  repos  leur  âme  inassouvie  ! 

Vous  sonnez  de  longs  glas  aux  jeunes  fiancées 

Qui,  dans  leurs  blancs  tombeaux  baignés  des  lunes  blanches, 

Songent  de  purs  hymens  et  de  fières  revanches 

Sur  l'insensible  mort  qui  les  a  terrassées  ! 

Vos  rythmes  lents,  pareils  aux  voix  des  vierges  pâles , 
Réveillent  dans  les  cœurs  les  souffrances  anciennes. 
Vous  les  remémorez  au  chant  de  vos  antiennes , 
Sur  des  rythmes  très  lents,  graves  comme  des  râles. 


Lentement,  lentement,  dans  la  nuit  souveraine, 
La  cloche  triste  épand  ses  notes  cristallines , 
Et,  des  vais  ignorés  au  sommet  des  collines. 
Ses  larmes  de  cristal  la  cloche  triste  égrène. 


EDOUARD    BEAUFILS. 


Et,  lasse  eiitiii ,  l'ayant  la  douleur  qui  la  liante, 
Elle  a  laissé  tomber  ses  battants  inutiles, 
Tandis  que  les  rumeurs  montant  du  sein  des  villes 
Etouffent  ses  derniers  soupirs  d'agonisante  ! 


SONNET 

A  Charles  Collin. 

NOUS  avons  tous  au  cœur  quelque  folle  chimère, 
Quelque  rêve  insensé  dont  le  désir  nous  mord, 
Et  nous  nous  épuisons  à  maudire  le  sort 
Qui  s'oppose  sans  cesse  à  l'illusion  chère. 

Et  nous  nous  lamentons  sur  l'existence  amère; 
Mais  nous  gardons  en  nous,  même  jusqu'à  la  mort. 
Cet  espoir,  renaissant  toujours  comme  un  remord. 
De  voir  enfin  fleurir  notre  rêve  éphémère. 

Fantôme  de  bonheur  sans  trêve  poursuivi , 
Combien  t'ont  pu  saisir?  Combien  l'ont  assouvi, 
Ce  désir  lancinant  d'un  idéal  qui  leurre? 

Oh!  quand  le  marbre  noir  pèsera  sur  nos  fronts. 
Seigneur,  est-ce  le  jour  où  nous  les  étreindrons. 
Ces  bonheurs  des  lointains  paradis  que  je  pleure? 


10         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


D 


SPES 

A  M.  V.  Basch. 

ANS  le  vol  large  et  blond  des  rythmes  éperdus . 
Le  poète  meurtri  va  calmer  sa  souffrance 
Et  puiser  du  cor  rage  à  la  vieille  espérance 
De  retrouver  là-haut  tous  les  Edens  perdus. 

Que  le  ciel  soit  vivant  ou  qu'il  soit  chose  morte, 
Que  le  bleu  firmament  auquel  nous  aspirons 
A^e  soit  qu'une  ironie  immense  sur  nos  fronts; 
Que  l'au-delà  soit  vide,  au  poète  qu'importe  I 

Qu'importe ,  puisqu'un  jour  l'espoir  a  dans  son  cœur 
Ouvert,  comme  au  hasard,  sa  floraison  féconde, 
Et  jeté  sous  ses  yeux  la  vision  d'un  monde 
Où  l'air  serait  moins  lourd  et  le  rêve  meilleur  ! 

Et  qu'il  soit  vérité,  ce  réveil,  ou  soit  leurre, 
Le  poète  altéré ,  las  désespérément , 
Boira  comme  un  suprême  et  saint  apaisement 
Dans  cet  espoir  lointain,  ne  duràt-il  qu'une  heure  I 


SONNET 

A   Ch.ii-l.'s  Saint-Mieux. 


SI  lu  te  s(!ns  atteint  des  modernes  névroses, 
l']t  si  ton  dés(;sp()ii'  est  encor  plus  profond  , 
Après  avoir  vidé,  sans  ci'ainte ,  jusqu'au  fond, 
('es  coupes  (pii,  de  loin,  ont  le  parfum  des  roses; 


EDOUARD    BEALFILS.  11 


Si  nos  vieilles  cités  où  stagnent  les  chloroses , 
Si  les  hommes  pervers  et  le  vain  bruit  qu'ils  font 
Ont  à  jamais  blasé  ton  cœur  qui  se  morfond, 
Impuissant  à  tromper  Tennui  des  jours  moroses; 

Fuis  courageusement  nos  villes  de  péché, 
Et  sans  te  souvenir  que  tu  fus  débauché . 
Cherche  l'apaisement  des  solitudes  hautes, 

Afin  qu'après  avoir,  dans  leur  sérénité , 
Endormi  ses  douleurs  comme  oublié  ses  fautes, 
l'on  âme  sans  frayeur  songe  à  l'éternité! 


PREMIER  soin 


C'ÉTAIT  le  jour  fatal  de  la  première  faute. 
La  vie  apparaissait  aux  pâles  voyageurs , 
Pénible  et  rude,  ainsi  qu'une  montagne  haute. 

Le  soir  venait  splendide,  et  ses  calmes  rougeurs 
S'épanchaient  à  travers  l'Eden  rempli  d'ivresses  ; 
Eve  était  prèsd'iVdam,  tous  deux  marchaient  songeurs. 

Eve  laissait  flotter  au  vent  ses  longues  tresses 
Qui  retombaient  sur  elle  avec  les  ondoiements 
Des  chevelures  vierges  d'ardentes  caresses. 

Adam,  sous  le  fardeau  des  destins  iucléments, 
N'admirait  plus  la  femme  en  sa  splendeur  première, 
Le  regard  plein  d'éclairs  et  d'éblouissements! 


12         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Autour  d'eux,  cependunt,  pâlissait  la  lumière, 
Les  clairs  rayonnements  s'éteignaient  dans  le  soir, 
Et  les  étoiles  d'or  entr'ouvraient  leur  paupière. 

Ainsi  que  des  parfums  montant  d'un  encensoir. 
Des  ombre'%  s'élevaient  lentement  dans  la  nue; 
Et  c'était  effrayant  et  lugubre  de  voir 

Les  formes  se  noyer  dans  la  nuit  inconnue. 

Le  ciel  se  remplissait  d'une  obscure  lueur 

Que  les  premiers  humains  n'avaient  pas  encor  vue. 

Et  blêmes ,  dans  l'atroce  attente  et  la  frayeur, 
Tous  deux,  comme  effarés  de  ces  métamorphoses 
Dont  le  mystère  étrange  épouvantait  leur  cœur. 

Rêvèrent  comme  on  rêve  au  long  des  soirs  moroses , 

Et,  sous  l'inaltérable  et  stellaire  clarté. 

Ils  versèrent  longtemps  des  larmes  sur  les  choses. 

0  les  pleurs,  les  premiers  pleurs  de  l'humanité! 


MARCEL  BÉLIARD 


AUX  POETES  BRETONS 

JE  suis  fils  de  marin  :  j'aime  la  mer  sauvage 
Qui  vibre  follement  sous  l'archet  du  Noroît, 
Et  la  vague  qui  vient,  balayant  le  rivage. 
Souffleter  le  rocher  dans  son  orgueil  de  roi. 

Je  suis  fils  de  Bretagne  !  0  mère,  le  breuvage 
Qui  sort  de  ta  mamelle  ardente,  c'est  la  foi, 
L'honneur,  l'amour  du  nid,  la  fierté,  le  courage, 
Et  tu  m'as  baptisé  chrétien,  digne  de  toi. 

Bardes  de  l'Océan ,  poètes  de  la  lande , 
Voulez-vous  un  joyeux  de  plus  dans  votre  bande? 
J'ai  dix-neuf  ans  à  peine  et  jamais  un  souci. 


Parmi  vos  nobles  chants  mon  bégaiment  détonne, 
Pardonnez-moi  !  le  nom  que  je  veux,  le  voici  : 
Le  plus  petit  follet  de  la  côte  bretonne. 


O^-^'i^'' 


\    ivi  |. 


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>.ri3^^/iî%Hc-i-,s^i 


'^:fidJ^.A.lA>-^^0^ 


HENRI  BERNÉS 


VIEILLESSE 


L'homme  disait  un  jour  à  la  Vieillesse  :  «  Arrière  ! 
Tu  fais  pencher  mon  front,  tu  fais  trembler  mes  pas  ; 
Ta  main  sèche  et  glacée  ouvre  sous  ma  paupière 
Une  source  de  pleurs  qui  ne  tarira  pas. 

Devant  mes  yeux  ton  aile  sombre  a  mis  un  voile 
Qui  ternit  la  splendeur  divine  du  matin. 
Les  regards  amoureux  dont  je  cherche  Tétoile 
Semblent  fuir  et  s'éteindre  au  fond  du  ciel  lointain. 

Je  suis  comme  le  tronc  dépouillé  d'un  vieil  arbre, 
Où  les  oiseaux  chanteurs  n'osent  plus  se  poser. 
Et  la  tombe  vers  moi  tend  ses  lèvres  de  marbre 
Quaiul  je  cheiche  un  baiser.  » 


Et  l'autre  répondit  :  «  Ta  blasphèmes.  Sois  juste, 
Cœui's  battants,  regards  fous,  longs  jjaisers,  chants  joyeux, 
('ela,  c'est  la  Jeunesse,  amoureuse  et  robuste. 
Et  c'est  bon  d'être  jeune...  et  c'est  beau  d'être  vieux. 


HENRI    IIERNKS.  15 

Ne  me  fuis  pas.  Car  je  suis  l'heure  solennelle 
Où,  dans  l'apaisement  du  soir  silencieux^ 
Parmi  les  visions  dont  s'emplit  ta  prunelle, 
La  blanche  Vérité  descend  du  haut  des  cieux  ; 

Où  semblent  s'entr'ouvrir,  dans  l'air  pâle  et  limpide, 
D'étranges  profondeurs;  où,  se  sentant  ailé, 
Ton  esprit  plus  léger  rêve  un  essor  splendide, 
Une  fuite  sans  lin  dans  l'abimc  étoile. 

Tout  grandit,  au  toucher  divin  du  jour  qui  baisse. 
Sur  les  yeux  qu'alourdit  l'approche  du  sommeil, 
Ses  rayons  veloutés  mettent  une  caresse , 
Plus  douce  qu'un  baiser  à  l'instant  du  réveil. 

La  paix  est  une  fleur  au  crépuscule  éclose. 
Viens.  Le  repos  est  bon,  même  au  bout  de  l'espoir. 
Viens  à  moi.  La  jeunesse  est  l'aube  ardente  et  rose; 
Moi,  je  suis  le  lever  de  l'étoile  du  soir.  » 


MORS,    VIT  A 

JE  vis  la  Mort  debout  dans  l'Univers,  marchant 
Comme  le  moissonneur  que  chaque  été  ramène, 
Et  qui  parfois,  couvant  du  regard  son  domaine, 
S'arrête  sur  sa  faulx  pour  tàter  le  tranchant. 

Elle  riait,  son  bras  implacable  fauchant 

La  profonde  forêt  des  épis  lourds  de  graine, 

Et  mêlait  à  son  rire  une  voix  surhumaine 

Qui  semblait  un  sanglot  et  qui  semblait  un  chant. 


16         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Un  vent  froid  et  muet  Ijalayait  le  champ  sombre. 
Tout  près  —  l'une  des  deux  de  l'autre  est-elle  l'ombre? 
La  Vie  au  clair  regard,  au  pas  jamais  lassé, 

Traversant  l'Infini  du  môme  geste  immense, 
Chaque  fois  que  la  faux  sifflante  avait  passé, 
Jetait  aux  sillons  nus  la  nouvelle  semence. 


SONNET 

A  Feyen-Perrin. 

QUAND  la  fille  des  eaux,  la  blonde  Aphrodite, 
Sur  l'écume  pareille  aux  corolles  écloses, 
Dans  le  rire  du  ciel  et  la  senteur  des  roses , 
Jaillit,  belle  de  grâce  et  de  divinité  ; 

Quand,  près  des  flots  muets ,  dans  la  sérénité 
Du  sommeil  et  le  frais  arôme  des  chairs  roses. 
Les  nymphes  s'endormaient,  les  lèvres  demi-closes, 
A  l'ombre .  après  le  bain,  aux  jours  brûlants  d'été  ; 

Ton  âme  errait  alors  dans  le  souffle  des  brises 
Qui,  frôlant  mollement  les  nudités  surprises. 
Gardaient,  comme  un  parfum,  le  reflet  des  couleurs  ; 

Et  la  forme  entrevue  au  vol  de  l'heure  brève, 
Dans  le  vent  de  la  mer  ou  l'haleine  des  fleurs, 
Charme  éternellement  le  regard  de  ton  Ilève. 


LÉON-L.  BERTIJAUT 


AU  POETE 

POÈTE,  enfant  chéri  de  l'éternelle  Attique, 
Toi  qui  souffres  le  plus  des  humaines  douleurs. 
Tu  caches  aux  regards  tes  tourments  et  tes  pleurs  ; 
Tu  fais  de  ton  sanglot  d'agonie  un  cantique. 

Immortel  primitif,  dans  ton  ;nne  ascétique 
Tu  vois  les  songes  bleus  crouler  sous  les  malheurs  : 
Et,  le  front  haut,  l'œil  sec,  superbe  en  tes  pâleurs, 
Tu  vas  résolument,  fier  sous  la  dalmatique. 

Si  parfois  tu  connais  louanges  et  parfums, 
N'as-tu  pas  le  regret  de  grands  amours  défunts? 
Ton  chemin  n'est-il  pas  un  chemin  de  calvaire  ? 


Cependant,  flagellé  du  rire  des  passants. 
Tu  chanteras  toujours,  ô  sublime  Trouvère, 
Ton  invincible  espoir  des  amours  renaissants. 


18         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


LA  REINE  MARGUERITE  A  DAMIETTE 


L'épouse  du  saint  roi,  retenant  le  sanglot, 
Sur  un  lit  de  douleurs,  solitaire,  est  couchée  ; 
Sa  tête  penche  :  telle,  une  fleur  desséchée 
Que  l'ûpre  vent  du  nord  effeuillera  bientôt. 

Tn  chevalier,  vieillard  d'imposante  stature, 

Qui  porte  sans  fléchir  ses  quatre-vingt-dix  ans. 

A  cet  honneur  insigne,  hommage  aux  cheveux  blancs, 

De  veiller  là,  debout,  le  fer  à  la  ceinture. 

Jeune,  dans  la  bataille,  et  portant  l'étendard. 
Au  fort  de  la  mêlée,  il  s'écriait  :  Montjoie  I 
Devant  la  femme  en  pleurs  le  guerrier  s'apitoie. 
Mais  l'àme  du  héros  survit  en  ce  vieillard. 

Cors,  sambutes,  clairons,  répondent  aux  cymbales  : 
Louis  n'est-il  pas  mort  frappé  par  l'Osmanh?.., 
A  chaque  bruit  nouveau,  l'épouse  sur  le  lit 
Tressaille.  L'homnui  marche  à  grands  pas  dans  les  salles. 

«  S'ils  entraient,  Monseig-neur,  dans  le  camp  des  Français, 
«  Ne  voudriez-vous  point  par  grand'pitié  m'occire  ?  » 
Le  croisé  releva  son  visage  de  cire. 
Tira  le  glaive,  et  dit  :  «  Madame,  j'y  pensais.  » 


FRÉDÉRIC  BLIN 


LES  POETES 

ILS  sont  fous,  disent-ils  en  leur  dédain  moqueur. 
—  Vous  qui  versez,  gardant  pour  vous  la  lie  anière, 
Du  ciel  mystérieux  et  calme  où  votre  àme  erre. 
Le  vin  pur  de  vos  chants  bénis  en  notre  cœur! 

Fous  !  ces  chantres  divins,  impérissable  chœur 
Emporté  dans  le  vol  ardent  de  la  Chimère  , 
Ces  Poètes  !  Hugo  !  Dante  !  Virgile  !  Homère  I 
Pères  des  rimes  d'or  et  du  rythme  vainqueur  1 

Oui  !  les  voilà,  ces  fous  sacrés,  dont  la  démence. 
Jetant  aux  quatre  vents  du  ciel  son  Verbe  immense, 
A  le  suprême  orgueil  de  tutoyer  les  dieux  ! 


Ceux  qui,  fuyant  la  terre  où  l'ombre  tend  ses  toiles, 

Dans  l'éternel  azur  du  Rêve  radieux, 

Ont  eu  le  front  fêlé  par  le  choc  des  étoiles  ! 


20  LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


LES   AN  CET  DES 


HANTÉ  de  visions  vaguement  apparues, 
Je  rêve  bien  souvent,  et  ce  rêve  me  point. 
Aux  poètes  vêtant  la  grègue  et  le  pourpoint, 
Qui  jadis  s'en  allaient  en  flânant  par  les  rues. 

Et  je  les  vois  passer  encor.  bayant  aux  grues, 
(ihassant  et  bataillant,  faucon  ou  dague  au  poing, 
Ou  discutant  maint  texte  obscur  en  plus  d'un  point, 
Chimériques  toujours  comme  coquecigrues. 

Humant  le  piot^  chantant  l'amour  à  pleine  voix, 
Savourant  les  vins  vieux  et  les  propos  grivois. 
Moins  prompts  à  manier  la  plume  que  l'épée, 

Tels  ils  étaient,  seigneurs,  escholiers,  damoiseaux. 
Qui  prenaient  autrefois  les  vers  à  la  pipée  , 
Comme  un  vol  éperdu  de  célestes  oiseaux!... 


JAMAIS 


PrisoiK  tout  nous  sépai'c  ici-bas  désormais, 
Hélas!...  Puisqu'au  milieu  des  ivresses  bénies, 
Ils  ne  s'unii'ont  pas  sur  nos  lèvres  unies. 
Nos  deux  noms  radieux  qu'en  secret  je  nommais! 


FFIKDÉRIC.    liLIN.  21 


Puisque  Tàpre  destin  à  qui  je  me  soumets 
A  versé  dans  mon  cœur  toutes  les  agonies, 
Et  puisque ,  sur  le  seuil  des  amours  infinies , 
Il  a  crié  trois  fois  un  éternel  jamais  ! 

Oh!  laisse  ma  pensée  ardente  à  ta  pensée 
Se  joindre  ;  sois  ainsi  la  chaste  fiancée 
Vers  qui  monte  son  vol  mystérieux  et  sûr  ! 

Et,  taisant  cet  aveu  que  jamais  nous  n'osâmes, 
Mon  rêve  ira  trouver  ton  rêve  dans  Tazur 
Pour  consommer  l'hymen  idéal  de  nos  âmes  ! 


PARA  DIS  PERDU 

LORStjVAi  X  prières  dM'^ve  Adam  s'étant  rendu, 
Mit  entre  Eden  et  lui  sou  crime  pour  barrière, 
Par  Tordre  du  Très-Haut,  un  auge  de  lumière 
Vint  défendre  le  seuil  de  son  glaive  étendu. 

Pourtant,  la  nuit,  furtif,  souvent  l'Homme  éperdu , 
Plein  de  chers  souvenirs,  des  pleurs  sous  la  paupière, 
Sans  espoir  de  pardon,  revenait  en  arrière 
Pour  contempler  encor  son  Paradis  perdu! 

Tel,  devant  le  Jardin  de  nos  jeunes  années, 

Nous  montrant  sans  pitié  toutes  leurs  fleurs  fanées. 

Se  tient  le  spectre  en  deuil  de  nos  illusions. 

Souvent  aussi,  malgré  la  fatale  défense, 
Je  reviens,  l'œil  rempli  de  fraîches  visions. 
Regarder  dans  ma  vie  aux  jours  de  mon  enfance!,.. 


22  I,F.    PARNASSE    BRETON    TONTEMPORAIN. 


LE   BLE 

A  J.-M.  de  Heredia. 

L'ombre  emplissait  les  champs  de  ses  vagues  murmures, 
Quand  les  fiers  moissonneurs  ont  repris  les  chemins 
De  la  ferme,  la  tâche  faite.  Dans  leurs  mains 
Les  faux  en  se  heurtant  avaient  des  bruits  d'armures. 

Lentement,  les  grands  hœufs,  couronnés  de  ramures, 
Avec  l'air  résigné  de  leurs  yeux  presque  humains. 
Ont  porté  ce  suprême  espoir  des  lendemains  : 
Le  saint  et  glorieux  fardeau  des  moissons  mûres. 

Or,  ce  matin^  tandis  qu'en  un  large  tapis 
Les  hommes  ont  jonché  l'aire  de  blonds  épis. 
Le  ciel  comme  une  forge  à  l'horizon  s'allume  ; 

Et  bientôt,  bondissant  en  un  rythmique  essor, 

Le  dur  fléau,  comme  un  lourd  marteau  sur  l'enclume, 

Frappe.  Et  le  blé  jaillit  en  étincelles  d'or! 


LÀ    VENUS  DE  MIIJ) 

A  Lecuutc  de  Lisle. 

LE  marbre  viei'ge  où  dort  l'immuable  beauté 
S'anime.  Dans  le  bloc  parait  ta  forme  altière, 
0  Vénus;  et,  donnant  la  \u\  à  la  matière. 
L'artiste  y  fait  sui'gir  ton  immortalité. 


FRÉDÉRIC    BLIN.  23 


Mais  quand  la  vision  de  son  rêve  sculpté, 
Radieuse,   est  venue  éblouir  sa  paupière, 
Il  crut  voir  rayonner  une  àme  dans  la  pierre. 
Empruntant  sa  splendeur  à  ta  Divinité  ! 

Alors,  fou  d'un  amour  monstrueux,  ù  statue, 
Il  chercha  sur  ton  corps  la  volupté  qui  tue. 
Dans  un  embrassement  d'une  sublime  horreur. 

Et,  comme  ta  froideur  de  marbre,  sans  rien  craindre 

De  ses  rudes  baisers,  irritait  sa  fureur, 

Il  a  brisé  tes  bras  impuissants  à  l'étreindre  ! 


ECROULEMENTS 

A  H.  de  Beaulieu. 

QUAND  la  foi  rayonnante  et  forte  de  jadis 
Illuminait  les  cœurs  simples  que  rien  n'altère. 
Ils  n'étaient  soucieux  que  du  divin  mystère 
Qui  fait  s'ouvrir  le  seuil  rêvé  du  paradis  ! 

Mais  depuis  nous  avons  goûté  les  fruits  maudits 
De  l'arbre  décevant  de  la  science  austère. 
Et  nous  cherchons  en  vain  à  crier  vers  la  terre 
Des  mots  mystérieux,  qui  ne  seront  pas  dits  ! 

Rêveurs  toujours  hantés  d'une  impossible  envie. 
Nous  jetons  dans  le  vide  éternel  de  la  vie 
Ces  lamentables  cris  à  jamais  sans  écho  I 

Et  leur  clameur  fait  choir  du  haut  de  l'ànie  sombre, 

Comme  les  effrayants  clairons  de  Jéricho, 

Tous  les  espoirs  divins   qui  s'écroulent  dans  l'ombre. 


RAOUL  DE  BOISTAEL 

(EUGÈNE  DE  KERLINOU) 


LA    STATUE   DE   BRI Z EUX 


SCULPTEURS,  il  VOS  iiiarteaux  ;  vous. fondeurs,  à  Fouvmge  ; 
Poètes,  composez  des  vers  laborieux; 
iMupruntez  à  la  terre  uu  pur  retlet  des  cieux 
Pour  prouver  que  le  barde  a  pu  \aincre  l'orage. 

Que  tous  les  sons  bruyants  luttent  et  fassent  rage; 
Musiques,  en  avant!  noirs  canons  furieux 
Et  discours  apprêtés,  faites  à  qui  mieux  mieux 
Autour  de  ma  statue  un  infernal  tapage! 

Mais  ce  n'est  pas  ainsi  qu'on  peut  me  plaire  ,  oh  non  ! 
Je  n'ai  jamais  chanté  qu'une  douce  compagne, 
La  liberté,  la  foi.  la  mer  et  la  Bretagne. 

Si  ([lU'lqu'un  maimc  encor,  qu'il  vous  dise  en  mon  nom  : 
l*our  m'honorer  moi-même  autant  (]ue  nui  patrie, 
Dressez  mon  piédestal  et  phicez-y...  Marie. 


ARTHUR  DE  LA  BORDERIE 


L'ÉGLISE  DU  FOLGOET 

A  M.  Paul  Delangle. 

LA,  jadis,  se  dressait,  sombre,  un  vieux  bois  celtique; 
Dans  les  arbres  le  fol  Salaiin  se  berçait, 
Priant  Jésus,  Marie,  et  les  saints  d'Armorique, 
Et,  comme  un  cliant  d'oiseau  plaintif,  son  doux  cantique 
Des  grands  chênes  moussus,  nuit  et  jour,  s'envolait. 

Il  mourut  là,  chantant  toujours,  et  sur  sa  tombe, 
De  son  cœur  même  on  vit  tout  à  coup  émergeant 
Un  lis,  plus  pur,  plus  blanc  que  la  blanche  colombe, 
Ilautainement  dresser  sa  fleur  d'or  et  d'argent. 

Le  vieux  bois  est  rasé,  la  pauvre  tombe  est  vide, 
Depuis  longtemps,  hélas!  le  lis  est  effeuillé. 
0  miracle!  Cent  fois  plus  haut  et  plus  splendide. 
Un  autre  lis  fleurit  le  sol  émerveillé. 


Non  un  lis,  mais  plutôt,  fière  sous  sa  couronne. 
Une  rose  enlacée  à  maint  tendre  bouton, 
Éclose  aux  doux  rayons  de  la  piété  bretonne, 
Epanouie  aux  purs  sommets  de  l'art  breton. 


26  LK  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

0  rose  du  Folg-oët  aux  mystiques  corolles, 
Enchantement  des  yeux ,  de  l'esprit  et  du  cœur, 
Merveille  du  Léon,  où  prendre  des  paroles 
Pour  dire  ton  parfum,  ton  charme,  ta  splendeur? 

11  faut  te  voir!...  il  faut  voir  tes  fines  dentelles 
De  pierre  ouvrée  à  jour,  tes  fleurons,  tes  festons, 
Broderie  à  l'aiguille,  et  ces  guirlandes  frêles 
Où  la  vigne  s'enroule  aux  feuilles  des  chardons. 

Il  faut  voir  le  jubé  gardien  du  sanctuaire  ; 

Le  Guide  vous  dira  que  c'est  du  kersanton  : 

?»J'en  croyez  rien,  il  ment...  c'est  du  point  d'Angleterre! 

Jamais  reine  n'en  eut  de  tel  à  son  jupon. 

Et  le  porche,  où,  songeurs,  yeux  baissés,  front  austère, 

Leur  barbe  descendant  en  ondes  sur  leur  sein. 

Les  Apôtres,  ligués  pour  conquérir  la  terre 

En  semant  Jésus-Christ  au  cœur  du  genre  humain, 

Sont  là,  prêts  à  partir,  le  bâton  à  la  main. 

Il  faut  voir  les  autels  aux  sveltes  arcatures. 
Aux  anges  chevelus,  aux  blasons  curieux. 
Il  faut  voir  les  meneaux,  les  tympans  en  guipures, 
Aux  fenêtres,  dardant  leurs  trèfles  radieux. 

Il  faut  tout  voir  ici,  car  tout  est  admirable; 
Tout  est  fin,  ciselé,  gravé,  comme  un  bijou. 
La  pierre  ici  vaut  l'or.  Chef-d'œuvre  incomparable, 
Né  du  lis  qu'engendra  le  cœur  du  pauvre  fou! 


ARTHUR    DE    LA    lUmni.RIK.  27 


PRIERE  A  SAINT  YVES' 

A  l'occasion  de  la  mort  de  Mai-  Bouché,  évéque  de  wS'-Brieuc  et  Tréguier. 

YVES,  patron  cVArvor,  qu'aux  sphères  éternelles 
Les  anges  radieux  couvrent  de  leurs  deux  ailes', 
De  ces  nuages  d'or,  là-haut,  où  vous  planez, 
Voyez  ici  vos  fils  humblement  prosternés. 

Ce  sont,  tous,  des  Bretons  dont  la  voix  v^ous  implore. 
Pour  eux  votre  nom  luit  plus  brillant  que  l'aurore  : 
Par  l'orage  et  la  foudre  assaillis  trop  souvent, 
Brûlés  par  le  soleil  ou  glacés  par  le  vent, 

Comme  petits  enfants  qui  réclament  leur  père, 
Ils  se  tournent  vers  vous  du  fond  de  leur  misère. 
Soutenez  leur  faiblesse,  éclairez  leur  chemin, 
Sur  leur  tète  étendez  votre  puissante  main. 

Ah!  n'abandonnez  pas  notre  pauvre  Bretagne 
A  tant  de  loups  maudits  cjui  pillent  sa  campagne! 
Gardez-lui  ses  trésors  :  la  foi  dans  tous  les  cœurs, 
Son  idiome  d'or,  sa  franchise,  ses  mœurs. 

Innnortel  avocat  de  la  race  bretonne, 

Vous  en  qui  Tréguier  voit  sa  palme  et  sa  couronne, 

Couvrant  d'or  et  de  fleurs  votre  chef  précieux. 

Pour  vos  enfants,  parlez!  plaidez  leur  cause  aux  cieux. 


1.  Imité  de  Hi'izeiis,  dans  la  Prière  des  laOourrurs  :  «  Saint  de  notre 
pays,  qu'aux  sphères  éternelles...  »  Non  seulement  on  a  employé  ou 
adapté  ici  plusieurs  vers  de  ce  grand  poète,  mais  on  a  surtout  tenté  de 
suivre  l'inspiration  de  cette  pièce  et  d'en  reproduire  le  mouvement. 

2.  Vers  de  Brizeux. 


28  LK    PARLASSE    RRKTON    CONTE.NfPORAIN. 

Et  près  de  vous,  là-liaiit,  placez  dans  votre  gloire 
Celui  que  nous  pleurons,  dont  la  noble  mémoire 
Chez  les  Bretons,  toujours  vivante,  restera  : 
Car  c'était  un  Breton  fidèle,  celui-là; 

Breton  des  jours  anciens,  or  pur,  granit  et  flamme! 
A  la  gloire  d'Arvor  dévoué  corps  et  âme  ; 
Evêque  à  son  troupeau  prodiguant  tout  son  cœur, 
Mourant  pour  le  servir  comme  le  bon  Pasteur. 

Il  aimait  nos  vieux  saints,  les  saints  de  nos  ancêtres; 
Il  combattait  pour  eux,  pour  Dieu,  contre  les  traîtres. 
Grand  saint,  il  vous  a  fait  un  tombeau  triomphant  : 
Sa  place  est  près  de  vous,  dans  le  ciel  rayonnant  ! 

Yves,  patron  d'Arvor,  qu'aux  sphères  éternelles 
Les  anges  radieux  couvrent  de  leurs  deux  ailes. 
Gloire  à  vous  !  Nous,  vos  fils,  à  vos  pieds,  nous  chantons  : 
«  Défendez  la  Bretagne  et  sauvez  les  Bretons!  » 


DOMINIQUE  CAILLÉ 


i^ÈcmriJBE  nr  moht 


A  ma  Mhvp. 


LK  cher  enfant  mourut  et  fut  mis  dans  la  bière. 
Après  l'avoir  conduit  dans  le  vieux  cimetière, 
Nous  rentrâmes  chez  nous .  des  larmes  dans  les  yeux. 

Son  petit  lit  était  vide;  une  odeur  de  cierge 
Et  d'encens  s'exhalait  de  ses  rideaux  de  serge 
Que  naguère  au  matin  il  entr'ou^  rait  joyeux. 

Les  livres,  les  joujoux  de  cet  ange  éphémère 
Étaient  encore  épars  dans  sa  chambre  ;  et  sa  mère 
Les  recueillait,  trésor  léger,  mais  précieux  I 

Tout  à  coup,  on  la  vit,  prise  d"un  trouble  extrême, 

Lire  dans  un  cahier,  à  la  marge  d'un  thème. 

Ces  mots,  qu'on  aurait  dit  écrits  par  lui  des  cieux  : 


«  Ma  petite  maman,  de  tout  mon  cœur  je  t'aime!   » 


30  LE    PARNASSE    DRETOxN    CONTEMPORAIX. 


LE  REVE 


E  venais  tristement  de  conduire  à  la  tombe 
Celle  que  j'adorais.  C)  ma  chaste  colombe. 
Trop  vite  dans  le  ciel  vous  aviez  pris  l'essor  I 
Et  je  me  rappelais  sa  charmante  figure, 
Ses  doux  baisers,  sa  voix  mélancolique  et  pure. 
Son  front  blanc,  ses  yeux  bleus  et  ses  longs  cheveux  d'or 

Et  je  rentrais  chez  moi  la  tristesse  dans  l'âme. 

J'y  trouvais  mon  foyer  solitaire  et  sans  flamme  ; 

Triste,  l'appartement  par  sa  grùce  embelli. 

Dans  la  chambre  témoin  de  notre  mariage. 

Mes  yeux  en  pleurs  voyaient  là-haut  sa  douce  image 

Suspendue  en  un  cadre  au-dessus  de  mon  lit. 


J'entendais  retentir  les  horlog-es  dans  l'ombre  : 
Elles  semblaient  sonner  à  travers  la  nuit  sombre 
L'inexorable  glas  de  mon  bel  avenir. 
Mon  cœur  aurait  voulu  douter  qu'elle  fut  morte; 
Mon  oreille  écoutait  chaque  bruit  de  la  porte, 
Comme  si  sous  mon  toit  elle  allait  revenir. 


Distraitement  je  pris  un  livre  d'Euripide, 

Je  l'ouvris  au  hasard,  et,  de  mon  œil  humide. 

J'y  lus  ces  quelques  mots  sur  le  terrestre  sort  : 

«  Peut-être,  Homme  du  jour,  la  mort  qui  vous  effraie 

((  Est  le  commencement  de  l'Existence  vraie  ! 

((  Et  peut-être  la  Vie  est  pour  vous  une  Mort.   » 


DOMINIQUE    CAILLÉ.  31 


Et,  je  ne  sais  pourquoi,  cette  profonde  idée 
Pendant  longtemps  plana  sur  mon  àme  obsédée  ; 
Et,  le  front  dans  mes  mains,  auprès  de  mon  flambeau. 
Je  m'écriai  :  «  Mon  Dieu,  n'est-ce  rien  que  la  vie; 
Les  biens  que  nous  cherchons  sont-ils  dignes  d'envie; 
Ne  faut-il  ici-bas  qu'aspirer  au  tombeau?  » 

En  méditant  ainsi  je  m'endormis.  La  Morte 

M'apparut  et  me  dit  :  «  11  faut  que  je  t'emporte 

Avec  moi  dans  le  ciel.  »  Je  me  sentis  frémir. 

Mais,  sur  mon  front  soudain  mettant  sou  doigt  de  llamme, 

Avec  elle,  de  terre  elle  enleva  mon  àme; 

Et  mon  corps,  sur  mon  lit,  calme,  semblait  dormir. 

?s'ous  montâmes  tous  deux  par-delà  les  étoiles. 

Les  anges  et  les  saints  m'apparaissaient  sans  voiles; 

Les  séraphins  j   ident  un  éclat  radieux  ; 

Jéhovah  rayonnait  dans  sa  beauté  suprême  ; 

Des  astres  d'or  formaient  son  brillant  diadème; 

On  entendait  partout  des  chœurs  mélodieux. 

Comme  j'étais  saisi  d'une  extase  profonde. 
Elle  me  dit  :  «  Regarde  en  bas  et  vois  le  monde. 
Veux-tu  reprendre  un  corps  et  revivre,  dis-moi?  » 
Et  me  penchant  alors  au-dessus  de  l'abime. 
J'aperçus  l'homme  en  proie  à  la  misère,  au  crime. 
Et  je  lui  répondis  :  «   Non,  je  reste  avec  toi.  » 

Nous  primes  notre  vol  dans  la  voûte  infinie 

Où  tout  n'est  que  lumière,  où  tout  n'est  qu'harmonie, 

Où  les  astres  brillants  célèbrent  le  Seigneur  ! 

A  mes  yeux  enchantés  disparaissait  la  terre. 

Et  mon  àme  planait  à  travers  le  mystère. 

Dans  le  ravissement,  l'extase  et  le  bonheur. 


32 


LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Soudain  je  m'éveillai.  Mon  rêve  comme  une  ombre 
Disparut.  Je  revis  la  terre  froide  et  sombre 
Où  l'homme,  nuit  et  jour,  ne  cesse  de  souffrir. 
Depuis,  les  yeux  tournés  vers  la  voûte  céleste, 
Le  cœur  plein  de  dégoût  pour  ce  monde  funeste, 
Je  demande  au  Seigneur  de  me  faire  mourir. 

[Au  bord  de  la  Chrz-ine.) 


YAN  CARNEL 


(LUCIEN    NOALEX) 


LES   CHAPELLES  BRETONNES 

Vous  avez  visité,  certes,  des  cathédrales. 
Maisons  de  marbre  et  d'or  où  glissent  en  spirales 
Les  escaliers  du  maitre-autel; 
Ils  sont  beaux,  n'est-ce  pas,  ces  monuments  gothiques, 
Ces  frontons  découpés,  ces  trèfles,  ces  portiques, 
Ces  clochers  qui  montrent  le  ciel  ! 


Vous  avez  admiré  les  tours  de  Notre-Dame 

Qui  semblent  deux  g-rands  bras  de  géant,  et  votre  âme 

Elevait  vos  pensers  vers  Dieu  ; 
L'œil  fixe,  le  front  nu,  vous  restiez  en  extase. 
Contemplant  les  vitraux  que  le  soleil  embrase 

Pour  illuminer  le  saint  lieu. 

Dehors,  les  monstrueux  profils  des  arabesques, 
Cuivres,  nains,  basilics,  chimères  gigantesques 

Ravis  par  un  ange  à  Tenfer  ; 
Au  dedans,  les  piliers  portant  de  vastes  dômes. 
Aussi  froids  et  muets  que  le  sont  les  fantômes, 

Immobiles,  les  bras  en  Tair. 


34  LE    PARNASSE    BRETON    TOMEMPORAIN. 


Croyez-vous  qu'il  ne  soit  que  ces  hautes  églises, 
Vieilles  comme  le  temps,  avec  leurs  rides  grises. 

Que  l'on  puisse  admirer  encor? 
Dans  mon  pays  natal,  dans  ma  chère  Bretagne, 
J'aime  les  vieux  clochers  perdus  dans  la  campagne 

Et  la  flèche  où  perche  un  coq  d'or. 

J'aime  le  toit  d'ardoise  et  la  porte  rouillée, 
La  balustrade  en  bois,  la  muraille  mouillée 

Et  le  grand  saint  Roch  et  son  chien  ; 
Puis ,  le  haut  bénitier  d'une  forme  grossière, 
Les  saints,  les  rois,  taillés  dans  une  immense  pierre. 

Menhirs  coupés  par  un  chrétien  ! 

Au  fond,  brillent  toujours  plusieurs  cierges  de  cire, 
Devant  une  madone  où  le  pâtre  vient  dire 

Son  chapelet  et  son  Pater  ; 
Au  sommet  de  la  voûte,  ex-voto  des  naufrages, 
Un  navire  avec  ses  mAts  blancs,  ses  noirs  cordages, 

Tourne  au  bout  d'un  long  fil  de  fer. 

Souvent,  pendant  le  jour,  l'humble  chapelle  est  vide 
Seul,  le  soleil  regarde,  au  soupirail  livide, 

L'ange  de  plâtre  d'un  tombeau  ; 
Dans  une  niche  à  jour  reposent  les  reliques 
Du  patron  du  village,  et  quelques  mots  bibliques 

Montrent  la  place  d'un  caveau. 

Les  pèlerins,  qui  font  souvent  de  longs  voyages, 
Aiment  à  reposer  dans  ces  frais  ermitages 

Leurs  membres  tremblants  et  lassés. 
Et  les  petits  enfants  passant  sur  la  colline 
Viennent  prier,  le  soir,  à  la  maison  divine, 

Pour  les  âmes  des  trépassés. 


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COMTE  ACHILLE  DU  CLÉSIEUX 


LUX  ET   VIT  A 

LA  poésie  ardente  emporta  ma  jeunesse. 
Elle  était  née,  un  jour,  d'une  larme  du  cœur. 
Le  soml)re  désespoir  eût  été  son  vainqueur, 
Si  Dieu  n'avait  sauvé  l'esquif  dans  sa  détresse. 


Mais  mon  front  a  gardé  son  cachet  de  tristesse. 
Le  chant  du  rossignol  ou  des  oiseaux  en  chœur, 
Que  leur  accent  perlé  soit  plaintif  ou  moqueur, 
A  peine  à  soulager  le  fardeau  qui  l'oppresse. 

Le  plaisir,  la  fortune  et  la  gloire  et  l'amour, 

En  vain  ont  essayé  d'embellir  ce  séjour 

Où  gémissait,  sans  fin,  mon  âme  emprisonnée  ; 

Nul  attrait,  nulle  force  et  nul  enivrement, 

Autre  que  vous,  mon  Dieu!  n'adoucit  mon  tourment. 

Je  veux,  près  de  mourir,  bénir  ma  destinée! 


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SULLIAN  COLLIN 


CELLE  QUE  JE  RÊVE! 


CELLE  à  qui  je  vouclrais  unir  ma  destinée. 
Dans  Fespoir  de  trouver  le  bonheur  que  j'attends, 
Peut-être  mon  regard  Ta  déjà  devinée... 

—  Je  la  rêve  mignonne  en  ses  dix-huit  printemps. 

Dans  une  ardente  soif  d'idéal  qui  TafTole, 

Elle  est  comme  embrasée  au  feu  divin  de  l'art  ; 

Son  front  est  couronné  de  lueurs  d'auréole. 

—  Je  la  rêve  adorant  Lamar.'ine  et  Mozart. 

Tremblant  de  la  froisser  et  de  ternir  de  larmes 

Ce  radieux  visage  où  brille  la  bonté^ 

Nul  n'a  jamais  osé  lui  dire  tous  ses  charmes. 

—  Je  la  rêve  modeste,  ignorant  sa  beauté. 


Elle  ne  connaît  rien  des  douleurs  de  la  vie. 
Songeant  à  ce  bonheur  qu'on  lui  promet,  un  jour, 
Elle  s'en  inquiète  et  cependant  l'envie. 
—  Je  la  rê\e  naïve,  ayant  peur  de  l'amour. 


SULLIAN    COLLO.  37 


Mais  bientôt  elle  aura  dans  son  cœur  un  mystère. 
Alors ,  levant  ses  yeux  clans  l'extase  ravis , 
Elle  dira  mon  nom  dans  sa  douce  prière. 
—  Je  la  rêve  pieuse,  au  pied  d'mi  crucifix! 


LENDEMAIN  DE  BAL 

A  mon  ami  J.  Guy  Ropartz. 

IL  est  midi  bientôt,  et  la  mignonne  dort 
Sur  son  lit  tout  i^arni  d'une  dentelle  rose  ; 
Le  soleil,  se  glissant  par  la  persienne  close, 
Avec  les  rideaux  blancs  fait  des  écliarpes  d'or. 

L'air  rayonnant  qui  vibre  en  ce  coin  de  décor 
Est  comme  parfumé  de  lilas  et  de  rose. 
On  dirait  voir  au  ciel  la  blonde  apothéose 
D'une  sainte  endormie  en  les  bras  de  la  mort. 

Et,  tout  en  souriant  des  plaisirs  de  la  veille, 
Après  son  premier  bal^  la  belle  enfant  sommeille. 
Enfermant  dans  son  cœur,  écrin  de  ses  amours. 

Le  nom  du  préféré  que  poursuit  sa  pensée. 

Aux  rythmes  des  accords  nonchalamment  bercée, 

Elle  rêve  qu'au  ciel  on  valsera  toujours. 


38         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


SONNET-MADRIGAL 

POUR  obtenir  de  vous,  mignonne,  mon  pardon, 
Voici  des  fleurs.  Hélas  I  déjà  la  saison  passe. 
Elles  semblaient  souffrir,  tristes,  la  tête  basse, 
Quand  ma  main  les  cueillit  pour  vous  en  faire  don. 

Et  je  leur  dis  alors,  murmurant  votre  nom  : 
((  Craindrez-vous  de  mourir  pour  embellir  sa  grâce?  » 
Le  vent,  q^ui  va  toujours  chuchotant  dans  l'espace, 
Avait  parlé  de  vous,  et  toutes  ont  dit  :  Non. 

Mais  vous  qui  les  verrez  s'épanouir  plus  belles, 
Avant  que  la  mort  vienne  emportant  avec  elles, 
Au  paradis  des  fleurs,  leurs  souvenirs  défunts. 

Souffrez  ({u'auprès  de  vous  leui'  amour  les  attire. 
Et  puissiez-vous  leur  faire  ,  en  leur  tendre  martyre , 
L'aumône  d'un  regard,  pourtours  derniers  parfums. 


LOUIS  DALÏGAUT 


EN   VOYAGE 

LE  train  sur  ses  deux  rails  glisse  à  toute  vapeur, 
Avec  des  meuglements  sinistres  qui  font  peur. 
0  vertige  grisant  d'une  course  éperdue  ! 
0  volupté  de  fuir,  dévorant  l'étendue, 
Pareil  au  vil  fétu  qu'entraîne ,  en  son  courant , 
Au  milieu  des  flocons  d'écume,  le  torrent  ! 
Le  rêve  vagabonde  avec  le  paysage 
Qui  point,  se  développe  et  meurt,  dans  un  passage 
D'éclair.  Et  l'œil  croit  voir,  dans  les  horizons  bleus , 
Tournoyer  le  dessin  de  tapis  fabuleux. 
Qui  déroulent  sans  fin  leurs  magiques  richesses, 
Étalés  par  les  mains  d'invisibles  princesses. 
Et  l'on  conserve  en  soi,  de  ce  décor  mouvant. 
L'image  enchanteresse  et  le  reflet  vivant  : 
Les  coteaux  aux  blés  verts,  le  lac  aux  ondes  pures, 
Les  bois  où  les  bourgeons  naissants  font  des  guipures, 
Et,  sous  un  ciel  d'azur  qui  refoule  les  pleurs, 
L'éblouissement  d'or  des  landiers  tout  en  fleurs. 


JEAN  DASQUINE 


(HONORÉ    BROUTELLE) 


LES  CLOCHERS 

BÉiMS  soient  les  clochers  dans  les  horizons  verts  ! 
Pignons  blancs  lumineux,  toitures  ardoisées, 
Où  chaque  aube  suspend  l'eau  vierge  des  rosées 
Au  bec  d'un  coq  d'étain  rouillé  par  les  hivers  ! 

Pour  les  bons  travailleurs  des  collines  boisées , 
Leurs  porches  ont  d'épais  battants  toujours  ouverts  ; 
Le  bleu  des  mois  fleuris  resplendit  au  travers 
De  leurs  murs  ajourés  de  fragiles  croisées. 

Aux  corniches,  des  fils  de  la  Vierge,  ondulant 
Sous  les  brises,  avec  un  mouvement  très  lent. 
Semblent  le  lin  follet  d'une  énorme  quenouille  ; 

Et  c'est  plaisir  de  voir  les  hauts  clochers  briller 
Au-dessus  des  autels  où  la  foi  s'agenouille, 
Où  les  simples  d'esprit  vont  encore  prier. 


ARMAND  DAYOT 


LE  DOLMEN 


PENDANT  que  les  guerriers  aux  fauves  chevelures 
Entourent  le  dolmen  où  vont  parler  les  Dieux, 
La  prêtresse  s'avance,  en  regardant  les  cieux, 
Vers  l'autel  tiède  encor  des  vermeilles  souillures. 


La  blonde  Alizia,  la  prêtresse  d'Armor, 

A  revêtu  ce  soir  sa  longue  robe  blanche  ; 

Ses  cheveux  dénoués  ruissellent  sur  sa  hanche 

Et  ses  doigts  frémissants  pressent  le  poignard  d'or. 

Dans  ses  yeux  ténébreux  luit  une  flamme  verte 
Et  son  souffle  embrasé  soulève  ses  seins  nus. 
Soudain,  elle  s'arrête,  et  des  mots  inconnus 
S'échappent  sourdement  de  sa  bouche  entr'ouverte. 

Les  guerriers  sont  muets.  Dans  les  bois  plus  de  bruit. 
Les  chênes  ont  cessé  leurs  chuchotements  vagues 
Et,  sur  les  rochers  noirs,  le  chant  plaintif  des  vagues 
S'éteint  dans  le  silence  et  l'horreur  de  la  nuit. 


42         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Car  la  vierge  d'Armor,  pâle  sous  ses  grands  voiles, 
Se  dresse,  l'œil  chargé  d'une  farouche  ardeur, 
Et  de  l'autel  sanglant  monte  un  cri  de  douleur 
Vers  les  Dieux  attentifs  au  milieu  des  étoiles. 


POESTUM 


LES  glaïeuls  ont  chassé  la  rose  sans  rivale, 
Et  de  leur  vert  manteau  qu'agite  un  vent  de  mort 
Le  souffle  haletant  du  buffle  noir  qui  dort 
Comme  un  soupir  géant  péniblement  s'exhale. 

Dressant  vers  le  ciel  bleu,  dans  un  suprême  effort. 
Son  fronton  chancelant  que  ronge  la  rafale. 
Le  vieux  temple  païen  attend  l'heure  fatale 
Pendant  que  sur  ses  murs  l'aspic  rampe  et  se  tord. 

Je  me  sens  le  cœur  plein  d'une  immense  détresse, 
Au  milieu  de  ces. champs  où  la  mort  est  maîtresse, 
Champs  peuplés  autrefois  de  rosiers  et  d'autels, 

Et  je  marche  pensif  sur  ces  terres  funèbres 
Où  gisent  à  jamais,  dans  les  mêmes  ténèbres, 
La  fleur  qui  vit  un  jour  et  les  Dieux  immortels. 


ARMAND    DAYOT.  43 


NOCTURNE 


A  Mériem. 


LES  bois  semblent  rêver  sous  le  calme  des  cieux. 
Des  fraîches  profondeurs  à  la  colline  ardente 
Pas  un  bruit  ne  s'élève,  et  la  brise  mourante 
Arrête  dans  les  airs  son  vol  silencieux. 

Je  vais  par  les  sentiers  que  le  ciel  pur  arsente, 
Sous  les  étoiles  d'or,  moins  belles  que  tes  yeux, 
Ces  yeux  profonds  et  noirs ,  toujours  mystérieux , 
Et  j'écoute  en  mou  cœur  ta  douce  voix  qui  chante. 

Puis,  dans  renivrement  que  me  verse  la  nuit, 

Au  milieu  des  parfums  qui  flottent  dans  les  branches, 

Parfois  je  crois  saisir  tes  mains  douces  et  blanches. 

Mais  quel  triste  réveil  lorsque  le  soleil  luit  ! 
Mon  beau  rêve  s'enfuit  dans  l'aurore  vermeille, 
Chassé  par  les  sifflets  du  merle  qui  s'éveille. 


HENRI  DRONIOU 


PAYSAGE     ARABE 

UN  coucher  de  soleil  de  couleur  amarante. 
Ni  sentier,  ni  ruisseau,  ni  verdure  apparente  ; 
Un  terrain  sec,  uni,  fauve,  inculte  et  gercé. 
Aucun  explorateur  n'a  jamais  traversé 
De  solitude  égale  à  cette  solitude. 
Rien  n'en  accidentait  l'uniforme  altitude, 
Et  le  regard,  empli  d'un  morne  accablement. 
Souffrait  de  voir  ainsi,  mélancoliquement, 
Se  dérouler  cette  âpre  et  stérile  nature. 
Et,  là-bas,  seul,  un  cèdre  à  la  haute  stature 
Coupait  l'horizontal  et  flamboyant  sillon 
Qui  rayait  l'Occident  teinté  de  vermillon, 
Et,  cône  ombreux,  dressait  sa  noire  majuscule 
Dans  le  rayonnement  rouge  du  crépuscule. 


Telle,  et  plus  uniforme  en  ses  aspects  divers, 
D'un  bout  à  l'autre  bout  de  l'immense  univers  , 
Et  comme  à  la  clarté  d'un  jour  mourant  d'automne, 
La  vie  humaine  étend  son  désert  monotone. 


HENRI    DRONIOU.  45 


Lumineux  météore  impossible  à  saisir. 
L'espoir,  obéissant  à  Fappel  tin  désir, 
Eclabousse  d'un  jet  de  flamme  occidentale 
Le  couchant  vers  lequel  l'homme  marche,  Tantale 
Séduit  par  un  prestige  ironique  et  trompeur. 
Et,  braves  et  poltrons,  voici  que  tous  ont  peur, 
Car,  inondant  soudain  de  son  ombre  ag-randie 
Les  lointains  que  l'espoir  doucement  incendie, 
Surgit  devant  ces  cœurs  où  tout  un  monde  bout, 
La  Mort,  fantôme  noir  à  l'horizon  debout  ! 


PENMARC'H 


A  J.-M.  de  Heredia. 


Penmarc'h  !  voyez  là-bas  I  voyez  la  barre  sombre 
Que  le  phare  sur  l'eau  découpe  obliquement! 
La  nuit,  ce  sont  des  feux,  et  le  jour,  c'est  de  l'ombre 
Qu'il  répand  sous  le  vaste  et  brumeux  firmament  ! 

Là-bas,  c'est  l'Océan!  Sa  nappe  occidentale, 
Infini  qui  se  perd  dans  un  autre  infini, 
Sous  le  ciel  lumineux,  grande  et  calme,  s'étale 
Et  roule,  illimitée,  à  l'horizon  bruni  ! 

Là-bas,  dans  la  vapeur  transparente  et  bleuâtre 
Que  le  regard  confond  avec  l'azur  des  flots , 
Comme  les  noirs  gradins  d'un  large  amphithéâtre, 
Se  dressent  mille  écueils,  surgissent  cent  ilôts! 


46  LE    PARNASSE   BRETON    CONTEMPORAIN. 


D\m  rempart  naturel  ils  protègent  les  côtes. 
Ces  rocs,  gardiens  du  sol,  aussi  vieux  que  le  temps. 
Ont  repoussé  l'assaut  des  vagues  les  plus  hautes. 
Assaillis  sans  relâche  et  toujours  résistants. 

C'est  File  de  .Xona.  C'est  l'antre  de  la  Torche  : 
La  mer,  tumultueuse  et  grosse  de  remous, 
S'eng-ouffre  en  mugissant  sous  les  ombres  d'un  porche 
Dont  l'écho  souterrain  remonte  jusqu'à  nous. 

Car  elle  apparaît  là  dans  sa  sauvagerie, 
La  côte  armoricaine  aux  horizons  pensifs. 
Et,  par  ce  jour  d'été,  les  flots  avec  furie 
Suspendaient  leur  écume  autour  de  ses  récifs. 

Pas  de  sahle  :  un  amas  désordonné  de  roches, 
Escalier  de  granit  qui  descend  jusqu'à  l'eau; 
Un  éternel  ressac  en  défend  les  approches , 
Et  plus  sauvage  encore  est  ce  sombre  tableau. 

Lorsque  le  vent  de  l'Ouest  fouette  de  ses  rafales 
Les  lourds  paquets  de  mer  qui  se  choquent  entre  eux, 
Les  roule  eu  masse  blanche  et  bat  sans  intervalles 
Le  cap  enveloppé  d'un  grondement  affreux. 

Equinoxes  de  mars!  Equinoxes  d'automne! 
L'océan  dans  sa  rage  a  ])risé  tous  ses  freins  ; 
Le  vent  rugit,  le  flot  saute,  le  rocher  tonne  : 
0  la  sublimité  des  spectacles  marins  ! 

Ces  récifs  autrefois  formaient  le  patrimoine 
Des  pillardes  tribus  qui  rançonnaient  la  mer. 
Le  sol  a  conservé  des  noms.  Le  Saut  du  Moine, 
Vers  le  Nord,  dans  le  roc,  ouvre  son  puits  amer. 


HENRI    DROMOU.  47 


Le  Bourg'  est  un  débris  de  la  guerre  civile. 
Quelques  toits,  le  portail  d'une  église,  voilà 
Ce  qui  reste  aujourd'hui  de  l'opulente  ville 
Qui  se  nommait  Penmarc'h  et  qui  florissait  là. 

Rien  n'y  témoigne  plus  des  anciens  jours  prospères. 
0  temps  évanouis,  n  souvenirs  lointains  ! 
Des  brigands  t'épiaient  du  fond  de  leurs  repaires, 
Penmarc'h,  et  leur  audace  a  changé  tes  destins  I 

L'abandon  de  ces  lieux,  où  (luy  La  Fontenelle 
Vint  al)attre  sou  vol  sinistre  de  vautour, 
Saisit  l'àme  et  la  plonge  en  une  solennelle 
Tristesse  (jui  vous  suit  à  l'heure  du  retour. 

Lne  campagne  morne,  aride  et  découverte. 
Sans  trace  de  culture  et  sans  vestige  humain, 
rVous  entoura  longtemps  avant  que  l'herbe  verte 
Ne  revint  tapisser  les  abords  du  chemin; 

Le  jour  en  déclinant  doublait  l'aspect  sévère 
Des  landes  que  le  soir  allonge  et  rembrunit  ; 
De  distance  en  distance  un  rustique  calvaire 
Dressait,  gibet  divin,  ses  branches  de  granit  ; 

Là-haut,  scintillait  Mars;  là-haut,  brillait  Saturne; 
Et  là-bas,  l'océan,  d'une  blancheur  de  lait. 
Mettait  sa  ligne  claire  au  bas  du  ciel  nocturne 
Où,  comme  un  œil  de  feu,  le  phare  étincelait. 


48         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


AR   BARADOZ 

A  Leconte  de  Lisle. 

CE  frais  éclen  existe  au  pays  de  la  fable. 
C'est  un  jardin  fleuri  plein  d'un  charme  ineffable, 
Un  vaste  et  noble  parc,  enclos  de  toutes  parts 
D'une  longue  muraille  aux  pans  garnis  de  lierre, 
Dont  l'œil  poursuit  au  loin  la  courbe  irrégulière, 
A  travers  le  réseau  des  feuillages  épars. 

Mille  ruisseaux  sableux  aux  bizarres  méandres 
Y  circulent  parmi  des  bouquets  de  fleurs  tendres 
Et  s'étendent  plus  bas  en  large  nappe  d'eau  ; 
De  hautes  frondaisons  recouvrent  les  deux  rives 
Et  mirent  dans  l'azur  du  lac  aux  sources  vives 
Leur  image  flottante  et  leur  glauque  rideau. 

Là,  règne  nn  éternel  et  frémissant  murmure. 
De  sinueux  sentiers  fuyant  sous  la  ramure 
Ont  des  aspects  de  sombre  et  moussu  corridor, 
Et,  lorsque  le  soleil  les  frappe  et  les  traverse, 
Ses  rayons  tamisés  y  font  connue  une  averse 
Choir,  à  travers  la  feuille,  une  bruine  d'or. 

Aucun  son  étranger  ne  trouble  le  mystère 
De  cet  enclos  paisible,  immense  et  solitaire; 
Et  Toreille  aux  aguets  s'efforcerait  en  vain 
D'y  saisir  un  écho  de  la  rumeur  humaine  : 
Sous  ces  dômes  touffus,  où  seul  il  se  promène, 
Le  vent  seul  interrompt  le  silence  divin. 


HENRI    DRONIOU.  49 


Combien  de  fois  j'ai  vu,  dans  le  bonheur  d'un  songe, 
S'étaler  devant  moi  le  radieux  mensonge 
De  ce  paradis  sourd,  immobile  et  fermé  ! 
Des  massifs  de  verdure  y  figuraient  des  îles. 
Quelle  majesté  douce  au  fond  de  ces  asiles  ! 
C'est  là  qu'il  eût  fait  bon  de  vivre  et  d'être  aimé  ! 

0  le  plaisir  d'errer  par  ces  calmes  retraites, 
De  sonder  du  regard  leurs  profondeurs  secrètes, 
De  sentir  enfoncer  ses  pas  dans  le  gazon 
Des  talus  verdoyants  toujours  fleuris  de  roses. 
Car  jamais  les  hivers  de  nos  pays  moroses 
jN 'attristent  la  beauté  de  ce  clair  horizon. 

Aux  chants  plus  adoucis  de  l'oiseau  sous  la  feuille , 
Lorsque  la  nuit  s'avance  et  que  tout  se  recueille, 
Combien  j'aurais  aimé,  plein  de  fièvre  et  d'émoi. 
Dans  les  détours  connus  de  ce  lieu  de  délices. 
Transformés  par  l'amour  en  séduisants  complices , 
Combien  j'aurais  aimé  vous  voir  auprès  de  moi. 

Vous,  que  je  sens  mêlée  à  toutes  mes  revanches. 
Dont  les  regards  de  vierge  aux  teintes  de  pervenches, 
Si  fins,  si  transparents,  si  limpides,  si  bleus, 
Sont  les  deux  seuls  flambeaux  qui  brillent  dans  mon  ombre, 
Depuis  que  des  tourments  accumulés  sans  nombre 
Font  un  ciel  de  tempête  à  mes  jours  nébuleux! 

Vers  la  cime  du  chêne  aux  frêles  découpures 
Aurait  monté  le  cri  de  nos  deux  âmes  pures. 
0  la  sérénité  des  bois  autour  de  nous  ! 
Rien  n'y  serait  venu  déranger  notre  rêve, 
Et  l'éternité  même  aurait  été  trop  brève 
D'une  existence  ainsi  passée  à  vos  genoux  ; 


50  LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


A  VOS  genoux  de  femme ,  étonnée  et  ravie 
Qu'un  homme  ait  pu  songer  à  faire  de  sa  vie 
Une  oasis  bien  close,  aux  arbres  toujours  verts  ; 
L'esprit  indifférent  à  tout  ce  qui  se  passe , 
Sans  se  préoccuper  du  temps  ni  de  l'espace , 
Les  yeux  sur  un  but  fixe  obstinément  ouverts  ! 

Oui,  c'est  là,  dans  la  paix  du  parc  aux  ombres  graves, 
Qu'il  eût  fait  bon  de  vivre  et  d'aimer  sans  entraves, 
Loin  du  monde,  à  l'abri  de  ses  complots  hideux  ; 
Sur  un  épais  tapis  de  lichen  et  de  mousse , 
C'est  là  qu'il  eût  fait  bon  de  mourir  sans  secousse, 
Dans  les  bras  l'un  de  l'autre  oubliés  tous  les  deux  ! 


UN  VIEUX  BOHÈME 

CET  homme  était  boiteux,  petit,  louche  et  bossu  ; 
Son  nez,  se  compliquait  d'une  verrue  énorme; 
Pas  de  gnome  rêvé  qui  fût  aussi  difforme. 
D'où  venait  ce  fantôme?  On  ne  l'a  jamais  su. 

Un  silence  profond  laissait  dans  le  mystère 
Son  passé,  cendre  éteinte  où  rien  ne  remuait. 
Sans  amis,  sans  parents,  personnage  muet,, 
Mal  accueilli  partout,  il  vivait  solitaire. 

A  quels  malheurs  son  sort  tragique  était-il  du  ? 
On  l'ignorait  aussi.  Sa  laideur  était-elle 
Une  laideur  innée  ou  bien  accidentelle? 
Personne  à  ces  points-là  n'a  jamais  répondu. 


HENRI    DRONIOU.  51 


Les  gamins  l'insultaient  du  nom  de  vieille  bête, 
Ou  tendaient  méchamment,  sur  sa  route,  un  lacet. 
Lorsque,  le  long  des  murs,  farouche,  il  se  glissait 
Roulant  comme  un  crapaud  des  yeux  à  fleur  de  tête. 

Loin  pourtant  de  se  plaindre,  il  semblait  faire  exprès 
D'éviter  les  sergents,  donneurs  de  coups  de  crosses, 
Les  tenant  pour  neveux  de  ces  prévôts  féroces 
Qui  commençaient  par  pendre  et  ne  jugeaient  qu'après. 

Ses  bras  étaient  velus  comme  hi  peau  d'un  singe  ; 
Une  fange  durcie  enveloppait  ses  mains  ; 
Depuis  vingt  ans,  ce  gueux,  fuyard  des  grands  chemins, 
Ignorait  la  douceur  d'être  vêtu  de  linge. 

Ce  gueux  avait  sa  morgue  :  il  ne  mendiait  pas. 
Tout  au  plus,  en  un  coin  de  la  sente  isolée. 
Dévorait-il  la  grappe  ou  la  pomme  volée 
Que  le  sort  complaisant  jetait  devant  ses  pas. 

Il  n'avait  pas  toujours  traîné  si  maigre  tripe  : 
Un  tel  oubli  de  soi  ne  vient  pas  d'un  seul  coup. 
Mais  il  préféra  fuir  et  vivre  comme  un  loup 
Loin  de  l'orgueil  humain  qu'il  avait  pris  en  grippe; 

Loin  de  l'orgueil  qui  rend  hypocrite  et  mauvais  ; 
Dans  l'ère  de  progrès  égoïste  où  nous  sommes. 
Onze  mots  résumant  la  morale  des  hommes  : 
«  Faites  ce  que  je  dis  et  non  ce  que  je  fais  !  » 

Trop  fier  pour  s'employer  aux  besognes  serviles, 
Et  trop  infirme  aussi,  trop  vieux,  trop  repoussant. 
Il  se  dérobait  donc  aux  regards  du  passant 
Et  ne  s'attardait  pas  sur  le  pavé  des  villes. 


52         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Qu'on  le  crût  idiot,  je  n'en  suis  pas  surpris  : 
Quolibets  et  surnoms  pleuvaient  sur  son  passage  ; 
Mais,  à  regarder  mieux  les  traits  de  son  visage, 
Le  rictus  de  sa  lèvre  exprimait  le  mépris. 

Les  maîtres  d'ateliers  lui  refusant  leur  porte, 
Il  menait  l'existence  errante  d'un  vaurien, 
Sans  beaucoup  s'afl'ecter  de  ne  compter  pour  rien 
Dans  ce  flot  de  vivants  que  chaque  année  emporte. 

Ses  haillons  recouvraient  un  homme  même  gai, 
Lorsqu'il  se  sentait  seul  sous  l'œil  de  la  nature. 
Parla  lande  et  le  bois  marchant  à  l'aventure 
Jusqu'à  l'heure  où  son  corps  s'allongeait  fatigué. 

Le  vol  d'un  papillon  parmi  l'herbe  fleurie  , 
La  course  du  lézard  sur  le  bord  des  talus, 
Pour  alléger  sa  marche,  il  n'en  fallait  pas  plus, 
Et  pour  qu'il  oubliât  sa  longue  pénurie. 

Il  est  autour  de  nous  de  plus  horribles  maux  ! 
Aucun  sot  préjugé  ne  lui  forgeait  d'entraves  ; 
Les  hêtres  fiers,  le  pin  rêveur,  les  chênes  graves, 
Pour  lui  donner  de  l'omjjre  inchnaient  leurs  rameaux  ; 

Le  nid  lui  gazouillait  sa  chanson  la  plus  douce  ; 
La  plaine  variait  pour  lui  ses  liorizons  ; 
Le  printemps,  sous  ses  pas,  déroulait  des  gazons, 
Et,  dans  la  saison  froide  où  la  terre  est  sans  mousse, 

Combien  de  fois  l'aurore  avait  réconforté. 
Par  un  jet  bienfaisant  de  sa  lumière  rouge, 
(^e  vagabond  transi  qui  n'avait  pas  un  boug-e 
Et  qui  logeait  dehors,  rhivcr  comme  l'été  ! 


HENRI    D110>'I0U.  53 


Oiiaïul  le  sort  envers  nous  se  montre  avare  et  triche 
A  ce  jen  de  la  vie  où  tout  semble  incertain, 
L'homme  est  sage  qui  sait  accepter  son  destin  : 
Tout  le  monde  ici-bas  ne  peut  pas  être  riche  ! 

Ce  gueux,  qui  n'eut  jamais  dans  sa  poche  un  écu, 
Vivait  ouvertement  des  jours  exempts  de  blâme , 
Et  son  plus  cher  espoir  était  de  rendre  l'âme 
A  la  face  du  ciel,  comme  il  avait  vécu. 

Si  sa  façon  de  vivre  était  une  atrophie? 
Je  laisse  au  moraliste  à  décider  ce  point  ; 
Mais  heureux  l'indigent  qui  possède  un  pourpoint 
Taillé  dans  le  manteau  de  sa  philosophie  ! 

Abdiquons  devant  lui,  bourgeois,  notre  fierté  ; 
Ce  vieux  indépendant  n'eût  pas  troqué  sa  fange 
Contre  un  habit  doré,  sachant  perdre  à  l'échange 
Ce  bien  qu'il  ne  trouvait  qu'aux  champs  :  la  liberté  ! 


'C^^-', 


^>  hî---^  '^., 


HIPPOLYTE  DURAND 


LA    BRETAGNE 

T  |N  pays  nostalgique  où  croit  la  Fleur  du  Rêve! 
U    Un  sol  troué  de  rocs,  tel  un  pauvre  en  lambeaux, 
Et  des  oiseaux  de  deuil,  goélands  ou  corbeaux, 
Qui  vont  en  tournoyant  s'abattre  sur  la  grève. 

De  vastes  horizons ,  sous  un  ciel  gris  et  bas  ; 
Des  landes  et  des  bois  qui  sont  couleur  d'automne. 
Le  vent  se  lève  et  court  sur  la  mer  qui  moutonne  ; 
Des  barques  partiront  qui  ne  reviendront  pas  ! 

Et ,  surgissant  de  terre  ,  un  poème  de  pierre 

Yit  dans  le  granit  bleu  :  des  dolmens  ceints  de  lierre, 

Des  donjons  que  Ton  dit  de  fantômes  hantés , 

Des  tours ,  des  châteaux  forts ,  des  églises  sans  nombre 

Et  des  cloîtres  déserts  où  sommeillent  à  l'ombre 

Les  Reines  et  les  Preux,  dans  des  tombeaux  sculptés! 


*A> 


LÉON  DUROCHER 


BRETONS     TÊTUS 

TÉTLs!...Les  fils  d'Arvor  sont  têtus:  rieû  n'enchaine 
Leur  front  que  la  brise  âpre  et  vierg-e  rembrunit , 
Dur  ainsi  que  les  flancs  robustes  du  granit , 
Noueux  comme  l'écorce  intraitable  du  chêne. 
Tiens  bon!  tiens  bon,  Breton  têtu; 
0  peuple  indompté,  race  forte  , 
Ton  vieux  tronc  n'est  point  abattu, 
Ta  vieille  souche  n'est  pas  morte... 

Dans  les  chanq^s  remués  par  de  vagues  frissons. 
Les  Bretons  éblouis  par  l'aube  qui  s'allume 
Creusent  le  sol  ouvert  au  germe  des  moissons 
Et  poussent  en  chantant  le  bœuf  pesant  qui  fume. 

Creuse,  creuse,  Breton  têtu; 

Du  sein  de  la  terre  féconde 

S'élancera  l'épi...  Yois-tu 

Frémir  d'aise  sa  cime  blonde?... 


Mais  le  ciel  s'assoupit  dans  le  manteau  du  soir; 

L'automne  aux  fruits  dorés  a  visité  la  ferme , 

Et  la  pomme  g-émit  sous  l'effort  du  pressoir 

Que  les  vaillants  Bretons  tourmentent  d'un  bras  ferme. 


36         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Presse  ,  presse ,  Breton  têtu  : 
Verse  à  gros  bouillons  le  sourire 
Du  cidre  frais  dont  la  vertu 
Déborde  en  rustique  délire... 

Vive  la  mer  au  sein  grondeur,  au  front  mouvant. 
Et  vive  la  rafale  aux  éclats  de  trompette!... 
Dans  leur  hune  qui  grince  et  que  berce  le  vent , 
Le  col  nu,  les  Bretons  insultent  la  tempête. 

Gai  matelot,  Breton  têtu! 

Bois  l'embrun  à  pleine  narine  : 

De  sel  et  d'écume  vêtu, 

Découvre  ta  fauve  poitrine. 

Les  Bretons ,  souriant  à  l'appel  du  tambour, 
Marchent,  mêlant  à  son  crépitement  sonore 
Le  pimpant  souvenir  d'un  gai  refrain  d'amour, 
Sous  la  chaude  clarté  du  drapeau  tricolore. 

Marche  ,  marche ,  Breton  têtu  ! 

Dans  un  nuage  de  poussière 

Fais  rouler  le  casque  pointu 

Dont  l'orgueil  luit  sur  la  frontière. 

De  l'aurore  au  coucher  sinistre  du  soleil , 
Les  Bretons  lutteront,  loin  des  roses  bruyères, 
Parmi  les  fleurs  de  sang  au  calice  vermeil , 
Le  regard  étoile  du  reflet  des  bannières. 
Frappe ,  frappe ,  Breton  têtu  ! 
Frappe  ,  rebelle  à  la  souffrance  : 
Frappe!...  L'on  meurt,  jamais  battu. 
Quand  on  bataille  pour  la  France. 


BERNARD  D'ERM 


UN  SONNET 

AMI ,  tu  l'as  voulu  :  je  te  fais  un  sonnet. 
Rimer  quatorze  vers!  Conçois-tu  bien  ma  peine? 
Me  voilà  du  travail  au  moins  pour  la  semaine. 
En  y  songeant,  déjà  je  me  sens  frissonner. 

Du  courage!  Cherchons!  Pourrai-je  moissonner 
Quelques  mots  pas  trop  creux,  quelque  parole  saine? 
Je  veux  aller  au  bout...  Non!  mon  ardeur  est  vaine 
Et  Pégase  a  tôt  fait  de  me  désarçonner. 

La  chute  était  prévue  et  n'a  rien  qui  m'étonne  : 
Rimer  n'est  pas  mon  fait;  je  rampe,  je  tâtonne, 
Et  pourtant  je  me  mets  la  cervelle  à  l'envers. 


Mais  je  ne  puis  finir,  si  les  rimes  fidèles 
N'accourent  avec  toi  pour  terminer  mon  vers. 
Oh!  viens  à  mon  secours,  muse  des  Asphodèles  f 


o8  LE    PARNASSK    TIRETON    (.OMKA[PnRAIN. 


PENDANT   UNE  HEURE   TRISTE 

A  Henri  Droniou. 

LORSQUE  le  désespoir,  sous  son  manteau  de  givre, 
Nous  a  glacé  le  cœur;  quand  le  sombre  Avenir 
Ne  montre  que  chagrins,  luttes  à  soutenir 
A  l'œil  épouvanté  qui  veut  scruter  son  livre  ; 

Quand  on  est  las  de  tous  et  de  tout,  qu'on  est  ivre 

De  dégoût,  et  qu'on  sent  fatalement  venir 

La  haine  universelle,  avec  le  souvenir 

Des  coups  injustement  reçus!...  A  quoi  bon  vivre? 

Pourquoi  traîner  encor  cette  amère  rancœur? 
Qu'attendre  de  la  vie  et  du  monde  moqueur 
Qui  promet  le  plaisir  et  donne  la  souffrance  ? 

Mieux  vaut  se  laisser  choir  dans  l'inconnu  béant!... 
Salut,  dernier  refuge,  ô  Mort,  ô  Délivrance  I 
Toi  qui  seras  l'Oubli,  peut-être  le  Néant! 


HEKRI    FINISTERE 

(ADRIEN  OUDIN) 


AU    LION    DE    BELFORT 

(vers  écrits  a  la  nouvelle  de  l'échec  de  lang-son) 

A.  M.  Auguste  Bartholdi. 

QUAND  le  soleil  d'avril,  luisant  sur  le  grès  rose, 
Dessine  en  plein  relief  tes  musculeux  contours  ; 
Quand  le  sol  qu'en  flânant  la  Savoureuse  arrose, 
Au  souffle  du  printemps  rajeunit  ses  atours  ; 
Loin  de  prendre  plaisir  à  ces  apprêts  de  fête, 
Ton  front  parait  plus  sombre  et  ton  corps  plus  raidi, 
Et  tout  semble  rigide,  ô  lion,  sur  le  faîte 
Où  dans  Tàpre  rocher  t'a  rivé  Bartholdi. 

Mais,  si  les  bruits  du  jour  montaient  à  ton  oreille, 

Tu  frémirais  soudain  de  rage  et  de  douleur. 

Et  ta  voix,  dans  la  nuit,  retentirait,  pareille 

Au  sinistre  sanglot  d'un  oiseau  de  malheur  : 

—  ((  Hélas  !  gémirais-tu,  se  peut-il  qu'on  oublie  ? 

«  Revanche  est  un  vain  mot,  Quand  même  un  faux  dicton  ! 

c(  Chez  ce  peuple  léger  la  haine  est  affaiblie, 

«  Et  rien  ne  vibre  plus  au  cri  du  vieux  Caton  ! 


00  LK  PARNASSK  BRKTON  COMTKMPORAIN, 


«    Delend'i  CartJifigo  !  (yost   Berlin  qu'il  faut  prendre  ! 

u  A  quoi  bon  disperser  vos  forces  au  Tonkin? 

<(  L'Allemand  qui  vous  guette  est  fatigué  d'attendre  : 

u  II  regarde  Paris  quand  vous  fixez  Pékin. 

(<  Delejida  Carthagol  Contemplez  cette  engeance 

«  Accroupie  aux  genoux  du  chancelier  de  fer! 

«  Avez-vous,  dans  le  sang,  éteint  votre  vengeance  ? 

((   Ou,  damnés  de  la  honte,  aimez-vous  votre  enfer?    » 

—  Arrête  :  c'en  est  trop,  ta  fureur  est  injuste. 
Reste,  dans  le  repos,  comme  un  sphinx^  allongé. 
Quand  un  canonnier  pointe  ou  qu'un  tireur  ajuste, 
La  pièce  est  en  état,  le  fusil  est  chargé... 
Non!  nous  n'oublions  rien!  C'est  toujours  pour  la  France 
Qu'on  vainquit  à  Tunis,  qu'on  tombe  en  Orient, 
Qu'on  luttera  partout,  avec  cette  espérance 
Que  Strasbourg  et  que  Metz  attendent  en  priant. 

Nous  ne  l'acceptons  point,  ton  farouche  anathème  ; 
Le  sang  qui  coule  au  loin  n'est  pas  un  sang  perdu. 
Qu'importe  le  Jourdain  si,  du  rouge  baptême 
Le  flot,  qui  rend  la  force,  est  sur  nous  répandu  ? 
Laisse  tes  lionceaux  sortir  de  leur  tanière  ; 
Ils  reviendront,  grisés  par  l'horreur  du  sabbat, 
Et  te  diront  :  —  ((  Lion,  hérisse  ta  crinière  ! 
Debout  !  rui^is  à  l'aise,  et  marchons  au  combat  ! 


L'INVENTION  DU  SONNET 

L'Amoih,  entre  deux  madrigaux. 
De  Pau  raillait  les  vers  rustiques  : 
—  «  Te  tairas-tu,  dieu  des  fagots, 
«  Depuis  le  temps  que  tu  t'appliques 


HENRI    FINISTÈRE.  Gl 


«  A  moduler  sur  tes  pipeaux, 
«  Avec  des  sons  mélancoliques, 
«■  De  monotones  bucoliques 
«  Et  de  sempiternels  rondeaux  1 

—  «   Assez  I  dit  Pan,  le  front  morose. 
«  Ferais-tu  mieux,  critique  rose?  » 
L'Amour  sourit  d'un  air  moqueur, 

Et  de  son  carquois  qu'il  balance, 
Comme  un  trait  le  Sonnet, s'élance... 
Cupidon  est  toujours  vainqueur. 


JANUS 


JUPITER  a  vécu  ;  l'Olympe  est  resté  vide  ; 
Le  Temps  a,  de  sa  faux,  touché  les  Immortels, 
Déshonoré  leur  culte,  aboli  leurs  autels  ; 
Et  Yirg-ile  attristé  soupire  au  bras  d'Ovide. 

Cependant,  à  qui  sait,  contemplateur  avide. 
Repeupler  de  vivants,  cirques,  temples,  castels. 
Un  être  monstrueux,  aux  traits  sacramentels, 
Apparaît,  grimaçant,  sphinx  étrange  et  livide. 

—  «  Ton  nom?  spectre. —  Janus,  homme-dieu,  roi  latin. 
«  Paix  et  guerre,   passé,  futur,  soir  et  matin, 

«  Joie  et  deuil  sont  unis  en  mon  double  visage. 

—  «  Bien  :  le  calcul  est  vrai,  le  contraste  plaisant. 

«  Mais  pourquoi  ne  pas  faire,  humain  autant  que  sage, 
«  Dans  ton  masque  éternel  une  part  au  présent?  » 


62         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


LA  NISMOISE 

(sonnet    DEDUICT    SELONC    LE    GOUST   DES    VIEULX    FRANHOIS) 

A   Mme   A.  B, 

COMME  Proserpine  avant  sa  destresse, 
Comme  Hebe,  la  g-ente  aux  yeiilx  de  velours, 
Comme  Ampliitrite  en  ses  glauques  atours, 
Comme  l'Astarte,  tant  chière  traistresse  ; 

Comme  ung  doulx  perfum  fleurant  la  tendresse, 
Comme  ung-  oyselet  au  tems  des  amours, 
Comme  ung-  guay  soleil  dorant  les  beaux  jours, 
Comme  ung  pur  zepbir,  comme  une  caresse  : 

Par  aiusy  vrayment,  reluysant  dans  Fair, 
Engeole  et  seduict  vostre  soubris  cler  ; 
Dessoubs  le  visaige  on  void  briller  l'ame. 

Pour  lors,  ie  me  sens  tout  regoillardi. 

Comme  ung  cliat  frileulx  ronronne  à  la  flamme, 

Chaufant  ma  Bretaigne  à  vostre  Midy. 


FRANCIS  FLEURIOT  RERINOU 


LA  MORT  D'UN  LIGUEUR 


LE  comte  d'Yverlaiid  était  homme  de  cœm-  ; 
Il  l'avait  bien  prouvé  dans  quatorze  batailles, 
Où  son  parti  toujours  avait  été  vainqueur. 
Or,  il  lutte  aujourd'hui  pour  la  Ligue  et  Mercœur, 
Enfermé  dans  son  vieux  chAteau  de  Cornouailles. 


Il  a  tenu  vingt  jours  contre  les  Huguenots 
Avec  deux  cents  guerriers  et  d'ardentes  prières, 
Pointant  contre  eux  ses  longs  et  rudes  fauconneaux, 
Les  criblant  de  boulets  à  travers  ses  créneaux, 
De  balles,  à  travers  ses  fines  meurtrières. 


Mais  vainement  l'ardent  ligueur  a  combattu  ; 
Ses  hommes  sont  tombés  et  la  brèche  est  ouverte  ; 
Aucun  secours  humain  du  dehors  n'est  venu... 
Ayant  fait  son  devoir,  le  vieux  château  s'est  tu 
Avec  ses  dix  canons  coulés  en  fonte  verte. 


Gi  LE    l'ARNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 

Ce  soir,  près  des  créneaux,  Yverland  est  debout, 
Cuirasse  au  corps,  un  feutre  au  front  ceint  d'une  plume. 
Les  ennemis,  nombreux  et  forts,  l'ont  mis  à  bout  : 
Il  a  tout  employé  contre  leurs  assauts,  tout!... 
Il  regarde  le  ciel  où  le  couchant  s'allume. 

Sa  jeune  femme  est  là  qui  contemple,  en  rêvant. 

Son  mari  brave  et  beau,  comme  elle  est  brave  et  belle; 

Ils  se  sont  épousés  six  mois  auparavant, 

Croyant,  dans  un  mirage  au  charme  décevant. 

Que  la  joie  ici-bas  nous  demeurait  fidèle. 

Mais  les  instants  passaient  sans  trêve  ni  merci. 
Le  comte  d'Yverland  se  tourna  vers  sa  femme 
Et  dit  :  «  Renée,  il  faut  nous  séparer  ici  !...  » 
Levant  son  beau  regard  par  les  pleurs  obscurci. 
Elle  lui  répondit  :  «  Vous  connaissez  mon  Ame  ; 

«  Yous  savez  cpie  jamais  je  ne  vivrai  sans  vous  !  » 

Le  jeune  et  noble  comte  eut  un  triste  sourire  : 

«  Oui,  dit-il,  je  le  sais,  vivre  ensemble  est  bien  doux; 

((  Mais  mourir  ?  Yotre  cŒ'ur  est-il  assez  jaloux 

«  Pour  vouloir  partager  la  tombe  où  Dieu  m'attire  ? 

«  Je  suis  perdu  !...  Me  rendre  ou  mourir,  il  le  faut  : 
((  Presque  tous  mes  soldats  sont  tombés  dans  la  lande. 
«  Les  païens  ont  la  rage  au  corps  et  le  cœur  chaud  ; 
«  Demain,  au  point  du  jour,  ils  tenteront  l'assaut. 
((  C'est  fini!...  —  «  Quel  est  donc  celui  qui  les  commande? 

«  Révélez-moi  ce  nom  que  vous  taisez  toujours.  » 
—  '(  C'est  Tanneguy  du  Ker. ..  »  Il  se  fit  un  silence. 
Renée  alors  revit  l'éclat  des  anciens  jours. 
Son  mépris  pour  du  Ker,  et  ses  nobles  amours 
Pour  Yverland  rempli  d'honneur  et  de  vaillance. 


F.    FLEURIOT    KERINOU.  6S 


Puis  du  Ker  furieux  et  maudissant  le  sort, 

Se  faisant  huguenot  en  haine  de  Renée... 

Or,  maintenant,  bloquant  dans  le  vieux  château  fort 

Ces  deux  êtres  charmants,  il  veut  les  mettre  à  mort 

Pour  assouvir  Tardeur  de  sa  haine  effrénée. 


«  Écoute-moi,  Renée,  encor.  Tu  me  connais  : 
«  Pour  la  gloire  et  pour  toi,  souvent,  l'àme  ravie, 
«  J'ai  des  labeurs  guerriers  endossé  le  harnais  ; 
«  Mais,  plutôt  que  tomber  aux  mains  du  Béarnais, 
«  Je  te  le  jure  ici,  je  briserai  ma  vie.   » 

La  jeune  femme  dit  :  «  Attends  encore  un  peu  !  » 

—  «  Non ,  non  ,  tous  les  délais  expirent  à  cette  heure  ; 

«  C'est  fini.  Je  ne  veux  pas  même  faire  un  vœu. 

«  Le  maitre  de  la  Ligue  est  non  Mercœur,  mais  Dieu  ; 

«   S'il  ne  me  secourt  pas,  c'est  qu'il  veut  que  je  meure.  » 

Or,  au  bas  du  donjon,  une  porte  de  fer 

S'ouvre  en  un  souterrain  secret  :  «  Fuis  là,  te  dis-je.» 

La  Bretonne  hésitait,  car  son  cœur  était  fier. 

Elle  porta  les  yeux  sur  les  champs  et  la  mer, 

Comptant  sur  un  secours,  espérant  un  prodige. 

Mais  elle  n'aperçut,  au  lointain  des  forêts, 

Dont  les  arbres  semblaient  comme  de  noirs  fantômes, 

Que  les  chevau-légers,  gens  d'armes,  argoulets, 

Dont  les  piques  lançaient  de  tragiques  reflets... 

Et  de  leurs  rangs  serrés  montait  le  chant  des  psaumes. 

Puis,  elle  regarda  d'Yverland  à  son  tour  : 

Elle  le  vit  paisible  à  cette  heure  suprême, 

"Si  noble,  fier  et  grand  sur  cette  vieille  tour. 

Que,  méprisant  la  vie  et  toute  à  son  amour. 

Elle  bondit  vers  lui,  criant  tout  haut  :  «  Je  t'aime,  » 

5 


66         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Le  Ligueiu'  un  instant  resta  silencieux  ; 

Puis  ouvrant  les  deux  bras,  il  dit  :  «  Viens,  mon  hermine  ; 

((  Pour  jamais,  nous  allons  nous  unir  dans  les  cieux!  » 

Et  l'éclair  du  bonheur  illumina  ses  yeux, 

Quand  il  tint  son  trésor  pressé  sur  sa  poitrine. 

Or,  Tanneguy  du  Ker,  environné  des  siens, 

Se  tenait  comme  un  tigre  à  raffut  de  sa  proie  ; 

Il  regardait  le  haut  castel  aux  murs  anciens  ; 

Puis,  parfois,  en  lui-même  il  disait  :  «  Je  les  tiens...  » 

Et  son  front  trahissait  une  infernale  joie. 

Soudain,  une  lueur  monta  subitement, 
Illuminant  les  bois  et  les  landes  prochaines  ; 
Elle  grandit  sublime  et  rouge  en  un  moment, 
Projetant  ses  éclairs  des  tours  au  firmament, 
Ecrasant  les  remparts,  déracinant  les  chênes. 

Enfin,  un  bruit  tonna,  terrible  et  destructeur, 
Fendant  les  rocs,  gontlant  les  flots  de  la  mer  haute. 
Frappant  les  Huguenots  d'une  immense  terreur. 
Du  Ker  tordit  les  poings  et  rugit  de  fureur  : 
«  Mille  enfers  !  cria-t-il,  c'est  le  château  qui  saute  !  » 

Le  lendemain ,  à  l'heure  où  l'aube  prend  l'essor. 
Furieux  d'avoir  vu  son  attente  trompée. 
Errant  par  les  débris  noirs  et  fumant  encor. 
Il  vit,  sous  une  croix  étincelante  d'or, 
Des  cheveux  blonds  auprès  d'une  garde  d'épée. 


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MADEMOISELLE  ZÉi\AIDE  FLEURIOT 


IL  EST  HOUX  DE  MOURIR 

IL  est  doux  de  mourir!  L'Ange  de  l'Espérance 
Au  chevet  du  chrétien  apparaît  cahiie  et  fort. 
0  triste  humanité  !  chante  ta  déUvrance 
Et  souris  en  tomhant  dans  les  bras  de  la  Mort. 

Mourir  !  c'est  déchirer  la  pesante  tunique 
Qui  captive  notre  àme  en  ses  épais  replis  ; 
C'est  voir  se  dérouler  l'horizon  magnifique 
Que  notre  langue  infirme  appelle  Paradis. 

Mourir  !  c'est  voir  crouler  la  cabane  d'argile 
Où  notre  être  immortel  frissonne  à  tous  les  vents  ; 
C'est  sentir  se  briser,  comme  un  cristal  fragile ,  : 
Un  cœur  mortel,  tenté  de  bonheurs  décevants. 

Mourir  !  c'est  déployer  librement  ses  deux  ailes  ; 
C'est  planer  au-dessus  de  ce  terrestre  enfer  ; 
C'est  ouvrir  son  regard  aux  clartés  éternelles , 
Après  qu'on  a  vécu,  c'est-à-dire  souffert. 


68         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Mourir!  c'est  deviner  rénigine  redoutable 
Des  jours  courts  et  mauvais  que  nous  avons  vécus  ; 
C'est  connaître  pourquoi,  sur  ce  monceau  de  sable, 
Ce  sont  parfois  les  bons  que  le  sort  a  vaincus. 

Mourir  !  c'est  retrouver  son  élément,  sa  place  ; 
C'est  s'asseoir  pour  toujours  à  l'éternel  foyer. 
Mourir  !  c'est  rencontrer  notre  Dieu  face  à  face , 
Et  c'est  dans  l'Infini  pour  jamais  se  noyer. 

Il  est  doux  de  mourir  !  L'Ange  de  l'Espérance 
Au  clievet  du  chrétien  apparaît  calme  et  fort. 
0  triste  humanité  !  chante  ta  délivrance 
Et  souris  en  tombant  dans  les  bras  de  la  Mort. 


DEVANT  LE  SAINT  AUGUSTIN  D'ART  SCHEFFER 

A  la  Révérendo  Mère  *** 

LA  grâce  est  triomphante ,  et ,  par  elle  dompté , 
Augustin  suit  Monique  aux  régions  de  lumière  : 
Dieu,  l'Amour  absolu,  Dieu,  la  Beauté  première, 
Saisit,  dans  son  élan,  ce  grand  cœur  agité. 

Et  les  voici,  tous  deux,  devant  l'immensité, 
Au  bord  de  cette  mer  dont  la  rumeur  profonde 
Semble  un  gémissement,   comme  si,  dans  cette  onde, 
Passait  en  sanglotant  la  triste  humanité  ! 


MADEMOISELLE    ZÉNAÏDE    FLEURIOT.  69 

Sur  ces  beaux  fronts  d'élus  quelle  sérénité  ! 
0  mères,  méditez  cette  leçon  sublime  : 
La  prière  et  les  pleurs  l'ont  repris  à  l'abîme... 
Séparés...  puis  unis  pour  une  éternité  I 

Les  voilà ,  savourant  leur  immortalité , 
Paisibles  et  rêveurs,  affamés  d'immuable, 
Détournant  leurs  regards  du  monde  misérable , 
Où  tout  s'use,  où  tout  meurt,  où  tout  est  vanité... 


STABAT  MATER 

(tableau    de     PAUL     DEL  A  ROC  II  e) 

DEVANT  ces  yeux  sans  pleurs  et  ces  lèvres  sans  cris, 
Chrétiennes  qui  souffrez,  étouffez  le  murmure. 
La  douleur,  la  voilà  !  la  douleur  sans  mesure  : 
La  souffrance  et  l'amour  divinement  compris  ! 

(Les  mauvais  jours.) 


JACQUES  1 LEURY 


ROTHENEUF 


(fragment) 


A  ma  fille  Henriette. 


SUR  les  bords  de  la  Manche,  auprès  de  Saint-Malo, 
J'ai  placé  mon  castel  au  détour  d'un  ilôt. 
La  mer,  de  siècle  en  siècle,  a  rongé  la  falaise 
Pour  coucher  mollement  et  bercer  plus  à  l'aise 
La  vague  fatiguée  aux  coups  de  tous  les  vents. 
Entre  deux  rocs  aigus,  quelques  sables  mouvants, 
Sous  l'assaut  éternel  des  flots,  de  la  tempête. 
Ont  fléchi,  puis  croulé  de  la  base  à  la  tête. 
Laissant  un  grand  sillage  ouvert  au  choc  des  eaux. 
Comme  un  vallon  se  creuse  au  pied  de  deux  coteaux. 
L'Océan,  goutte  à  goutte,  élargit  l'ouverture, 
Créa  le  petit  havre,  orné  d'une  ceinture 
De  caps  inoflensifs,  de  pointes,  de  rochers^ 
Où  l'on  voit  s'abriter  la  barque  des  nochers. 
A  peine  est-ce  la  mer,  c'est  plutôt  une  esquisse, 
L'image  en  raccourci  d'un  beau  lac  de  la  Suisse. 
J'ai  mis  là  mon  logis  coquet,  mignon,  tout  neuf, 
Un  peu  loin  du  village.  Il  a  nom  Rothéneuf. 
En  face  du  goulet,  sur  un  terfre,  il  élève 
Ses  balcons  ajourés  qui  dominent  la  grève. 


JACQUES    FLEURY.  71 


L'œil  étonné,  ravi,  tourne  et  flotte  incertain 

Sur  les  brillants  tableaux  qui  parent  le  lointain. 

A  l'endroit  où  la  mer  dans  ses  bornes  s'irrite, 

On  voit  à  l'horizon  l'Océan  sans  limite 

Marier  ses  flots  bleus  à  la  voûte  du  ciel 

Et  prendre  au  firmament  un  baiser  immortel. 

Le  canot  du  pêcheur  sous  la  voilure  blanche 

Suit  le  souffle  du  vent,  se  couche  sur  la  hanche, 

Pareil  à  l'alcyon  par  l'onde  balancé. 

S'en  va  de  lame  en  lame  à  peine  cadencé  ; 

Tandis  que  du  steamer  la  masse  lourde  et  sombre 

S'enfuit  et  disparait  et  sème  comme  une  ombre, 

Sur  l'écume  des  flots  haletants  de  stupeur. 

Les  nuages  épais  de  sa  noire  vapeur. 


Sur  les  eaux  étendue,  au  loin,  lile  Besnard 
Aux  assauts  de  la  Manche  oppose  un  fier  rempart. 
Ce  pilier  de  granit  aux  flancs  nus  et  sauvages 
Rappelle  éloquemment  la  lutte  des  orages. 
A  ses  pieds  dédaigneux,  des  rocs  que  les  Titans 
Dans  leur  fuite  ont  laissés  pour  témoins  éclatants, 
L'un  sur  l'autre  entassés  dans  un  désordre  informe, 
Font  reculer  les  flots  devant  leur  masse  énorme. 
Là,  le  pic  de  la  Chèvre  enfoncé  comme  un  coin 
Semble  dire  à  la  mer  :  tu  n'iras  pas  plus  loin  ! 
Là,  des  blondes  moissons  couvrent  la  cime  altière; 
Ici,  la  lande  étale  un  tapis  de  bruyère. 
Revêt  de  pourpre  et  d'or  la  pente  du  coteau, 
Peint  sur  le  noir  rocher  les  fleurs  de  son  manteau. 

(Réveils  poétiques.) 


FRÉDÉRIC  FONTENELLE 

(FRÉDÉRIC  LE  GUYADER) 


GLOIRE  A  LA  LANGUE  CELTIQUE 

Hommage  à  M.  F. -M.  Luzel. 

LE  Celte  se  parlait,  clans  sa  beauté  première, 
Sous  le  ciel  d'Orient,  d'où  vient  toute  lumière. 
Il  a  couru  le  monde  avec  les  conquérants, 
Il  a  suivi  le  flot  des  vieux  peuples  errants. 
Et  fier,  libre,  invaincu,  farouche  et  solitaire, 
S'est  fait  une  patrie  aux  confins  de  la  terre. 

Nul  dialecte  humain  n'est  plus  noble  que  lui. 
Vieux  comme  l'homme,  il  est  encor  jeune  aujourd'hui. 
Aussi,  quelle  vigueur,  quelle  force  est  la  sienne! 
Dans  ses  virilités,  on  sent  la  sève  ancienne. 
On  croit  entendre  comme  un  écho  souverain 
Des  peuples  qui,  naguère,  ont  vu  l'âge  d'airain. 
Il  n'a  point  la  douceur  des  langues  éphémères, 
Mais  l'accent  guttural  et  dur  des  langues  mères. 
Ceux  qui  l'ont  enfanté  dans  leur  cerveau  puissant 
Etaient  d'âpres  guerriers  et  des  hommes  de  sang. 


FRKOKRIC    rONTKNKLLE.  73 

—  Non,  ce  n'est  point  le  chant  cadencé  de  Mireille, 
Ce  chant  sonore  et  doux  qui  caresse  l'oreille, 
Patois  charmant  des  bruns  félibres  chevelus , 
Né  d'hier,  et  qui,  demain,  ne  se  parlera  plus. 
Le  Celte,  sans  détour,  sans  vaine  fioriture, 
Est  rude,  honnête,  franc,  brutal.  Il  est  nature. 
Homère  eût  emprunté  ses  vocables  railleurs 
Pour  outrer  les  discours  des  Ajax  batailleurs. 
Juvénal,  pour  fouetter  les  empereurs  infâmes  , 
Eût  pu  prendre  leçon  près  de  nos  vieilles  femmes, 
Qui ,  l'écume  à  la  bouche  et  le  sang-  dans  les  yeux. 
Font  voler  l'hyperbole  en  verbes  furieux. 
Rabelais  ,  ce  (uiulois ,  amoureux  de  la  Grèce , 
Aurait  trouvé  chez  nous  des  mots  de  haulte  gresse  , 
Des  devis  pimentés,  des  farces  de  conteurs, 
Dont  il  eût  enrichi  ses  livres  enchanteurs. 

Ah  !  cette  langue-là  ne  doit  rien  à  personne  ! 
Depuis  quelques  mille  ans,  sou  dur  accent  résonne. 
Durant  cinq  siècles,  Rome  avec  elle  a  compté. 
Et  s'est  heurtée  en  vain  à  son  rythme  indompté. 
Les  conquérants  Romains,  leur  orgueil,  leur  victoire. 
Dorment  dans  le  linceul  qu'a  recousu  l'Histoire  : 
Les  Césars  ne  sont  plus,  et  le  latin  est  mort... 
Mais  le  breton  se  parle  aux  rives  de  l'Armor. 
Caprice  singulier  des  fortunes  humaines  ! 
Oui,  l'écho  foudroyant  de  ces  gloires  romaines, 
La  langue  des  Césars ,  des  Brutus ,  des  Catons , 
Est  morte,  et  nous  parlons  le  celte,  nous,  Bretons  ! 

0  langue  glorieuse  !  ô  langue  maternelle  ! 

Tu  semblés,  dans  les  temps,  devoir  être  éternelle: 

Victrice  des  vainqueurs  et  des  invasions , 

Tu  peux  servir  d'exemple  aux  vieilles  nations. 

Tu  restes  réfractaire  au  mélange  des  races  : 

Les  avides  Romains  et  les  Northmans  voraces , 


74         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Les  hardis  Espagnols ,  les  Anglais  ennemis  , 

Ont  souillé  notre  sol  et  ne  Tout  point  soumis. 

0  vieille  langue  !  avec  tes  allures  sauvages 

Tu  survis  aux  rochers  qui  peuplent  nos  rivages  ; 

Tu  résistes  !  mais  eux ,  ces  lâches  de  granit , 

Se  laissent  entamer  par  le  flot  qui  hennit  ; 

Ils  s'émiettent,  jetant  au  vent  leurs  grains  de  sahle, 

Pendant  que  toi,  du  moins,  tu  vis  impérissable! 


LE  COMBAT  DE    LA    POINTE   SAINT-MATHIEU 

(1513) 

HERVÉ  de  Portzmoguer  montait  la  Cordelière , 
Une  frégate  à  cent  canons,  fine  voilière. 
Toute  neuve ,  sortant  des  chantiers  de  Morlaix , 
Qui  nous  coiitatrès  cher,  mais  moins  cher  qu'aux  Anglais. . . 
En  vain ,  durant  des  mois ,  le  vaillant  capitaine 
Promena  dans  leurs  eaux  sa  croisière  lointaine , 
Et  l'on  disait  déjà  partout  que  Portzmoguer, 
Avec  son  vaisseau  neuf,  avait  purgé  la  mer. 
Quand,  un  jour,  l'amiral  anglais  se  crut  de  taille 
A  venir  aux  Bretons  présenter  la  bataille. 
L'endroit  de  l'Océan  où  le  combat  eut  lieu 
Est  terrible  :  c'était  en  face  Saint-Mathieu , 
A  Penn-ar-Bed,  qui  veut  dire  Fin  de  la  Terre. 
C'est  là  qu'on  rencontra  la  flotte  d'Angleterre, 
Au  fond,  là-bas,  devant  Brest  et  son  noir  Goulet, 
Le  Toulinguet  hurlait,  sous  la  mer  qui  roulait. 
Un  gros  vent  de  Noroit,  soufflant  sa  froide  haleine, 
Arrivait  par-dessus  Ouessant  et  Molène. 
A  droite,  l'horizon,  comme  une  ligne  en  deuil, 
Montrait  le  Raz-de-Sein,  ce  formidable  écueil 


FRÉDÉRIC    FONTENELLE.  75 

Qui  berce,  à  lui  tout  seul,  sous  les  plis  de  son  onde, 

Plus  de  morts  qu'à  la  fois  tous  les  écueils  du  monde. 

Portzmoguer,  carrément,  courut  droit  sur  l'Anglais, 

Et,  sitôt,  commença  la  danse  des  boulets, 

Danse  où  la  Cordelière  allait  faire  merveille 

Avec  ses  cent  canons  frais  fondus  de  la  veille. 

Les  cent  gueules  d'airain,  par  cent  sabords  ouverts, 

A  bâbord  et  tribord  balayaient  les  flots  verts. 

Or,  la  bonne  frégate,  avec  quelque  imprudence, 

Sans  compter  les  Saozons  était  entrée  en  danse. 

Elle  se  fit  un  jeu  de  mettre  au  fond  de  l'eau 

Maint  petit  galion  et  maint  méchant  brûlot 

Qui  voulaient,  s'il  vous  plaît,  la  trouvant  très  mignonne, 

Caresser  de  trop  près  la  pimpante  Bretonne. 

Mais  d'autres  survenaient  ,  et  puis  d'autres  encor, 

Ayant  en  tète  un  beau  vaisseau  chamarré  d'or. 

Majestueux  et  haut  comme  une  cathédrale... 

Portzmoguer  reconnut  la  frégate  amirale. 

C'est  elle  qu'il  cherchait!  elle  était  sous  ses  yeux. 

Il  se  frotta  les  mains  avec  un  air  joyeux. 

Bientôt  les  deux  vaisseaux,  amenant  leur  voilure, 

S'envoyaient  leur  bordée  à  moins  d'une  encablure. 

Et  la  mer,  et  le  ciel ,  et  la  terre  d'iVrmor 

Furent  témoins  d'un  duel  qui  fut  un  duel  à  mort. 

Dieu  sait  combien  de  temps  les  monstres  combattirent. 

Mais  les  haines,  au  feu,  s'attisent  et  s'attirent  : 

Noirs  de  poudre  ,  n'ayant  plus  rien  d'êtres  humains  , 

Tous  brûlaient  de  se  joindre  et  d'en  venir  aux  mains. 

Il  fut  terrifiant,  le  choc  des  deux  colosses , 

Quand  on  vit,  allongeant  leurs  gueules  de  molosses, 

La  Cordelière  et  la  Régente  bord  à  bord. 

Alors,  on  s'empoigna  de  sabord  à  sabord, 

Tuerie  à  bout  portant,  sauvage  et  meurtrière... 

Portzmoguer,  l'œil  à  tout,  sur  le  gaillard  d'arrière, 

Rayonnait...  Tout  d'un  coup,  pâle,  il  crispa  ses  poings  : 

La  Cordelière  était  en  feu  sur  quatre  points! 


70  LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Son  beau  vaisseau  tout  neuf  se  chang-eait  en  fournaise! 

Un  hourrah  retentit  sur  la  frég-ate  anglaise 

Qui,  triomphante  alors,  dégag-ea  son  avant, 

Recula  ,  se  couvrit  de  toile ,  et  prit  le  vent. 

0  rage  !  la  Régente  était  victorieuse  ! 

La  voilà  qui  partait ,  superbe  et  glorieuse  ! 

Et  le  vaisseau  de  la  reine  Anne,  tout  fumant, 

Inutile,  était  là,   qui  brûlait  lentement... 

Allons ,  si  la  victoire  aux  Bretons  est  ravie , 

L'honneur  est  sauf  !  Et  Brest  est  tout  près...  C'est  la  vie... 

—  La  vie?...  Il  s'agit  bien  de  cela!  Portzmoguer 

Voyait ,  voyait,  là-bas,  gagnant  la  haute  mer, 

La  Régente  à  ses  mâts  déployant  l'oriflamme... 

Et  Portzmoguer  sentait  qu'elle  emportait  son  âme  ! 

Ah!  ce  ne  fut  pas  long! —  «  Toutes  voiles  dehors!  » 

S'écria-t-il ,  «  et  droit  sur  les  Saozous  !  »  Alors , 

L'Anglais  vit,  sur  la  mer,  grandir  la  Cordelière. 

C'était ,  nous  l'avons  dit ,  une  riche  voilière , 

Servie  avec  amour  par  ses  bons  matelots. 

Elle  ouvrit  sa  voilure  immense  sur  les  flots. 

Sa  coque  tout  en  feu,  qui  craquait  dans  les  flammes. 

Sinistre,  bondissait,  ensanglantant  les  lames... 

Tragique  et  prompt,  le  choc  inéluctable  eut  lieu. 

Effroyable  d'horreur,  la  Cordelière  en  feu 

Mordit  de  ses  grappins  les  flancs  de  sa  rivale. 

Et  la  flamme  ,  tordant  ses  nœuds  dans  la  rafale, 

Allumant  un  brasier  immense  sur  les  eaux, 

S'éleva,  monstrueuse,  autour  des  deux  vaisseaux. 

0  mânes  des  Surcouf  et  des  Bisson  stoïques! 

0  soldats  de  la  mer!  ô  marins  héroïques! 

]\ul  de  vous  n'est  plus  grand  que  le  grand  Portzmoguer 

Qui,  tranquille,  attendant  la  mort,  l'œil  calme  et  fier, 

La  reçut  dans  un  coup  de  foudre  grandiose. 

Emporté  comme  un  Dieu  dans  une  apothéose  ! 

{La  Reine  Anne,  XI.) 


FRANCIS  GAHEL 


(EDMOND  ESTEVE) 


COUCHER  DE  SOLEIL 

PAS  un  souffle  dans  l'air  :  nulle  feuille  ne  houg-e. 
Au-dessus  des  grands  bois  flotte  une  frange  rouge. 
La  route  est  grise,  et  court  à  travers  les  guérets. 
Tout  le  long  de  la  haie,  un  vieux,  aux  traits  tirés 
Par  soixante  dix  ans  de  misères  obscures, 
Et  que  l'âge,  doublé  des  fatigues  trop  dures, 
A  courbé  presque  en  deux  sur  son  bâton  de  houx, 
Chemine  lentement,  en  tremblant  des  genoux. 
Il  ne  regarde  pas  les  cieux,  où  la  lumière 
Décroit,  tant  il  connaît  leur  splendeur  coutumière, 
Tant  il  a  vu  descendre  et  mourir  de  soleils. 
Et  tandis  qu'il  s'en  va,  parmi  les  champs  vermeils, 
Vers  l'horizon  de  pourpre  où  l'astre  en  feu  se  plonge, 
Son  ombre  sur  le  sol  est  plus  pâle,  et  s'allonge. 


GUSTAVE    GEFFROY 


LES  CANCALAISES 


^ 


TOMS  ne  ressemblez  pas,  pêcheuses  de  Cancale, 
Aux  portraits  mensongers   sig-ués   Feyen-Perrin, 
Habitant  sans  le  voir  le  dur  pays  marin. 
—  Nul  n'a  su  pénétrer  votre  race  locale. 


Vous  ne  possédez  pas  la  grâce  musicale, 
L'allure  de  théâtre  et  les  rubans  au  rein. 
Vous  entrez  dans  la  tangue  en  sortant  du  purin, 
Vous  fleurez  le  limon,  le  goudron  de  la  cale. 

Votre  démarche  est  lourde,  et  vous  marquez  le  pas 
Dans  des  bottes  de  bois,  massives  et  boueuses. 
Ainsi  vous  marcherez  jusqu'à  votre  trépas. 

Pourtant,  en  vous  voyant,  les  tristes,  les  rieuses, 
Le  Désir  curieux  cherche  des  amoureuses 
Dans  vos  corps  d'ouvriers  aux  farouches  appas  ! 


MADEMOISELLE  LOUISE  GIQLEL 


BRETAGNE  ET  PROVENCE 


4     m 
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mes  pieds,  Tocéan  qui  mugit  et  qui  gronde, 
'écume  recouvrant  les  rocs  amoncelés; 
Sur  ma  tète  un  ciel  sombre,  où  courent  affolés 
De  grands  nuages  noirs...  et  le  fracas  de  Tonde 
Mêlant  au  bruit  des  vents  ses  appels  désolés... 


La  Torche  de  Penmarcli   s'allongeait  menaçante; 
Au  loin  j'apercevais  l'Anse  des  Trépassés; 
Et  sur  le  bord  des  flots  je  croyais  voir  dressés, 
Leur  long  suaire  au  vent,  la  face  grimaçante. 
Tous  les  morts  d'autrefois,  aujourd'hui  délaissés! 


Et  pourtant  je  rêvais  du  soleil  de  Provence, 
Revêtant  les  fruits  d'or  de  ses  rayons  de  feu  ; 
Je  cueillais  ses  lilas,  et  j'aspirais  d'avance 
Ses  enivrants  parfums,  sous  un  ciel  toujours  bleu. 


80  LE   PARNASSE   BRETON    CONTEMPORAIN, 

l:lt  là-bas,  la  forêt  agitait  avec  rag-e 

Ses  grands  bras  décharnés  tordus  par  les  autans; 

Et,  comme  pour  braver  leurs  efforts  insultants, 

Le  chêne,  plus  altier,  luttait  avec  l'orage 

Et  semblait  se  grandir  des  injures  du  temps. 

Parfois  un  rouge  éclair  embrasait  tout  l'espace, 
Eclairant  des  forêts  les  mornes  profondeurs; 
Et  je  croyais  encore,  à  ses  vives  lueurs. 
Apercevoir  dans  l'ombre  un  druide  qui  passe, 
Pour  offrir  au  dolmen  du  sang  avec  des  pleurs. 

Et  pourtant  je  rêvais  du  soleil  de  Provence, 
Revêtant  les  fruits  d'or  de  ses  rayons  de  feu; 
Je  cueillais  ses  lilas,  et  j'aspirais  d'avance 
Ses  enivrants  parfums,  sous  un  ciel  toujours  bleu. 

Sur  la  lande  déserte,  au  bruit  de  la  rafale, 
Accouraient  à  l'envi,  portés  par  l'ouragan   : 
Le  nain,  le  poulpiquet,  le  sombre  Korrigan  ; 
Et  tous,  s'entrelaçant  dans  la  ronde  infernale, 
Jetaient  ces  cris  aigus  dont  rugit  l'océan. 

Partout,  autour  de  moi,  quelle  étrange  harmonie! 
Tout  a  pris  une  voix  :  le  vent,  les  rocs,  les  flots.  .  . 
Tout  vibre.  Tout  se  tord.  Ce  sont  de  longs  sanglots: 
Des  gémissements  sourds;  une  plainte  infinie.  .  . 
On  dirait  que  tout  va  rentrer  dans  le  chaos. 

Et  pourtant,  moi,  je  rêve  au  soleil  de  Provence, 
Revêtant  les  fruits  d'or  de  ses  rayons  de  feu; 
Je  cueille  ses  lilas,  et  j'aspire  d'avance 
Ses  enivrants  parfums,  sous  un  ciel  toujours  bleu! 


iî3* 


.E^g^P^^^^q 


OLIVIER  DE   GOURCUFF 


LA  MORT  DE  LEONARD 

(Drame.  Scène  IV,  fragment.) 


Léonard 

DÉLIE,  écoutez-moi.  Je  viens  de  faire  un  rêve  : 
A  notre  sort  ingrat  Dieu  donnait  une  trêve  ; 
Nous  étions  au  pays  ;  un  repos  enchanteur 
Baignait  tous  les  objets  ;  nous  gagnions  la  hauteur 
D'où  l'œil  s'égare  au  loin  sur  d'immenses  vallées 
Ceintes  de  bois  fleuris,  de  verdure  drapées; 
Une  source  coulait  dans  un  enfoncement  ; 
Les  bananiers,  avec  un  doux  frémissement, 
Au-dessus  de  l'eau  vive  inclinaient  leur  feuillage; 
Je  découvris,  blottie  à  demi  sous  l'omlirage, 
Une  cabane,  où  le  rêveur  et  l'amoureux 
?s''avaient  qu'à  se  laisser  vivre  pour  être  heureux; 
Le  charme  et  la  fraîcheur  de  ce  site  champêtre. 
D'une  joie  inconnue  inondaient  tout  mon  être. 
On  eût  dit  le  climat  de  France,  et  le  raisin 
Y  mûrissait  entre  la  rose  et  le  jasmin. 
Le  logis  convenait  à  notre  lassitude, 
Vous  faisiez  l'ornement  de  cette  solitude , 
Je  vous  y  cachais  comme  un  ladre  son  trésor. 
C'était  la  Thessalie  et  son  bel  âge  d'or. 


82  le  parnasse  breton  contemporain. 

Délie 

Laisse  chanter  ta  muse,  ù  rêveur,  ô  poète, 

Les  chants  apaiseront  ton  angoisse  nuiette; 

Caresse  ta  chimère  adorable  et  revois 

La  campagne  natale  accourue  à  ta  voix. 

Te  souvient-il  aussi  d'une  double  colline, 

Qui,  par  de  doux  sentiers,  jusqu'au  fleuve  s'incline? 

C'est  l'automne  déjà,  des  nuages  très  bas 

Flottent  à  l'Orient  dans  un  fond  de  lilas. 

Sur  le  seuil  égayé  d'une  maison  rustique 

Tu  m'attends;  le  parfum  de  ta  chère  Amérique 

S'exhale  de  ce  lieu  tout  voisin  de  Paris  ; 

Jusqu'aux  noms  étrangers  que  les  arbres  ont  pris. 

Tout  à  l'heure,  abordant  à  ce  lointain  rivage, 

L'imagination  refaisait  le  voyage  ; 

A  travers  les  grands  bois,  à  l'ombre  des  palmiers, 

Sur  ton  front  pur  neigeait  la  fleur  de  nos  pommiers. 


SUR    UNE    VIEILLE   PENDULE 


A  Araïaiid  Silvestre. 


DANS  un  réduit  hospitalier 
J'ai  revu  la  vieille  pendule 
Qui,  de  son  tic  tac  familier, 
Berça  mon  enfance  crédule. 

Elle  est  carrée,  et  toute  en  bois, 
Elle  est  un  peu  lourde  et  massive , 
Et  vous  la  diriez,  cluKjue  fois 
Qu'elle  sonne  ,  ;\  moitié  poussive. 


OLIVIER    BK    GOUHCLFF.  ^^ 


Son  mouvement  est  rauque  et  fort , 
Il  moud  des  sons  comme  une  roue 
De  moulin  qui  grince,  ou  l'effort 
D'un  vieux  coq  qui  chante  et  s'enroue. 

Sonnant,  marchant  à  pas  comptés, 
L'utile  et  l'honnête  servante 
Dédaigne  les  mondanités 
D'une  musique  trop  savante. 

A  nos  yeux  seuls  gardant  son  prix , 
Elle  n'a,  l'humble  ménagère, 
Rien  de  l'article  de  Paris, 
Rien  du  bibelot  d'étagère. 


Et  l'épais  soudard  allemand. 
Le  pillard  aux  longues  oreilles , 
L'eût  exilée  obscurément; 
Il  prisait  pourtant  ses  pareilles 


Construite  avant  quatre-vingt-neuf, 
Elle  vit,  ro])uste  et  valide , 
La  liberté  mourir  dans  l'œuf  ; 
Tout  croulait  :  elle  était  solide. 

Elle  ignora  l'amour  léger; 
La  marquise,  en  poudre  et  dentelle, 
Ne  lut  pas  l'heure  du  berger 
Sur  son  cadran.  Cependant  elle 

Scanda  d'un  rythme  cadencé 
Les  contes  de  ma  mère  l'Oie, 
Les  histoires  du  temps  passé  , 
Que,  pleins  de  terreur  ou  de  joie, 


LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Yous  écoutiez,  les  chers  petits. 
Elle  sonna  de  bonnes  heures 
A  ceux  de  nous  qui  sont  partis 
Vers  des  sphères  supérieures. 

Ce  souvenir  triste  et  discret, 
Elle  en  conserve  quelque  chose, 
Comme  traîne  au  fond  d'un  coffret 
Le  subtil  parfum  d'une  rose. 

Voilà  pourquoi  je  l'aime  bien. 
Comme  un  gars  sa  douce  jolie, 
Ce  meuble  d'honneur  et  de  bien, 
La  pendule,  ma  vieille  amie. 


LA  JOIE  DU  SACRIFICE 

(sonnet  imité  de  l'anglais) 

A  J.-G.  Ropartz. 

NOTRE  double  destin  cache  un  cruel  mystère; 
Amie,  il  est  écrit  :  ce  fiel,  ils  le  boiront. 
Et  si  mes  pleurs  brûlants  ne  baignent  votre  front, 
C'est  vous  qui  pleurerez,  à  jamais,  sur  la  terre. 

Je  m'ofire,  au  lieu  de  vous;  à  vivre  solitaire, 
A  gravir  les  sentiers  où  mes  pieds  saigneront  : 
Vous  ne  connaîtrez  pas  la  blessure  ou  l'affront. 
Je  gémirai  tout  seul,  ivre  de  joie  austère. 

J'aurai  cette  douceur,  dans  mon  plus  dur  tourment, 
De  vous  savoir  par  moi  libre  éternellement. 
Et,  quand  j'épuiserais  la  dernière  amertume, 


OLIVIER    DK    GOURCUFF.  85 

Mon  cœur  de  son  chagrin  ne  voudrait  pas  guérir  ; 
La  peine  deviendrait  sa  joyeuse  coutume  : 
Il  souffrirait,  pour  vous  épargner  de  souffrir. 


GUILLAUME  DE   SALLUSTE ,   SEIGNEUR 
DU  BARTAS 

ILLUSTRE    POÈTE    DU    XVI"    SIÈCLE 

AUX  combats  il  frappait,  et  d'estoc  et  de  taille , 
Pour  son  roi,  pour  sa  foi;  rentré  dans  son  manoir, 
Il  montrait  au  Bartas,  tout  fier  de  le  revoir. 
Son  front  que  balafrait  une  nouvelle  entaille. 

Quel  transport  éclata  quand  Dieu  fit  entrevoir 
Au  poète  cherchant  des  héros  à  sa  taille, 
Et  courant  au  Parnasse  ainsi  qu'à  la  bataille , 
L'œuvre  des  sept  grands  jours,  jusqu'au  septième  soir! 

Comme  l'àme ,  il  avait  la  plume  bien  trempée  ; 
Une  main  sur  la  Bible  et  l'autre  sur  l'épée. 
Il  alignait  ses  vers,  tels  de  lourds  escadrons; 

Et  mêlant  la  Genèse  aux  fastes  de  la  France, 
La  fanfare  au  cantique  et  la  harpe  aux  clairons , 
Il  eut  pour  chant  du  cygne  un  hymne  d'espérance. 


RAOUL  DE  LÀ  GRASSERIE 


STYLE 


IL  est  ciselé ,  mais  dur. 
Le  vers  où  j'ai  mis  mon  âme  ; 
Le  fer  se  forge  en  la  flamme, 
On  trempe  souvent  sa  lame  ; 
Il  souffre,  pour  qu'il  soit  pur, 
Le  vers  où  j'ai  mis  mon  âme. 

C'est  l'amour  qui  le  trouva, 

La  colère  le  travaille  ; 

Il  fuit  la  rime  canaille  ; 

Afin  qu'il  vibre  et  qu'il  vaille , 

Si  la  pitié  le  rêva, 

La  colère  le  travaille. 


Il  a  vécu  son  printemps 
Et  fleuri  quelque  fleur  sombre  ; 
Maintenant  c'est  de  son  ombre 
Que  la  frondaison  l'encombre; 
Ses  fruits  lui  viennent  du  temps 
Qu'il  fleurit  quelque  fleur  sombre. 


RAOUL    DE    LA    GRASSKRIE.  ^7 


Il  se  tourmente  enfermé 
Dans  une  maison  étroite, 
Son  allure  est  raide  et  droite, 
Et  sa  strophe  maladroite  ; 
La  tristesse  l'a  semé 
Dans  une  maison  étroite. 

Quand  l'homme  vient  à  passer, 
Quand  vient  à  passer  la  femme , 
Le  vers ,  sous  le  souffle  infâme , 
Se  referme  dans  mon  àme  ; 
La  page  veut  s'effacer 
Quand  vient  à  passer  la  femme. 

Sous  un  doigt  frêle  et  connu 
Seulement,  il  se  réveille, 
La  rime  apparaît  vermeille, 
La  voix  chante  ù  mon  oreille  ; 
Quand  le  doigt  est  revenu 
Seulement  il  se  réveille. 

La  haine  l'éveille  aussi , 
L'indignation  profonde  ; 
D'abord  il  gémit  et  gronde. 
Puis  maudit  et  crie  au  monde , 
Quand  un  crime  a  réussi, 
L'indignation  profonde. 

ITélas  I  il  ne  pleui-e  pas  , 
11  a  perdu  la  tendresse  , 
Le  chagrin  même  le  laisse  , 
La  colère  est  sa  maltresse  ; 
De  la  suivre  il  est  bien  las  , 
Il  a  perdu  la  tendresse. 


88  LK    l'ARNASS?:    TIRKTON    TONTEMPORAIN. 

Mais  il  est  solide  et  dur, 

Le  vers  où  j'ai  mis  mon  Ame  ; 

Il  brûle,  quoique  sans  flamme.., 

Si  tu  viens  toucher  sa  lame , 

Tu  sentiras  qu'il  est  pur, 

Le  vers  où  j'ai  mis  mon  âme. 


LE  MONT  SAINT-MICHEL 

Qu'il  soit  Breton,  qu'il  soit  Normand,  que  Dieu  l'apporte, 
Ou  Satan,  ou  l'archange  un  soir  venu  du  ciel. 
Qu'il  soit  bon  ou  maudit,  voyageur,  que  t'importe  I 
C'est  le  géant  en  mer,  c'est  le  mont  Saint-Michel. 

Il  habite  et  remplit  seul  l'ilot  qui  le  porte, 
Les  pieds  pris  dans  le  roc,  la  main  sur  un  autel, 
Et  le  front  découvert,  les  yeux  vers  l'immortel, 
Comme  un  homme  de  pierre  où  l'âme  seule  est  morte. 

Il  vit  dans  la  marée  et  les  sables  mouvants, 
Il  écoute  le  flux  et  le  reflux  des  vents. 
Il  aspire  l'odeur  croissante  de  la  houle. 

Les  hommes  le  voyant  captif  l'ont  tout  sculpté, 
Ont  ouvert  sa  poitrine,  en  son  cœur  habité  ; 
Le  géant  laisse  faire  et  jamais  ne  s'écroule. 


EMILE  GRIMAUD 


LA    CONSOLATRICE 

LE  front  baissé,  pâle,  assombri, 
J'allais  sans  force,  sans  courage, 
Et  sur  mon  cœur  endolori 
S'étendait  un  épais  nuage. 

Cependant  l'été  radieux 
Devant  moi  déployait  ses  charmes. 
Qu'étaient  ses  charmes  pour  mes  yeux. 
Où  je  sentais  sourdre  des  larmes  ? 

Car  les  hommes  m'avaient  blessé , 
Blessé  jusqu'au  fond  de  mon  âme. 
Pour  refaire  le  sang  versé , 
Ah  !  qu'il  fallait  un  fort  dictame  ! 

Je  craignais  qu'il  n'existât  pas. 
Dans  la  cité,  dans  la  campagne, 
Mort  vivant,  je  traînais  mes  pas, 
Quand  tu  vins,  ù  douce  compagne. 


90  LE    PARLASSE    TIRETON    rONTEMPORAIN. 

Messagère  du  paradis, 

Souveraine  consolatrice, 

Tu  vins,  ô  Muse,  et  tu  me  dis  : 

«   Dieu  veut  que  ma  main  te  guérisse. 

«  Donne  un  grand  exemple  à  tes  fils, 
«  Et  quand  la  douleur  va  t'abattre, 
«  Jette  un  coup  d'oeil  au  crucifix  : 
((  Tu  n'auras  plus  peur  de  combattre. 

«  Ceux  que  tu  croyais  tes  amis 

«  T'ont  trahi  d'une  indigne  sorte? 

u  Eh  bien  !  plains-les  du  mal  commis , 

«  Puis  que  ton  aile  au  ciel  t'emporte  ; 

«  Aile  ardente  que  si  souvent 

«  Tu  te  plaisais,  dans  ta  jeunesse^ 

u  A  faire  bercer  par  le  vent... 

«  Il  faut  que  ce  doux  jeu  renaisse. 

«  Il  faut,  mon  poète  endormi, 
((  Que  ton  lourd  sommeil  se  secoue  ; 
((  Il  faut  que  ton  cœur  raffermi 
«  Plane  et  chante,  loin  de  la  boue. 

«  Dieu  ne  fait  pas  briller  en  vain 

«  Son  soleil,  ses  astres,  ses  roses... 

((  Que  l'aspect  de  l'œuvre  divin 

u  Ecarte  tes  pensers  moroses. 

((  Dis-nous  le  bien,  peins-nous  le  beau. 

«  La  Vendée  est  là  qui  t'appelle  : 

«  Tu  n'as  pas  tiré  du  tombeau 

«  Tout  ce  (pii  l'a  faite  immortelle. 


EMILE    GRI.MAUD.  91 


«  Tu  souffres?  Combien  plus  que  toi 
((   Souffrirent  ses  brigands  sublimes  ! 
((  A  la  leur  rallume  ta  foi  ; 
«  Ce  sont  tes  aïeux ,  ces  victimes  !  » 

0  Muse  sainte,  je  te  crois  : 
Mon  àme  est  de  force  inondée. 
Votre  enfant  va  porter  sa  croix, 
Comme  vous,  chrétiens  de  Vendée  ! 


■  ,  „, ,  ,.„„„.TT ,.^...^       ^   „ —       '-,Mr-i..ri-i.trtiri.  "•  •-'■f—  --Tr^T'ir-ytuTiBs^rsi 


FÉLIX  HÉMON 


FEMME  ET  SOEUR 

A  mes  sœurs  Marie  et  Louise. 

1EQUEL  a  le  plus  de  douceur, 
J  Le  nom  de  sœur  ou  bien  de  femme? 
Le  nom  de  femme,  ou  bien  de  sœur. 
Lequel  a  le  plus  de  douceur? 
Répondez,  s'il  vous  piait,  mon  âme  : 
Lequel  a  le  plus  de  douceur, 
Le  nom  de  sœur  ou  bien  de  femme? 


La  sœur  pour  elle  a  le  passé, 
Dont  si  douce  est  la  souvenance, 
Cher  trésor,  longtemps  amassé! 
La  sœur  pour  elle  a  le  passé  ; 
Le  souvenir  vaut  Tespérance. 
La  sœur  pour  elle  a  le  passé, 
Dont  si  douce  est  la  souvenance. 


FÉLIX    HÉMON,  93 


Que  ravenir  est  séduisant! 

Mais,  le  passé,  qu'il  a  de  charmes! 

Dans  son  mirage  éblouissant. 

Que  l'avenir  est  séduisant! 

Mais  s'il  n'apportait  que  des  larmes? 

Que  l'avenir  est  séduisant  ! 

Mais,  le  passé,  qu'il  a  de  charmes! 


Ce  cher  passé,  je  le  revois 
Avec  sa  joie  ou  sa  tristesse. 
Devant  mes  yeux  ravis,  parfois. 
Ce  cher  passé,  je  le  revois  ; 
En  moi  chante  alors  ma  jeunesse. 
Ce  cher  passé,  je  le  revois 
Avec  sa  joie  ou  sa  tristesse. 


Je  revois  les  jours  envolés, 

Nos  promenades  et  nos  fêtes. 

Aux  courts  moments  d'ennui  voilés, 

Je  revois  les  jours  envolés. 

Où  bouillonnaient  nos  jeunes  tètes. 

Je  revois  les  jours  envolés, 

Nos  promenades  et  nos  fêtes. 


Comme  on  marchait,  aventureux. 
Dans  la  lande  ou  dans  la  bruyère  ! 
Le  long  des  profonds  chemins  creux. 
Comme  on  marchait,  aventureux! 
Comme  l'àme  était  jeune  et  fière! 
Comme  on  marchait,  aventureux. 
Dans  la  lande  ou  dans  la  bruyère! 


0-4         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Aux  brises  folles  de  la  mer 
Comme  flottaient  nos  chevelures! 
Comme  tout  souvenir  amer 
Aux  brises  folles  de  la  mer 
Fuyait,  sans  laisser  de  souillures! 
Aux  brises  folles  de  la  mer 
Comme  flottaient  nos  chevelures  ! 

L'amitié  fait  place  à.  l'amour  : 
C'est  une  loi  de  la  nature. 
Chaque  bonheur  vient  à  son  tour  ; 
L'amitié  fait  place  à  l'amour, 
Mais,  Dieu  merci,  l'amitié  dure. 
L'amitié  fait  place  à  l'amour  : 
C'est  une  loi  de  la  nature. 

Je  ne  veux  pas  choisir  entre  eux  : 
Le  choix  serait  trop  difficile. 
C'est  le  plus  sûr  pour  être  heureux; 
Je  ne  veux  pas  choisir  entre  eux. 
Aimer  sans  choix  est  si  facile  ! 
Je  ne  veux  pas  choisir  entre  eux  ; 
Le  choix  serait  trop  difficile. 

Lequel  a  le  plus  de  douceur, 
Amour,  amitié,  sœur  ou  femme? 
Amour,  amitié,  femme  ou  sœur, 
Lequel  a  le  plus  de  douceur? 
Répondez,  s'il  vous  plait,  mon  àme  : 
Lequel  a  le  plus  de  douceur, 
Amour,  amitié,  sœur  ou  femme? 


>u 


13^ 


EUGENE  IIERPIN 


MA    DERNIEIŒ    VALSE 


A 


BANDONNÉE  611  SOI!  fillure  paresscuse, 
iV  Avec  de  grands  yeux  bleus,  un   sourire  charmant, 
C'était  la  séduisante  et  divine  valseuse 
Que  Ton  aime,  en  ses  bras,  enlacer  tendrement. 


La  danse  finissait.  La  cadence  berceuse 
Arrêtait  des  danseurs  le  doux  envolement, 
Mais  sa  lèvre  toujours  restait  silencieuse 
Et  toujours  son  œil  ])leu  se  baissait  chastement. 

Et  moi,  comme  enivré  de  sa  grâce  ingénue, 
Pour  la  charmer,  trouvant  une  verve  inconnue, 
Dans  l'espoir  d'un  regard  vainement  épié, 

Je  la  reconduisais  déjà  vers  la  banquette, 

Quand  elle,  me  quittant,  radieuse  et  coquette  : 

«  Prenez  garde,  Monsieur,  vous  m'écrasez  le  pied!   » 


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rïi;firrinTriinTi^:''li%?^^ 


MADAME  SOPHIE  HUE 


JEUNE  FAMILLE 


A  M.  Louis  Tiercelin. 


ILS  sont  quatre  :  le  point  de  mire 
De  tous  les  yeux  sur  leur  chemin  ; 
Ils  vont  se  tenant  par  la  main, 
Et  sans  savoir  qu'on  les  admire. 

Boutons  ensoleillés,  fleuris 
A  la  fois  dans  la  même  coupe, 
Ils  sont  quatre  :  un  ravissant  groupe 
De  petits  Bretons  de  Paris. 

Ils  ont  bu  l'air  pur  de  la  grève. 
Leur  flottante  auréole  d'or 
Semble  s'éparpiller  encor 
Au  vent  marin  qui  la  soulève. 

Ils  sont  quatre  :  on  en  voudrait  dix, 
Tant  ils  sont  charmants.  On  devine 
Déjà  l'étincelle  divine 
Dans  leurs  yeux  bleus  de  Paradis. 


MADAME    SOPHIE    HUE.  97 


Leur  regard  est  une  caresse  ; 
Leur  sourire  un  rayon.  Je  crois 
Que  jusqu'en  les  cœurs  les  plus  froids 
Ils  feraient  germer  la  tendresse. 

Quelle  couronne,  ami,  vous  font 
Ces  chérubins  aux  blondes  tètes, 
Aux  lèvres  roses  toujours  prêtes 
A  vous  mettre  un  baiser  au  front  ! 

Ils  sont  quatre.  La  fraîche  ombelle 
De  nos  aubépines  des  bois 
Pour  le  plus  ^ieux  n'a  que  sept  fois 
Refleuri  dans  l'herbe  nouvelle. 

Sur  le  même  éclat  velouté, 
La  même  grâce  printanière, 
Chacun  d'eux  fait  à  sa  manière 
Des  variantes  de  beauté. 

Ils  ont  le  charme  irrésistible, 
Le  rire  joyeux  et  si  pur 
Qu'il  semble  venir  de  l'azur; 
Ils  sont  l'innocence  visible. 

Que  ne  puis-je  dire  :  Ils  sont  miens  ! 
Et  comment  vous  les  chanterai-je  .^ 
Ce  sont  des  amours  de  Corrège 
Et  ce  sont  des  Anges  Gardiens. 

On  n'aperçoit  pas  l'aile  blanche. 
Le  jour  repliée  à  leur  dos. 
Qui,  tous  les  soirs,  sur  vos  yeux  clos 
Mystérieusement  se  penche, 


98         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Et,  ne  les  rouvrant  qu'à  demi, 
Amène  en  strophes  cadencées 
Les  hautes  et  chastes  pensées 
Au  chevet  du  père  endormi. 

Je  leur  garde  un  souvenir  tendre, 
Persistant  ainsi  qu'un  parfum  ; 
Si  je  pouvais  en  choisir  un, 
Je  ne  saurais  pas  lequel  prendre. 

Ecrivez  des  vers  triomphants, 
Désespérez  les  jaloux  blêmes  ; 
Le  plus  beau  de  tous  vos  poèmes 
Sera  toujours  vos  quatre  enfants. 


LE  VIEUX  BRETON  DE  PLOUGASTEL 

A  M.  Charles  du  Couédic. 

CHEVEUX  blancs,  bras  nerveux,  la  taille  droite  et  haute 
Sous  la  veste  de  drap  bleu  ciel, 
Il  bêchait  vaillamment  ses  fraisiers  sur  la  côte, 
Le  vieux  Breton  de  Plougastel. 

Son  arpent  s'allongeait  eil  pointe  au  fond  d'une  anse, 

A  côté  d'un  bateau  pêcheur  ; 
Le  soleil  y  versait  à  pic  sa  flamme  intense, 

Le  vent  du  large  sa  fraîcheur. 

Et  je  le  regardais,   assise  sur  la  route  : 

La  sueur  perlait  à  son  front, 
Mais  il  ne  sentait  pas  la  fatigue,  sans  doute, 

En  songeant  aux  fruits  qui  viendront. 


MADAME    SOPHIE    HUE.  99 

Joyeux,  il  murmurait,  dans  sa  langue  rustique, 

Aux  sons  heurtés  et  rocailleux, 
Je  ne  sais  quel  refrain  de  sône  ou  de  cantique 

Qu'avant  lui  chantaient  les  aïeux. 

Certes,  il  ignorait  les  châteaux  en  Espagne, 

Hantés  par  de  troublantes  voix  ; 
C'était. un  vieux  Breton  de  la  vieille  Bretagne, 

Costume  et  cerveau  d'autrefois. 

Son  univers  tournait  autour  de  l'espérance 

Ou  de  la  perte  d'un  écu  ; 
Dans  un  contentement  fait  de  son  ignorance. 

Il  vivait  sans  avoir  vécu. 

Il  ne  se  doute  pas  que  l'ancien  axe  Jjouge, 
Pauvre  vieux!...  Mais  je  vis  soudain, 

A  sa  veste  terreuse,  un  bout  de  ruban  rouge 
Qui  le  vengea  de  mon  dédain. 

Il  avait,  ce  bêcheur,  bien  des  jours  à  la  ronde. 

Navigué  partout  sous  le  ciel. 
Sans  avoir  trouvé  rien,  dans  l'examen  du  monde. 

Qui  fût  plus  beau  que  Plougastel  ; 

Que  son  clocher  natal  doré  de  lichen  jaune 

Et  de  rayons,  sur  le  coteau  : 
Voix  chère  de  l'église,  où  le  bon  saint  Jean  trône 

En  veillant  sur  les  ex-voto  ; 

Que  ses  talus  couverts  de  digitales  roses. 

Où  le  vent  salin  mêle  aux  fleurs 
Des  parfums  de  varech,  jaseurs   et  pleins  de  choses 

Que  le  vent  ne  dit  pas  ailleurs  ; 


100        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Que  ses  horizons  gris,   changeants  comme  la  vague 

RecueilHs  et  mystérieux, 
Dont,   sans  qu'il  sût  pourquoi,  la  souvenance  vague 

Tout  à  coup  lui  mouillait  les  yeux  ; 

Que  son  champ,  qu'il  aimait  avec  idolAtrie, 
Son  champ  hlauc  de  neige  ou  vermeil  : 

Blanc  (le  neige,  au  printemps,  sous  la  fraise  fleurie  : 
L'été,  sempourprant  au  soleil. 

Aussi,  quoique  resté  marin  en  chaque  fihre, 

Epave  du  vaste  océan, 
Yite,   dès  que  l'Etat  l'eut  enfin  laissé  libre, 

Il  s'était  refait  paysan. 

Col  bleu,  sifflet  d'argent,  doubles  galons  aux  manches, 

Qu'il  portait  fièrement  là-bas. 
Sur  les  quais  populeux  et  les  flottantes  planches, 

]\on,  il  ne  vous  regrettait  pas! 

Malgré  le  poids  de  Fâge  et  les  heures  mauvaises, 

Il  était  content  de  sa  part  : 
Il  vivait  près  des  flots,  en  cultivant  ses  fraises, 

Toujours  prêt  pour  le  grand  départ. 

Quel  secret  as-tu  donc,  vieille  terre  celtique. 

Et  quel  philtre  étrange,  dis-moi, 
Pour  verser  à  tes  fils,  de  race  granitique, 

Un  si  profond  amour  de  toi, 

Qui  les  tient  à  l'abri  de  l'ambition  vaine, 

Agenouillés  devant  l'autel. 
Et  leur  fait  les  bras  forts,  l'Ame  haute  et  sereine 

Du  vieux  Breton  de  Plougastel  ! 


MADAME    SOPHIE    HUE.  101 


LES  CLOCHES 

(légende    Df    PAYS    DE   TRÉGUIER) 

LA  voix  pieuse,  la  voix  sainte 
Qui  s'élevait  joyeusement, 
La  voix  des  cloches  s'est  éteinte 
Dans  un  funèbre  tintement. 

C'est  le  temps  douloureux,  la  lug'ubre  semaine 
Où  s'émut  la  nature,  où  l'on  vit  autrefois 
L'Homme-Dieu,  se  livrant  à  la  souffrance  humaine, 
Pour  l'homme  expirer  sur  la  croix. 

Les  cloches  se  sont  envolées  ; 
Les  clochers  partout  sont  déserts. 
Jusqu'à  Rome  elles  sont  allées 
Par  le  grand  chemin  bleu  des  airs. 

Leur  foule  obéissante  à  la  Ville  Eternelle 
Mystérieusement  va  se  faire  bénir, 
Lourdes  cloches  d'airain  à  qui  Dieu  donne  l'aile 
Pour  aller  et  pour  revenir. 

Elles  vont.  Rien  ne  les  arrête, 
Ni  l'ouragan  torrentiel. 
Ni  la  montagne  à  haute  crête. 
Elles  vont,  servantes  du  ciel. 

Les  anges,  au  départ,  veillent  à  leur  toilette  ; 
Leur  robe  de  baptême  en  dentelle  et  lampas 
Les  couvre  de  nouveau,  rajeunie  et  complète, 
Robe  que  les  ans  n'usent  pas. 


102  LE    TARMASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 

Les  cloches  se  sont  envolées  ; 
Les  clochers  partout  sont  déserts. 
Jusqu'à  Rome  elles  sont  allées 
Par  le  grand  chemin  bleu  des  airs. 

Les  enfants  de  Tréguier,  en  Bretagne,  heureux  âge  ! 
Tout  joyeux  lorsque  vient  le  moment  solennel, 
Pour  voir  le  défilé  des  cloches  en  voyage, 
Grimpent  au  tertre  Saint-Michel. 

Ne  dites  pas  que  c'est  chimère, 
Que  les  cloches,  on  le  sait  bien. 
Malgré  des  contes  de  grand'mère. 
N'ont  pas  ce  vol  aérien  ! 

Le  cortège  attendu  jamais  ne  se  dérobe 
Aux  regards  enfantins,  naïvement  pieux  ; 
Et  pour  les  voir  passer  avec  leur  belle  robe. 
Il  suffit  de  fermer  les  yeux. 


LOUISE   D'ISOLE 

(MADAME    RIO  M) 


EL/^ 


Sous  le  ciel  du  désert  aux  rayons  aveuglants, 
Elie,  à  bout  de  force  et  marchant  à  pas  lents, 
S'écriait  :  «  De  mes  jours  les  sources  sont  amères; 
Je  ne  suis  pas  meilleur  que  l'ont  été  mes  pères. 
Non,  Seigneur  !  Détachez  mon  âme  de  mon  corps, 
Je  n'irai  pas  plus  loin...  Bienheureux  sont  les  morts  !  » 
Sous  un  genévrier  il  abrita  sa  tète, 
Croyant  entendre  au  loin  comme  un  bruit  de  tempête, 
Quand  le  Très-Haut,  portant  l'ombre  pour  pavillon. 
Passa  dans  le  nuage  et  dans  le  tourbillon. 
Un  long"  frémissement  ébranla  les  montagnes , 
Les  cèdres  étonnés  tremblaient  dans  les  campagnes, 
Et  le  Prophète  aussi  disait  dans  son  effroi  : 
«  As-tu  vu  le  Seigneur?  Tempête,  réponds-moi  ! 
Dites,  le  portez-vous,  feux  d'éclair  et  de  foudre  ; 
A-t-il  déjà  réduit  les  deux  pôles  en  poudre  ? 
Ce  tremblement  terrible  et  ce  souffle,  est-ce  lui? 
Verra-t-on  le  soleil  plus  pâle  qu'aujourd'hui  ? 
Parlez,  fiers  éléments,  répondez  au  prophète.  » 
Eclatant  à  ces  mots,  les  voix  de  la  tempête, 


toi        LE  PARNASSE  nRETON  CONTEMPORAIN. 

Les  quatre  vents  du  ciel  et  les  éclairs  de  feu 
S'écrièrent  :  «  Mortels  !  nous  n'avons  pas  ton  Dieu  !  » 

Élie,  en  répétant  sa  plainte  lamentable, 

Roulé  dans  son  manteau,  s'endormit  sur  le  sable. 

Ses  esprits  sont  frappés  d'une  morue  langueur  ; 

Il  ne  sent  plus  sa  force  et  plus  battre  son  cœur  ; 

L'àme  a  brisé  le  corps.  Qhuiud  tout  à  coup  un  ange, 

Montrant  un  pain  divin,  lui  dit  :  Approclie  et  mange. 

Honte  dans  Israël  à  (pii  peut  sans  rougir 

Avant  la  fm  du  jour  se  coucher  pour  mourir, 

A  qui  laisse  la  vie  et  sa  coupe  encor  pleine, 

Gage  de  lâcheté  devant  la  race  humaine. 

Tu  tombes  dans  l'arène  avant  d'avoir  conquis, 

Quand  aux  morts  seulement  le  repos  est  acquis. 

Rejette  loin  de  toi  les  plis  de  ton  suaire, 

Dépouille  ta  fail)lesse  en  te  levant  de  terre  ; 

Allons,  debout,  et  marche  !  Au  sortir  de  ce  lieu 

Tu  vas  trouver  Iloreb,  la  montagne  de  Dieu  ! 

Ne  crains  rien,  monte  encore,  et  sur  lardente  roche 

Le  Seigneur  te  dira  :  Je  t'attendais,  approche  ! 


L'l^:a  YPTIENNE  MOURANTE 

Aux  dieux  de  l'A  menti,  dieux  du  ciel  funéraire, 
J'appoi'te  j)our  oll'r;inde  un  bouquet  de  Lotus. 
Que  les  yeux  «l'Osiris  et  le  disque  solaire 
Soient  tracés  près  de  moi.  sur  les  longs  papyrus. 

Je  vois  la    mort   venir  et  j  iisj)ire  à  lit  tombe; 
Préparez  le  natriim  et  h's  parinms  Itrùl.uits, 
('ar  déjiV  siu'  mon  srin  ma  tète  (pii  retondre 
Sent  du  dernier  sommeil  les  songes  accablants. 


LOUISE    d'isolé.  lOo 


La  vie  a  cepeudant  laissé  sa  signature 
Sur  ma  lèvre  encor  rouge  ;  oruez-nioi  de  bijoux  ; 
Aux  profanes  regards  cachez  ma  sépulture  ; 
J'appartiens  désormais  au  silence  jaloux. 

Emprisonnez  mon  corps  dans  le  fin  lin  d'Egypte; 
Mettez  des  chaînes  d'or  à  mes  pieds,  à  mes  bras, 
Et  puis,  sur  les  parfums,  vite  fermez  la  crypte, 
Afin  qu'une  autre  vie  en  moi  ne  rentre  pas  I 


A   LA   MÉMOIRE  DE  LOUIS  GÉHENNE 

LE  temple  est  plein  de  fleurs  !  des  fleurs,  partout  des  fleurs 
C'est  un  printemps  fauché  !  des  rayons  et  des  pleurs  I 
Un  glas  sonne,  et  pourtant,  c'est  une  apothéose  : 
Il  est  mort  à  vingt  ans,  pour  la  France^  à  Formose! 
Héros,  fils  d'un  héros,  il  voit  sa  mère  en  deuil 
Se  pencher  lentement  vers  son  jeune  cercueil. 
Mère  qui  le  berças  dans  ta  jeunesse  en  fête, 
Laisse  pleurer  ton  cœur,  mais  relève  la  tète; 
Tu  nous  gardes  des  fds  pour  l'heure  des  grands  jours; 
Nous  ne  subirons  pas  des  défaites  toujours. 
Taisez-vous,  chants  des  morts!  C'est  une  apothéose  : 
Il  est  mort  à  vingt  ans,  pour  la  France,  à  Formose! 

La  mère,  à  l'œil  rougi  qui  vient  d'étinceler. 
Se  voile  et  sort  du  temple  ;  on  n'ose  lui  parler, 
Mais  la  foule  s'incline  et  s'ouvre  devant  elle  : 
C'est  la  Patrie  en  deuil,  c'est  la  fleur  d'immortelle  ! 
Qu'importe  si,  là-bas,  ton  lils  est  sans  tombeau? 
Le  ciel  s'ouvre  à  celui  qui  défend  son  drapeau. 


106        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Le  drapeau,  c'est  la  foi,  le  serment,  l'espérance, 
Les  aïeux,  le  foyer  ;  le  drapeau,  c'est  la  France  I 
Et  quand  le  soldat  meurt  loin  du  pays  et  seul, 
Il  a  tout,  quand  il  prend  le  drapeau  pour  linceul. 
Ne  sonnez  plus,  ô  glas,  c'est  une  apothéose  ! 
Il  est.  mort  à  vingt  ans,  pour  la  France,  à  Formose 


AU    CANADA 

0   Canada  français,  perle  du  Nouveau  Monde, 
Toi  qui  fus  notre  enfant,  espère  en  l'avenir; 
Chez  nos  esprits  fougueux  la  mémoire  est  profonde, 
Et  nous  n'avons  jamais  perdu  ton  souvenir. 

Nous  savons  que,  malgré  le  pouvoir  qui  t'oppresse, 
Tu  gardes  notre  empreinte  avec  un  soin  jaloux, 
Et  puisque  sur  ton  front  brille  encor  la  jeunesse. 
Tu  dois  avoir  aussi  l'espérance  :  attends-nous  ! 

A  notre  Alsace  en  deuil,  comme  à  notre  Lorraine, 
Cherchant  à  s'échapper  des  serres  du  vainqueur, 
Demande  si  le  temps  peut  glacer  notre  veine. 
Si  l'ombre  de  l'oubli  peut  couvrir  notre  cœur. 

Vers  la  douce  lueur  de  ta  lointaine  terre, 

La  France  jette  aussi  des  regards  éperdus, 

Et  dit,  en  te  pleurant  comme  pleure  une  mère  : 

«  Mes  lils  les  plus  aimés  sont  ceux  que  j'ai  perdus!   » 


Û  "^(^^^K^  r^r^  f î>-5 


LUDOYIC  JAK 


LE  POETE  PA  Y  S  AN 


On  !  la  charrue  est  lourde  !  Et,  dans  le  ciel  chang-eant 
Où  des  nuages  noirs  s'amassaient  tout  à  l'heure, 
Le  soleil  terne  luit  comme  un  disque  d'argent, 
Et  dans  le  lent  frisson  du  bois,  la  source  pleure. 

Mes  bœufs  sont  fatigués,  et  de  leurs  naseaux  bruns 
Sur  leur  poitrail  fumant  tombe  une  écume  rose. 
La  terre  que  j'entr'ouvre  est  pleine  de  parfums. 
Et  dans  les  noirs  sillons  la  pie  est  moins  morose. 

Oh  !  la  charrue  est  lourde  !  et  je  veux,  un  moment 
M'asseoir  sur  le  talus  fleuri,  pour  mieux  entendre 
Mes  amis  les  bergers  qui  s'en  vont  lentement. 
Egrenant  leur  chanson  mélancolique  et  tendre. 

Oui,  la  charrue  est  lourde!  oh!  qu'il  fait  bon  s'asseoir! 

Japerçois  le  landier  où  ma  douce  Marie 

A  mené  ses  moutons,  et  la  sente  où,  ce  soir, 

Nous  cueillerons  tous  deux  la  bruyère  fleurie. 


108  LE    PARNASSK    lîRETOX    CONTEMPORAIN. 


—  Oli!  diront-ils,  voyez  les  rêveurs  amoureux!  — 
Mais  les  gens  du  village  ont  l'humeur  peu  subtile  : 
Certes,  on  peut  songer  sans  être  un  songe-creux, 
Et  le  rêve  qui  rend  plus  heureux  est  utile. 

Moi.  d'ailleurs,  j'aime  à  voir  la  splendeur  du  soleil 
Sans  comprendre  jamais,  j'ai  senti  quehjue  chose 
Dans  l'aube  blanchissante  et  le  couchant  vermeil; 
Quelque  part,  à  mou  àine  émue,  une  voix  cause. 

D'où  vient  ({ue  le  frissou  des  feuilles  fait  pAlir? 
Dans  l'infini  des  mers,  des  forêts  et  des  plaines, 
Dans  la  petite  fleur  qu'un  enfant  peut  cueillir, 
J'ai  deviné  des  yeux,  j'ai  surpris  des  haleines. 

J'ai  cru  que  tout  vivait,  dans  l'ombre  autour  de  moi 
Je  suis  plein  de  respect  sous  les  branches  pensives. 
Hélas  !  rien  n'a  jailli  de  ce  confus  émoi  : 
J'ai  des  ailes  au  cœur,  mais  des  ailes  captives. 

Pourtant,  lorsque  mon  cœur  est  meilleur  en  aimant, 
A  l'heure  triste  et  douce  où  le  soir  se  recueille, 
J'ai  mon  cantique,  aussi  :  je  chante  seulement 
Comme  chante  l'oiseau,  comme  chante  la  feuille. 

Que  suis-je  donc?  J'ai  lu  dans  un  livre  savant, 
Que  JMonsieur  le  Curé  me  prêta  pour  m'instruire, 
Qu'un  poète  est  l'esprit  qui  chemine  en  rêvant 
Et  dont  l'àme  résonne  au  veut  comme  une  lyre. 

Mais  le  poêle  p<'ut  exprimer  ce  qu'il  sent  : 
Il  déroba,  dit-on,  le  langage  d(^s  anges. 
Et  moi,  rêveur  trahi,  je  demeure  impuissant 
Devant  des  ailes  d'or  el  des  beautés  étranges. 


LUDOVIC    JAN.  109 


On  conte  qu'autrefois  de  pieux  voyageurs, 

Le  bourdon  à  la  main,  passaient  dans  le  village, 

Et  parmi  les  blés  mûrs  et  les  grands  bœufs   songeurs, 

Ils  trouvaient  un  enfant  lisant  sous  le  feuillage. 

Alors  ils  l'emmenaient  dans  les  doctes  couvents, 
Lui  donnant  comme  un  pain  céleste  la  science  ; 
Et  l'enfant,  devenu  grand  parmi  les  vivants. 
Ouvrait  un  ciel  plus  vaste  à  la  pensée  immense. 

Et  moi,  je  reste  seul  !  Jamais  je  ne  saurai 
La  langue  harmonieuse  et  pure  du  poète  ; 
Allons,  mes  bcrufs,  debout!  —  Mais  je  t'adorerai, 
0  divine  Beauté,  dans  mon  àme  muette  ! 


LE  LOGEUR  DU  BON  DIEU 

TRANQUILLE  monuiTient,  portail,  tour  de  dentelle, 
Clocher  à  jour  où  chante  un  carillon  joyeux, 
0  marbre  qu'ont  usé  les  genoux  des  aïeux  ; 
Quel  effrayant  esprit,  cathédrale  immortelle. 
Où  la  pensée  humaine  au  ciel  profond  s'unit, 
Donna  l'aile  à  la  pierre  et  le  souffle  au  granit  ? 

Ce  fut  un  homme  obscur.  Dans  nos  bourgs  de  Bretagne, 
Il  passait  en  chantant  un  cantique  pieitx  ; 
Quand  on  lui  parlait  d'art  il  regardait  les  cieux, 
Comme  l'Hébreu  pensif,  descendant  la  montagne  : 
Alors  le  feu  sacré  brillait  dans  son  œil  bleu  ; 
Lui-même  s'appelait  le  logeur  du  bon  Dieu. 


110        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


D'où  venait-il?  —  Au  bord  des  mers  occidentales, 
Sa  vagabonde  enfance  et  ses  jeunes  désirs 
S'éveillèrent  :  il  eut  de  sévères  plaisirs. 
Il  aimait  la  fureur  des  tempêtes  natales,    • 
Le  vent  qui  répondit  à  ses  premiers  sanglots 
Lui  laissa  Tamertume  et  l'infini  des  flots. 

Il  aimait  à  rêver  sur  les  landiers  stériles, 

Où,  dans  le  sol  de  fer  peuplé  de  souvenirs, 

Veillaient  de  grands  tombeaux  et  de  sombres  menhirs. 

Quand  le  soleil  couchant  incendiait  les  îles, 

L'immensité  des  eaux  haletantes  toujours, 

Ses  regards  inspirés  voyaient  les  anciens  jours  : 

Les  féroces  chasseurs  au  seuil  de  la  caverne. 
Fils  aines  de  la  terre  et  cachés  dans  ses  flancs, 
Partageant  leur  butin  avec  leurs  doigts  sanglants. 
Race  que  le  désir  de  l'infini  gouverne  ! 
Ils  se  sont  élancés,  dompteurs  des  océans, 
Dans  de  hardis  vaisseaux  sur  les  gouffres  béants. 

Pour  temples  ils  ont  pris  les  forêts  frémissantes. 
Peuplant  de  dieux  géants  leur  blême  profondeur. 
Sans  la  chercher  jamais,  ils  trouvaient  la  grandeur. 
Et  lui,  robuste  enfant  de  ces  races  puissantes, 
Sur  ce  sol  Apre  et  dur,  devant  les  mers  sans  fin, 
C'est  encore  et  toujours  d'infini  (pi'il  a  faim. 

Un  jour,  il  s'éloigna  de  la  pauvre  chaumière 
Où  son  père  séchait  ses  filets  de  pêcheur  : 
«  Là-bas,  à  l'Orient,  je  vois  une  blancheur, 
Dit  l'enfant,  et  je  veux  marcher  vers  la  lumière.  » 


LUDOVIC   JAN.  111 


Italie  !  Italie  !  —  Et  las  de  voyager, 

Le  jeune  homme  s'arrête  au  pied  d'un  orang-er. 

Voici  Rome  et  Florence  et  Venise  !  Les  maîtres 
Ont  empourpré  les  cieux  de  leurs  divins  reflets  : 
Ils  ont  sculpté  des  tours,  des  dûmes,  des  palais. 
Qu'ils  sont  loin  les  manoirs  rustiques  des  ancêtres  ! 
Voici  l'art  magnifique  !  Et  sous  le  clair  soleil 
Le  voyageur  comprend  qu'il  sort  d'un  long  sommeil. 

Surprendra-t-il  bientôt  le  secret  du  génie? 

Oui,  c'est  ainsi  qu'il  faut  ,  sous  le  marteau  divin. 

Exprimer  l'idéal  qui  le  torture  en  vain. 

0  vous,  qui  possédez  le  don  de  l'harmonie, 

Poètes  qui  pleurez  en  lisant  de  beaux  vers, 

Tous  ces  tourments  féconds,  vous  les  avez  soufferts  ! 

C'est  pourquoi,  revenu  du  saint  pèlerinage, 
Quand,  traversant  les  bourgs  de  son  pays  aimé. 
Il  sculpta  du  granit  le  bloc  inanimé, 
Esprit  cherchant  toujours  l'infini  sans  rivage. 
Il  crut  qu'il  n'était  pas  assez  haut  arrivé. 
Qu'il  n'avait  pas  écrit  le  poème  rêvé. 


* 


Les  ducs  sont  endormis  sous  les  pierres  tombales  ; 

Aux  Carmes,  Montauban  dort  à  l'ombre  des  croix, 

Clisson  à  Josselin,  à  Ploërmel  Jean  Trois. 

Mais,  sous  le  porche  obscur  des  hautes  cathédrales, 

Après  avoir  prié,  longtemps  prié  ton  Dieu, 

Tu  souhaitas  revoir  le  pays  du  ciel  bleu. 


112        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Avide  du  soleil  qui  brûlait  ta  paupière, 
Tu  baisas  humblement  les  marches  de  Faute), 
Et  tu  partis,  laissant  ton  chef-d'œuvre  immortel, 
0  penseur  inconnu  des  poèmes  de  pierre, 
Sans  réserver  un  coin  du  monument  vermeil, 
Pour  y  graver  ton  nom  et  dormir  ton  sommeil. 


LA    G  LOI  ME 

SOUVENT  je  me  suis  dit  :  La  gloire,  à  quoi  sert-elle? 
Ce  n'est  pas  le  bonheur  qu'ont  trouvé  ses  élus, 
Car  les  mieux  couronnés  ne  s'éveilleront  plus 
Sur  les  genoux  d'airain  de  la  froide  Immortelle. 

Dante  vit  dans  lexil  et  Milton  dans  l'oubli  ; 
La  haine  a  torturé  la  vieillesse  d'Homère  ; 
Et  c'est  quand  le  poète  est  mort  de  sa  chimère 
Qu'elle  apporte  un  laurier  au  grand  enseveli. 

VA  c'est  là  cependant  ce  (|ue  veut  le  génie  ! 
Aux  })ravos  qu'en  passant  jette  le  genre  humain, 
Préférer  l'hosanna  d'un  éternel  demain. 
Et  faire  de  la  mort  une  vie  infinie  ! 

Mais  si,  [)our  réconqiensc  à  cet  amour  du  beau, 
Maîtres,  vous  n'avez  rien  que  des  palmes  funèbres. 
Au  moins  les  sentez-vous  fleurir  dans  vos  ténèbres? 
Et  qu'importe  la  gloire  au  néant  du  tombeau? 


VINCENT  AUDREN  DE  RERDREL 


UNE  LUTTE  INEGALE 


u 


N  merle  sautillait  sraîment  sur  le  e-azon. 


Un  gros  matou,  tapi  dans  sa  fauve  toison, 
Le  g-uettait  en  levant  la  patte , 

Et  déjà  se  disait  :  Quel  repas  succulent  ! 

Quel  bonheur,  si  je  puis  me  mettre  sous  la  dent 
Cette  chair  fraîche  et  délicate  ! 


L'oiseau ,  de  son  côté ,  surveillait  l'ennemi  ; 
Mais  s'il  en  avait  peur,  ce  n'était  qu'à  demi. 

Sachant  qu'un  peu  de  vigilance 
Le  mettrait  à  l'abri  des  griffes  du  glouton. 
Le  matou  cependant,  allongeant  le  menton, 

Le  corps  tendu,  d'un  bond  s'élance. 


Tout  près  ,  sur  la  pelouse,  était  un  arbrisseau. 
Se  poser  au  sommet  fut  un  jeu  pour  l'oiseau; 

Le  chat  n'admet  pas  sa  défaite. 
11  se  cramponne  au  tronc ,  grimpe  vers  son  butin , 
Et ,  les  crocs  aiguisés  pour  un  royal  festin  , 

Va  d'un  seul  bond  toucher  au  faîte. 

3 


114        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Mais  ,  ô  déception  !  fatal  retour  du  sort  ! 

L'oiseau  n'est  plus  dans  l'arbre  ,  il  a  pris  son  essor, 

Et  plane  en  chantant  dans  l'espace. 
Le  chat,  d'un  œil  navré  considérant  son  vol, 
N'a  plus  ,  pour  s'étourdir,  qu'à  chercher  sur  le  sol 

Les  débris  de  quelque  carcasse. 

Notre  matou,  trompé  dans  ses  calculs  pervers, 
C'est  la  Force  aspirant  à  dompter  l'univers  ; 

L'oiseau  figure  la  Pensée. 
Pour  la  vaincre  ,  elle  aussi ,  que  d'efforts  incessants, 
Mais  toujours  déjoués  et  toujours  impuissants. 

D'une  tyrannie  insensée  ! 

Contre  elle  employez  donc  le  knout  ou  les  verroux! 
Tous  ces  moyens  usés  d'un  stérile  courroux 

Lui  donnent  des  forces  nouvelles. 
C'est  alors  qu'elle  atteint  aux  sublimes  hauteurs. 
Et  montre  mieux  encore  à  ses  persécuteurs 

Qu'elle  a,  comme  l'oiseau,  des  ailes. 


.,^^P^ 


PAUL    RERLOR 

(PAUL  PHILOUZE) 


LE  MYSTERE  DE  LA   VIE 


SOLEIL,  indi({ue-moi  l'origine  de  l'être  : 
Chaleur,  humidité,  mystérieux  ferment , 
Principe  de  la  vie,  ose  donc  apparaître 
A  mon  regard  chercheur;  je  le  veux  ardemment. 

Partout  j'entends  ce  mot  :  Progrès  de  la  science  ! 
L'esprit  doit  tout  sonder,  le  passé,  l'avenir  ; 
Tout  savoir  et  tout  dire;  il  va  sans  défiance 
Par  des  chemins  nouveaux;  sait-il  en  revenir? 

Le  siècle  sur  le  siècle  a  jeté  sa  poussière; 
L'antiquité  visait  au  but  que  nous  cherchons  ; 
Cependant  l'inconnu,  devant  notre  àme  altière, 
Se  dresse  impénétrable  et  toujours  nous  marchons. 

D'où  viens-jeici,  que  suis-je,  insoluble  problème, 
Aux  chrétiens  seulement  par  le  Christ  révélé. 
Qu'il  démontre  la  vie  en  un  seul  théorème 
Et  le  savant  triomphe  ou  demeure  accablé. 


116        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Mais  je  le  cherche  en  vain,  le  germe  de  la  vie, 
D'âge  en  âge  brisé,  d'âge  en  âge  vivant;     n 
Immortelle  et  mortelle,  existence  ravie 
Qui  semble  disparaître  en  un  souffle  du  vent. 

Nous  reprochons  à  Dieu  de  créer  le  mystère. 
D'entraver  la  raison  en  imposant  la  foi, 
Quand  nous  ne  pouvons  pas  comprendre  de  la  terre 
Le  passé,  le  présent,  l'avenir  et  la  loi. 

Si  je  veux  un  instant  regarder  vers  l'espace, 
Au-delà  de  ce  que  nous  appelons  les  cieux, 
Dans  un  abîme  noir  devant  moi  tout  s'efface, 
Tout  mon  être  frissonne  et  recule  anxieux. 

Notre  savoir  est  nul  devant  ce  vide  immense, 
Lacune  de  l'esprit  que  rien  ne  peut  combler. 
Secrets  de  l'univers,  secrets  de  l'existence. 
Je  sens  eu  vous  cherchant  mon  esprit  se  troubler. 


LÉO  KERMORVA^ 


CHANT  DU  BARDE  TALIÉZIN 

JE  parle  et  je  comprends  la  langue  d'Armorique , 
J'entends  la  voix  d'Esus  au  bord  de  l'Océan 
Et  les  chants  que  redit,  près  du  dolmen  antique , 
Le  grand  barde  Ossian. 

J'ai  vu  verdir  le  gui  maintes  fois  sur  le  chêne, 
Depuis  que  je  suis  né  pour  la  douzième  fois  ; 
Herbe  d'or,  samolus,  primevère  et  verveine 

Croissent  toujours  au  bois. 
« 
Mais  on  ne  verra  plus ,  chez  nous ,  le  grand  druide 
Chercher  le  gui  sacré  comme  on  cherche  un  trésor  ; 
On  ne  le  verra  plus  trancher  la  plante  humide 

Avec  la  serpe  d*or. 


Hélas!  Les  vaillants  chefs  aux  longues  chevelures 
Dorment  tous  dans  les  cairns,  sous  le  riant  gazon  ; 
C'est  en  vain  que  je  crie  au  champ  des  sépultures  : 
«  Vengeance  !  Trahison  !  » 


118        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

«  Debout  !  Aux  maux  d' Arvor  il  faut  de  prompts  remèdes  !  » 
Mais  d'impuissants  échos  entendent  seuls  ma  voix  : 
Trahison  et  vengeance!  On  a  dans  les  ?y^émèdes 
Osé  planter  la  Croix  ! 

Et  Tarann  dans  les  cieux  a  gardé  son  tonnerre  ! 
Camul  n'a  pas  montré  combien  son  bras  est  lourd  ! 
Et  Tentâtes  n'a  pas  anéanti  la  terre  ; 
Esus  est  resté  sourd! 

Qu'êtes-vous  devenus,  dieux  puissants,  redoutables; 
Vous,  Druides  fameux,  gloire  et  terreur  d'Armor? 
Qui  vous  a  terrassés,  chevaliers  indomptables, 
Guerriers  aux  colliers  d'or? 

Barde,  j'ai  violé  l'asile  des  neuf  Sènes; 
Seul,  parmi  les  mortels  j'en  suis  sorti  vivant  : 
Le  temple  était  désert,  je  n'ai  vu  que  des  chênes 
Se  balancer  au  vent. 

Tout  passe!  nos  plaisirs,  nos  rondes  et  nos  danses, 
Nos  banquets  fraternels,  les  concours  du  bardit, 
Les  combats  à  l'épée  et  la  fête  des  lances, 
Tout  passe!  Ou'ai-je  dit? 

Aux  ténèbres  succède  une  aurore  nouvelle: 
La  terre  a  son  soleil,  la  tombe  a  son  printemps  ; 
Dylan  plus  d'une  fois  m'a  pris  dans  sa  nacelle, 
Et  j'ai  dormi  longtemps! 

J'ai  dormi  très  longtemps  du  lourd  sommeil  des  ombres. 
Et  mon  corps  a  changé  de  formes  plusieurs  fois  ; 
J'ai  volé  dans  les  airs,  nagé  dans  les  eaux  sombres, 
Et  rampé  dans  les  bois. 


LÉO    KERMORVAN.  119 


Mais  mon  àme,  au  milieu  de  ces  métamorphoses, 
N'a  jamais  varié,  c'était  bien  toujours  «  moi!  » 
Et  je  vois  qu'il  en  est  ainsi  de  toutes  choses, 
Sans  comprendre  pourquoi. 

Nos  menhirs  sont  restés,  et  le  passant  frissonne 
En  contemplant,  le  soir,  ces  énormes  débris. 
Vous  parlez  et  j'entends!  Votre  langue  bretonne 
Est  celle  des  Kimris. 

En  l'honneur  de  vos  saints,  des  feux  comme  les  nôtres, 
Tous  les  ans,  dans  la  nuit,  éclairent  votre  sol  ; 
Ces  feux  sacrés,  avant  de  fêter  les  apôtres, 
Ont  brillé  pour  Héol. 

Nous  changeons  sans  motif  les  noms  des  dieux  eux-mêmes; 
Croyant  les  immoler,  nous  brisons  leurs  autels, 
Et  cependant  les  dieux,  malgré  nos  anathèmes, 
Sont  toujours  immortels. 

Tant  que  des  feux  sacrés  luiront  sur  la  montagne, 
Tant  qu'un  menhir  tiendra  debout  dans  le  taillis, 
Que  l'étranger  t'appelle  Armorique  ou  Bretag-ne, 
Tu  seras  mon  pays. 

Et  je  viendrai  te  voir,  ô  pays  du  mystère. 
Je  me  sentirai  vivre  à  ton  air  embaumé  ; 
Ton  sol  sera  toujours,  pour  le  pauvre  trouvère, 
Le  sol  le  plus  aimé. 

Sans  jamais  défaillir,  tu  traverses  les  âges  ; 
Grand  comme  le  passé ,  tu  l'inscris  au  burin  ; 
Sol  de  granit,  à  toi  les  chants  et  les  hommages 
Du  vieux  Taliézinl 


ALAIN  KERNEWOT 


(LOUIS  HEMON^ 


PAYSAGE    BRETON 

SOLS  les  bois  frissonnants  quand  le  vent  des  hivers 
Roule  la  feuille  morte. 
Les  pins  géants,  drapés  dans  leurs  ombrages  verts, 
Disent  :  «  Que  nous  importe? 

<(   Que  nous  importe  à  nous  qui,  durant  le  sommeil 

«  De  la  montagne  sombre, 
«  Garderons  tout  le  jour  sur  nos  fronts  du  soleil 

«  Et  sous ,  nos  pieds  de  Tombre  ; 

«  A  nous,  rudes  et  hauts  comme  un  barde  rêvant 

«  Sur  des  tombes  ouvertes, 
«  Qui  nous  berçons  au  chant  monotone  du  vent 

«  Dans  nos  aiguilles  vertes  ; 


«  A  nous,  sommets  obscurs  que  le  corbeau  choisit 

«  Pour  cacher  sa  demeure, 
«   Que  nous  importe  un  peu  de  verdure  qui  vit 

«  Sa  minute  ou  son  heure  ? 


ALAIN    KERNEWOT.  121 


a  Tout  est  fête  pour  nous,  le  printemps,  gai  matin. 

«  Ou  l'hiver,  nuit  voilée, 
«  Et  l'on  nous  voit  debout,  comme  un  clocher  lointain, 

«  Du  fond  de  la  vallée. 

«  A  l'assaut  du  grand  ciel  nous  sommes  les  premiers. 

«  Grondez,  hurlez,  tempêtes! 
«  Nous  n'en  prenons  souci,  pas  plus  que  des  ramiers 

*(  Tournoyant  sur  nos  têtes. 

«  Allons,  passez,  passez,  ruines  de  l'été, 
«   Qu'un  souffle  met  en  poudre  !  » 

—  Et  vous,  colosses  nés  pour  la  stérilité, 
Prenez  garde  à  la  foudre  ! 


SONNET    CORNOUAILLAIS 


LES  filles  de  Fouesnant  sont  belles.  Il  faut  voir 
Sur  leurs  fronts  blancs  flotter  la  coiffe  auxgrandes  ailes 
Et  leur  rire  sonore,  en  venant  du  lavoir, 
Agacer  les  galants  qui  marchent  après  elles. 

Charmantes  sont  aussi  celles  de  Ploaré, 
Dont  le  clocher  domine  une  mer  non  pareille. 
Celles  d'Eiliant,  vieux  bourg  dans  les  bois  encadré, 
Savent  des  chants  plaintifs  qui  sont  doux  à  l'oreille. 

Je  suis  un  pâtre  obscur  ;  mais  j'aime  mieux  encor. 
Quand  je  rêve  accoudé  dans  la  lande  aux  fleurs  d'or, 
Sur  la  Montagne  Noire  où  les  vents  sont  en  fête, 

Tina,  fille  d'Edern,  dont  l'œil  triste  est  si  noir. 
Qui  passe  sérieuse,  en  me  disant  :  Bonsoir! 
Et  dont  la  voix  s'entend,  frêle,  dans  la  tempête. 


RENE  KERYILER 


LE  TOMBEAU  DE  FRANÇOIS  II 

Par  Michel  Colombe 
A  lu  cathédrale  de  Nantes 

A  M.  Robert  Olieix. 

SUR  le  marbre  couchés,  le  duc  et  sa  compagne 
Semblent  dormir  en  paix  et  respirer  encor  : 
Et  leur  fier  lévrier,  au  collier  bouclé  d'or, 
Yeille  à  leurs  pieds,  portant  l'écusson  de  Bretagne . 

Autour  du  lit  ducal,  saint  Louis,  Gharlemagne, 
Archanges  et  Vertus,  apôtres  du  Thabor, 
Protègent  le  dernier  souverain  de  l'Armor 
Et  lui  gardent  sa  place  à  la  sainte  Montagne. 

0  sculpteur!   ton  ciseau  cher  à  nos  cœurs  bretons, 
En  dentelant  la  pierre  anima  ses  festons  : 
De  l'immortalité  ton  œuvre  a  l'assurance. 


A  tes  noms  empruntant  une  double  beauté, 
De  la  blanche  Colombe  elle  a  pris  l'élégance 
Et  du  grand  saint  Michel  la  noble  majesté. 


RENÉ    KERVILER.  123 


LES  PIERRES  DE  CARNAC 

A  M.  de  la  Villeniarqué. 

LE  soir,  vous  inspirez  une  sainte  terreur, 
Colosses  de  granit  aux  ombres  gigantesques  ! 
Quand  la  lune  sur  vous  décrit  ses  arabesques , 
Le  paysan  breton  se  signe  avec  frayeur. 

Un  mystère  profond  plane  sur  votre  horreur. 
Etes-vous  les  témoins  de  ces  jours  titanesques 
Où  le  ciel,  foudroyant  des  tourbes  soldatesques, 
Sauva  saint  Cornély  des  traits  de  leur  fureur? 

Etes-vous  les  piliers  du  temple  des  Druides  ? 
Ou  les  stèles  d'honneur  marquant  les  places  vides 
Dans  les  rangs  des  héros  défenseurs  du  vieux  sol  ? 

Etes-vous  les  jalons  du  conseil  des  Yenètes?... 
Qu'importe,  si,  par  vous  assuré  de  son  vol, 
L'esprit  s'élève  à  Dieu  qui  voit  ce  que  vous  êtes. 


LE  GARDIEN  DE  PHARE 


PENDANT  que  le  mondain  passe,  de  fête  eu  fête. 
Des  nuits  que  la  fortune  abreuve  de  plaisirs  ; 
Pendant  que  le  savant,  dans  le  calme,  complète 
Les  calculs  délicats  qu'engendrent  ses  loisirs  ; 


12-i         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Pendant  que  l'amoureux,  certain  de  sa  conquête, 
Aspire  au  but  promis  à  ses  ardents  désirs  ; 
Pendant  que  l'ouvrier,  las  d'un  labeur  d'athlète , 
Dort  tranquille  en  rêvant  à  d'heureux  souvenirs, .  .  . 

Là-bas,  à  deux  cents  pieds,  dans  une  étroite  cage. 
Voisin  des  régions  qui  touchent  au  nuage. 
Un  modeste  gardien  veille  avec  piété. 

Devant  un  feu  brillant  qui  rayonne  sur  l'onde 
Il  se  tient  immobile  :  et  de  la  mer  profonde 
La  sûreté  repose  en  sa  fidélité. 


DEUX  LIONS 

A  Olivier  de  Gourcuff. 

J'ai  vu  sur  deux  rochers  deux  grands  lions  de  pierre, 
Taillés  par  le  génie,  en  pleine  vérité, 
Pour  donner,  de  leur  gite^  à  la  postérité 
Des  leçons  de  vaillance  et  de  noble  carrière. 

L'un,  blessé,  fer  au  flanc,  abaissant  sa  paupière 
Sous  les  coups  d'un  destin  que  le  peuple  irrité 
Imposa,  le  dix  Août,  à  sa  fidélité  ; 
Mais  au  poste  frappé,  droit,  sans  bond  en  arrière. 

L'autre,  des  monts  voisins  fièrement  descendu, 
Adossé  contre  un  bloc,  front  haut,  jarret  tendu, 
Prêt  à  rugir  ce  cri  :  Teutons,  venez  me  prendre  ! 

0  Lion  de  Lucerne  !  6  Lion  de  Belfort  ! 

J'enverrai  devant  vous  mes  entants,  pour  apprendre 

Comment  tombe  un  soldat,  comment  il  reste  fort. 


CHARLES  LE  BRAS 


BALLADE   DES  COQUILLAGES 


JE  sais ,  bien  loin ,  caché  comme  un  nid  sous  les  branches, 
Un  village  bâti  dans  une  anse  d'Arvor. 
L'œillet  sauvage  y  vient  fleurir  les  dunes  blanches, 
Et,  parmi  les  rochers,  croissent  les  genêts  d'or  ; 
Puis,  tout  au  bas,  la  mer  redit  à  ses  rivages, 
Oh!  de  longues  chansons,  qui  m'ont  un  an  bercé, 
Dans  cette  anse  sans  nom  pleine  de  coquillages 
Laissés  par  le  flot  bleu  sur  le  sable  doré. 


J'allais,  chaque  jeudi,  sur  les  grèves  désertes, 
Poursuivre  avec  des  crocs  ou  de  légers  filets 
Les  crevettes  filant  dessous  les  algues  vertes 
Ou  les  crabes  perdus  au  milieu  des  galets. 
Le  soir,  en  revenant,  je  feuilletais  les  pages 
D'un  livre  bien  relu  mais  toujours  préféré, 
En  faisant  sous  mes  pas  craquer  les  coquillages 
Laissés  par  le  flot  bleu  sur  le  sable  doré. 


126        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Puis,  un  beau  jour  d'avril,  vous  êtes  arrivées, 
Madame  A.  L.  et  vous,  dans  mon  petit  désert. 
Que  le  temps  passait  vite  !  Oh  !  les  bonnes  journées 
De  printemps  tout  mouillé,  qui  riait  de  l'hiver. 
Tout  le  matin,  c'étaient  de  charmants  babillages, 
Qui  mettaient  du  soleil  dans  ce  coin  retiré  ; 
La  vesprée,  on  allait  choisir  des  coquillages 
Laissés  par  le  flot  bleu  sur  le  sable  doré. 

Coquillages  nacrés,  jaunes,  et  blancs,  et  roses, 
J'en  ai  plein  mon  tiroir,  faits  de  toutes  façons, 
Tous  ramassés  là-bas,  et,  dans  les  jours  moroses, 
Ils  me  disent  encor'la  mer  et  ses  chansons, 
Les  dunes  près  du  bourg,  et  les  jolis  voyages 
Que  nous  fimes  ensemble  au  rivage  ignoré 
De  cette  anse  sans  nom  pleine  de  coquillages 
Laissés  par  le  flot  bleu  sur  le  sable  doré. 

ENVOI 

Mignonne,  sauriez-vous,  sous  ses  riants  ombrages. 
Retrouver  le  chemin  qui  mène  jusqu'aux  plages. 
Le  long  du  ruisseau  clair,  où  vous  avez  miré 
Votre  visage  frais  comme  les  coquillages 
Laissés  par  le  flot  bleu  sur  le  sable  doré? 


ANATOLE  LE  BRAZ 


EN   MAI 


DES  cloches  ont  tinté  dans  le  calme  du  soir... 
0  mon  pays,  pays  d'Arvor,  si  doux  à  voir, 
Terre  en  qui  Ton  sent  vivre  une  âme  presque  humaine, 
Quel  est  ce  souvenir  qui  vers  toi  me  ramène? 
On  dirait  qu'un  ami  me  conduit  par  la  main, 
Et  je  vais!...  Des  ajoncs  verdissent  le  chemin; 
L'air  s'emplit  de  l'odeur  des  aubépines  blanches; 
Les  larmes  de  la  nuit  tremblent  au  bout  des  branches  ; 
C'est  signe  que  Ton  pense  à  moi,  des  pleurs  aux  yeux, 
Et  d'être  ainsi  pleuré  mon  exil  est  joyeux... 


Chez  nous,  le  mois  de  mai  c'est  le  mois  de  Marie. 

La  cloche  tinte!...  On  aime,  ailleurs;  chez  nous,  on  prie. 

Les  autels  sont  parés  :  à  erenoux,  paysans! 

Et,  dans  l'ég-lise  en  fleurs  monte  un  parfum   d'encens. 

Des  papillons  d'été  volent  autour  des  cierges. 

Comme  les  chants  sont  beaux  sur  la  lèvre  des  vierges! 

Elles  disent  :  «  Salut,  Etoile  de  la  Mer!  » 

Et  les  pêcheurs,  tannés  par  l'àpre  vent  d'hiver, 


128        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Tout  iiissoimaiits  eiicor  des  longues  nuits  dislande, 

S'inclinent  à  côté  des  pâtres  de  la  lande, 

Qui,  le  rosaire  aux  doigts  et  le  front  sur  l'épieu, 

Dans  leur  silence  grave  ont  l'air  d'écouter  Dieu. 

0  laboureurs  de  flots,  ô  laboureurs  de  terre, 

Ce  Dieu  qui  parle  en  vous,  c'est  l'âme  héréditaire. 

Dont  le  souffle  tenace  et  le  frisson  vainqueur 

Du  cœur  des  Celtes  morts  vous  passe  dans  le  cœur. 

Et,  tandis  qu'en  son  vol  le  virginal  cantique 

Emporte  vos  Ave  vers  la  Stella  mystique, 

Une  autre  étoile  en  vous  scintille,  et  sa  clarté 

Fait  de  votre  âme  douce  un  firmament  d'été  : 

Lampe  de  l'Idéal,  pâle  et  triste  lumière, 

Que  notre  vieille  race  alluma  la  première, 

Qu'elle  abrita,  tremblante  encore,  de  sa  main. 

Et  suspendit  dans  Tombre  au  fond  du  cœur  humain  ! 

Pauvre  étoile  !  On  prétend  qu'en  ces  jours  où  nous  sommes 

Elle  va  s 'éteignant  chez  la  plupart  des  hommes. 

Lne  bouche  mauvaise  a  sur  elle  soufflé. 

La  lampe  d'or  n'est  plus  qu'un  vieux  vase  fêlé. 

D'où  l'huile  sainte  filtre  et  fuit  et  s'épand  toute  ! 

Ah!  vous,  du  moins,  gardez  qu'il  n'en  tombe  une  g"Outte, 

Entretenez  la  flamme  avec  un  soin  jaloux; 

L'heure  est  proche  où  la  terre  aura  besoin  de  vous. 

Veillez  que  toujours  brille  et  jamais  ne  se  voile 

L'astre  aimé  des  aïeux,  la  triste  et  pâle  étoile! 

Afin  qu'au  jour  venu,  quand  ils  auront  compris 

Qu'un  monde  sans  chimère  est  un  monde  sans  prix, 

Ceux  qui,  pour  rebâtir  plus  robuste  et  meilleure 

La  Vie,  en  ont  chassé  le  Rêve  comme  un  leurre, 

Viennent,  désabusés,  rallumer  à  tâtons 

Le  divin  flambeau  d'âme  au  foyer  des  Bretons! 


ANATOLE    LE    BRAZ.  129 


A  UNE  PAYSE 

(SONE) 

T/'ous  n'étiez  qu'une  enfant  lorsque  je  vous  connus, 
T  0  ma  jeune  amour  ignorée  ! 

Vous  n'étiez  qu'une  enfant,  et  vous  marchiez  pieds  nus, 
Dans  une  robe  déchirée. 

Vous  aviez  des  yeux  bleus  et  de  longs  cheveux  bruns 
Qui^  rebelles,  rompaient  leurs  tresses, 

Tant  les  grands  souffFes  fous,  tant  les  libres  embruns 
Les  avaient  grisés  de  caresses. 

Vos  cheveux  étaient  bruns,  et  vos  pieds  étaient  blancs. 
Tout  le  jour  lustrés  par  les  ondes  ; 

Votre  jupe,  nouée  autour  de  vos  deux  flancs. 
Laissait  voir  vos  deux  jambes  rondes. 

Le  parfum  qui  sortait  de  vous  était  amer 

Comme  l'odeur  qui  vient  des  plages, 

Et  vous  aviez  en  vous  la  santé  de  la  mer, 
0  pêcheuse  de  coquillages  ! 

Je  n'étais  qu'un  enfant...  Maintenant,  je  suis  vieux  : 

On  vieillit  vite  loin  des  grèves  ! 
Et  pourquoi  donc,  ce  soir,  l'éclair  de  vos  grands  yeux 

Traverse-t-il  ainsi  mes  rêves  ? 

Est-ce  un  pressentiment  qu'il  faudrait  revenir, 
Que  le  son  des  cloches  m'appelle  , 

Que  vous  avez  gardé  mon  profond  souvenir, 
Et  que  vous  êtes  toujours  belle  ? 


130        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Mais  non  !  Les  Angélus,  au  fond  des  soirs  brumeux, 

Se  taisent  pour  l'exilé  triste  ! 
Les  champs  m'ont  oublié,  vous  avez  fait  comme  eux, 

Yous  ne  savez  plus  que  j'existe. 

Puis  vous  êtes  allée  aux  pardons  d'alentour. 
Où  vous  avez  dansé  sans  doute; 

Et,  quelque  fier  danseur  vous  guettant  au  retour, 
Vous  avez  fait  à  deux  la  route. 

Le  sentier,  très  étroit,  passe  au  milieu  des  blés  : 
On  marche  tout  près  l'un  de  l'autre, 

Et  lui  s'est  enhardi  devant  vos  yeux  troublés 
Jusqu'à  prendre  en  sa  main  la  vôtre. 

C'est  pourquoi  vous  bercez  à  cette  heure  un  enfant... 

Fasse  le  bon  Dieu  qu'il  prospère. 
Qu'il  tette  à  pleine  soif  votre  lait  triomphant 

Et  soit  marin,  comme  son  père  ! 


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CHARLES  LE  COZ 


SONNET 


A  Ch.  Le  Goffic. 


UN  chant  a  pris  son  vol  éclos  dans  la  bruyère 
Et  plane  sur  la  lande  indécis  et  léger, 
Et,  naïf,  le  chanteur  est  un  petit  berger 
Idéalement  lîeau  sous  sa  bure  grossière. 

Parfois,  comme  un  reflet  du  bonheur  mensonger, 
Dans  sa  voix  glisse  un  trait  de  riante  lumière  ; 
Puis  la  voix  du  berger  en  dolente  manière 
Exprime  la  langueur  d'un  souci  passager. 

Il  chante...  Et  sa  ballade  ou  joyeuse  ou  plaintive 
M'émeut  l'âme,  et  retient  mon  oreille  captive  ; 
Je  tressaille,  et  dans  moi  tout  vil^rc  à  l'unisson  : 


C'est  que,  si  nous  séchons  rapidement  nos  larmes, 
La  gaîté  n'est  pour  nous  jamais  vide  d'alarmes. 
—  0  pûtre ,  comme  elle  est  bretonne  ta  chanson  ! 


132        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

DANSE  BRETONNE 

A  E.  Thieulin. 

BINIOUS  perçants,  aigres  bombardes, 
Sur  la  grand'roiite,  près  du  bourg-, 
Unissent  leurs  notes  criardes 
Aux  sourds  roulements  du  tambour. 

Les  gars  vont  inviter  les  fdles 
Comme  on  les  invite  là-bas 
Et,  choisissant  les  plus  gentilles, 
Près  d'elles  marchent  pas  à  pas. 

Or,  Tàme  doucement  bercée, 
Yvonne  écoute  deux  galants 
A  la  démarche  balancée, 
Qui  l'escortent  les  bras  ballants. 

Kerg-orec  se  penchant  vers  elle 

Dit  :  «  Les  champs  font  plaisir  à  voir. 

Sur,  la  récolte  sera  belle  ; 

On  battra  de  brave  blé  noir.  » 

Quant  à  Dourdu,  l'a-il  tout  en  flamme  : 
«  Yvonne,  a-t-il  dit,  près  de  vous 
Un  grand  trouble  me  remplit  Tâme, 
Et  je  sens  manquer  mes  genoux  !  » 

Muette,  Yvonne  en  fille  sage 
Fixe  les  yeux  sur  ses  sabots, 
Pendant  que  les  binious  font  rage 
Et  sonnent  leurs  airs  les  plus  beaux. 


CHARLES    LE    COZ.  I.'JS 


((  Voulez-vous  point  danser,  Yvonne  ?  » 
Yvonne  n'a  pas  répondu, 
Mais  sans  rien  dire  elle  abandonne 
Son  parapluie  au  grand  Dourdu. 

Ils  s'en  vont  rejoindre  la  chaine, 
Et  s'éloignent  de  Kergorec, 
Mal  habile  à  cacher  la  gène 
Qu'il  éprouve  de  son  échec  ; 

Tous  les  deux,  entrés  dans  la  danse, 
Se  tiennent  par  le  petit  doigt, 
Et  sautent,  marquant  la  cadence, 
Scrupuleusement,  comme  on  doit. 

Alors  blanc  et  noir,  vert,  bleu,  rose. 

Se  développe  le  rul^an 

Des  danseurs,  à  bizarre  pose. 

Et  d'aspect  gaillard  et  flambant. 

Dans  les  trémoussements  des  groupes. 
Comme  poissons  pris  au  filet, 
On  voit  frétiller  sur  les  croupes 
Les  jupes  formant  bourrelet  : 

Parfois  un  gars,  en  courte  veste 
Et  chapeau  rond  aux  larges  bords, 
Bondit  très  haut,  farouche  et  leste, 
Les  bras  raidis  le  long  du  corps  ; 

Il  sort  de  sa  poitrine  nue 

Un  cri  sauvage  :  «  IIou  !  hou  !  hou  !  » 

Qui  domine  la  voix  ténue 

De  la  bombarde  et  du  biniou. 


134        LE  PARNASSE  nRETON  CONTEMPORAIN. 

Et  la  chaîne  toujours  ondoie, 
Avec  ses  enchevêtrements, 
Ses  repHs,  ses  éclats  de  joie 
Couvrant  le  son  des  instruments. 

Quand  la  contredanse  est  finie, 
Les  filles  aux  g'ars_,  à  l'écart, 
Redemandent  leur  parapluie 
Avec  un  suppliant  regard. 

Dourdu  refuse  de  le  rendre. 
Yvonne  voudrait  s'en  saisir  ; 
Mais  Dourdu  se  montre  si  tendre 
Qu'elle  cède...  sans  déplaisir. 

Ils  se  dirigent  côte  à  côte 
Vers  un  sentier  ombreux  et  frais, 
Où  croissent  la  fougère  haute, 
Les  ajoncs  blancs  et  les  genêts  ; 

Ils  entretiennent  à  voix  basse 
Un  dialogue  lang'oureux  ; 
Yvonne  rit,  Dourdu  l'embrasse, 
En  descendant  le  chemin  creux. 

Et  dans  le  lointain,  les  bombardes 
Et  les  binious  auprès  du  bourg 
Unissent  leurs  notes  criardes 
Aux  sourds  roulements  du  tambour. 


ABBÉ  FRANÇOIS  LE  DORZ 


LA    CHASSE   A    L'ECUREUIL 

A  mes  élévts. 

Balancé  dans  son  nid  de  mousse , 
Il  grignotait  du  bout  des  dents 
Le  fruit  de  ses  vols  impudents, 
Tendre  noisette  ou  faine  douce. 
Dont  les  sucs  laiteux  et  fondants 
Coulaient  sur  sa  moustache  rousse. 

Si  les  ramiers  n'eussent  gémi, 
Le  silence  eût  permis  d'entendre 
Le  pas  même  d'une  fourmi... 
S'applaudissant  d'avoir  su  prendre 
Des  fruits  si  beaux,  au  cœur  si  tendre, 
Il  grignotait,  presque  endormi. 

Voici  que  des  prochaines  sentes 
Des  clameurs  ont  soudain  jailli, 
Mille  clameurs  de  voix  perçantes  ; 
Et  les  ramiers  du  bois  joli. 
En  le  quittant,  l'ont  tout  rempli 
Du  bruit  de  leurs  ailes  puissantes. 


136         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


C'est  la  troupe  des  écoliers, 

Qui  vocifère  et  s'époumonne. 

En  chasse  !...  Et  le  fer  des  souliers 

Dans  l'herbe  écrase  l'anémone, 

Et  sous  des  coups  multipliés 

Le  tronc  des  vieux  chênes  résonne. 

Au  grand  bruit  longtemps  entendu 
Succède  un  effrayant  silence  , 
Puis,  tout  le  bataillon  s'élance, 
L'œil  ardent  et  le  cou  tendu , 
A  l'assaut  du  pin  qui  balance 
Le  pauvre  écureuil  éperdu. 

a  Un  nid!  un  nid!  »  Clameur  de  joie, 
Que  répercutent  les  échos  ;... 
Et  de  ces  mignons  moricauds 
Le  nez  fin  flairant  une  proie 
S'épanouit  d'aise  et  rougeoie 
Comme  en  juin  les  coquelicots. 

C'est  l'ennemi  !  Déloge,  alerte, 
Bel  hal)itant  des  pins  fourchus  ! 
Et,  comme  font  les  moustachus, 
Enfonçant  tes  ongles  crochus 
Dans  la  molle  écorce  entr'ouverte , 
Escalade  la  cime  verte  ! 

Et  ne  perds  pas  les  étriers  ! 

Compte  :  Au  pied  du  pin  qui  te  cache , 

Cent  soixante  arbalétriers  ! 

Relève  ta  queue  en  panache, 

Et,  les  pattes  sur  ta  moustache , 

Fais  la  nique  à  tes  meurtriers  ! 


ABBÉ    FRANÇOIS    LE    DORZ.  VM 

Du  sommet  jusques  à  la  base, 
Voici  que  tout  Tarljre  a  frémi... 
Qui  monte?  C'est  un  ennemi, 
Faisant,  dit-il,  son  Anabase  ; 
Et  l'on  voit  émerger  parmi 
Les  pics  feuillus  sa  tète  rase. 

Autour  du  pin  hospitalier, 
Tes  évolutions  savantes 
Trompent  l'espoir  de  l'écolier  ; 
Mais,  pris  de  justes  épouvantes. 
Va,  franchis  des  branches  mouvantes 
Le  vertigineux  escalier  ! 

La  peur  est  pour  lui  sans  vertige. 
D'arbre  en  arbre,  de  tige  en  tige. 
Il  grimpe,  courte  grimpe  et  bondit  ; 
Et,  là-haut,  l'enfant  interdit 
D'une  si  sublime  voltige  , 
L'enfant  sur  sa  branche  applaudit. 

Mais  en  vain  cent  fois  dans  l'espace 
11  s'est  lancé  comme  un  perdu  : 
Suant,  soufflant,  il  est  rendu  ; 
Et  l'œil  éteint,  l'oreille  basse, 
Comme  un  fruit  qu'un  ver  a  mordu, 
De  son  arbre  il  tombe  — ■  et  trépasse. 


ABBÉ  AUGUSTE  LEFBANC 


LE  PASSAGE  D' HE  RODE 

SLR  la  route  qui  passe  au  nord  de  Nazareth , 
Vers  dix-huit  ans,  Jésus,  fils  de  Joseph,  errait 
Fatig"ué  d'un  travail  pénible. 
Au  couchant  le  soleil  commençait  à  baisser. 
Le  Sauveur  marchait  seul  et  semblait  converser 
Avec  quelque  esprit  invisible. 

On  se  trouvait  alors  dans  le  mois  de  Nisan; 
Sur  le  chemin  poudreux,  le  fds  de  l'artisan 

Vit  passer  un  royal  cortèg'e. 
Des  groupes  de  soldats  superbement  vêtus 
Répétaient  :  «  Nous  chantons  la  gloire  et  les  vertus 

D'Hérode  que  le  ciel  protège. 


«  Hérode  est  redouté  dans  les  pays  lointains  ; 

Ses  tremblants  ennemis  croient  voir  sur  leurs  destins 

Planer  une  ombre  funéraire. 
Quand  il  marche  on  dirait  un  astre  radieux, 
Et  le  grand  empereur  Tibère,  égal  aux  dieux, 

Le  regarde  comme  son  frère. 


ABBÉ    AUGUSTK  LEFRANC.  139 

((  Toujours  victorieux,  il  daigne  vivre  en  paix. 
Après  avoir  franchi  le  seuil  de  son  palais, 

Le  plus  puissant  se  sent  esclave. 
En  vain  de  son  bonheur  les  dieux  sont  envieux, 
La  fortune  est  liée  à  son  char  glorieux 

Par  une  indestructible  entrave. 

((  Ce  roi  passe  sa  vie  au  milieu  des  puissants. 
Son  trône  est  entouré  de  nuages  d'encens, 

Comme  le  soleil  à  l'aurore. 
11  possède,  en  l'honneur  de  sa  divinité, 
Un  temple  étincelant  d'or  et  d'argent  sculpté. 

Où  sa  royale  cour  l'adore.  » 

Au  cortège  princier  Jésus  cédant  le  pas 
Quitta  le  grand  chejnin,  car  Ilérode  Antipas 

Venait  sous  l'ombre  des  érables. 
Et  l'humble  charpentier  dit,  en  quittant  ce  lieu  : 
«  Roi,  règne  sur  les  grands  :  moi,  je  serai  le  Dieu 

Des  pauvi'es  et  des  misérables.  » 


MATIN 


L'île  de  ?S'oirmoutier,  comme  une  sombre  haie. 
De  Pornic,  au  levant,  ferme  l'immense  baie. 
Un  g'ai  soleil  d'avril  se  lève...  A  l'iiorizou, 
Les  phares,  les  rochers  de  l'Ile,  noir  buisson, 
Découpent  leurs  profils  aigus  comme  des  branches. 
La  barque  d'un  pécheur,  avec  ses  ailes  blanches, 
Vole  en  rasant  les  ilôts  qu'argentent  des  reflets  : 
Et  le  matelot  jette  en  chantant  ses  fdets, 
Pendant  que,  sur  sa  tète,  éclatant  de  lumière. 
Le  soleil  rajeuni  commence  sa  carrière, 
Et,  sondeur  de  l'espace  et  des  créations, 
Plonge,  au  sein  de  l'azur,  ses  filets  de  rayons. 


n 


JEAN  LE  FUSTEC 


is 


(fragment) 


Sur  la  lande,  le  lendemain  de  rengloulissement  de  la  ville. 


LE    LEPREUX    D  IS    AUX    BERGERS 

APPROCHEZ  :  il  est  temps  que  toute'  oreille  écoute. 
C'est  une  chose  horrible  à  ce  point,  que  je  doute 
Si  j'ai  rêvé  ce  que  je  dis.  .  . 
Non!..,  La  lune  g-laçait  l'eau  de  sa  clarté  blonde... 
J'ai  bien  vu  ;  mais  je  vais  terrifier  le  monde  : 
Is,  . .  est  morte  ! .  .  .  la  ville  d'is  !!I 


Is  est  morte,  vous  dis-je  ! .  .  .  Is,  la  ville  éternelle. 
L'Océan  a  jeté  son  suaire  sur  elle  ; 

Et  la  terre  tremblait  au  bruit. 
Is  n'était  rien  de  plus  qu'un  trésor  qu'on  dérobe. 
Il  la  prit,  je  l'ai  vu,  dans  les  plis  de  sa  robe, 

Comme  un  voleur  pendant  la  nuit  I 


JEAN    LE    FUSTEC.  141 


Morte  !...  C'est  bien  fini!...  Gardez  vos  cris  de  haine. 
La  sainte  vérité  m'a  conduit  sous  le  chêne 

Dire  ce  désastre  effrayant. 
La  cité  dont  je  parle  est  tombée  en  ruines  ; 
Is  que  Ton  se  montrait  des  lointaines  collines  ; 

Is  qu'on  nommait  en  souriant  ! 

Les  voyageurs  venus  des  pays  qu'on  ignore, 
Et  qui  vous  ont  jeté  quelque  salut  sonore, 

Comme  un  tintement  de  grelot; 
Tous  ces  navires  où,  sur  des  rythmes  mystiques, 
Les  rameurs  entonnaient  des  bardits  héroïques 

En  la  voyant  surgir  du  flot  ; 

Tous  errent  sur  la  grève,  affolés  et  livides, 
Sur  les  rochers  muets  et  sur  les  plages  vides, 

Pareils  à  des  ressuscites 
Qui  chercheraient  leur  àme  à  l'entour  de  la  tombe  ; 
Personne  n'est  venu  leur  dire  l'hécatombe  : 

Ceux  qui  la  savent  sont  restés. 

Ils  sont  restés  dans  Is  ;  tous  y  sont  à  cette  heure 
Et  battent  de  leur  front  les  murs  de  leur  demeure, 

Hagards,  béants,  les  yeux  éteints. 
Pauvres  amours  surpris,  agapes  lamentables  ! 
Et  maintenant  la  mer  sur  les  lits  et  les  tables 

Donne  à,  ses  monstres  des  festins. 


JÉRÔME  LE  GOFF 


MON  NOM 


MON  nom,  en  bas-breton,  veut  dire  Forgeron  : 
Quelqu'un  de  mes  aïeux  sans  doute,  un  gars  solide, 
Les  bras  nus,  la  poitrine  aussi  nue,  et  le  front 
Noir  de  sueur,  forgeait  de  son  marteau  rapide 


Le  fer,  ce  dur  métal  que  la  flamme  assouplit. 

Le  visage  éclairé  par  le  feu  de  sa  forge; 

Et  satisfait  de  la  tâche  qu'il  accomplit. 

Il  chantait,  comme  au  bois  chante  le  rouge-gorge. 

De  ses  robustes  mains,  pleines  de  durillons, 

Mon  vieil  ancêtre  a  dû  faire  maintes  charrues 

Pour  creuser  dans  les  champs  de  fertiles  sillons, 

Où  les  moissons,  aux  jours  de  l'été,  poussaient  drues. 


Peut-être  aussi,  —  qui  sait?  —  au  temps  de  nos  aïeux, 
Quand  les  Bretons  luttaient  pour  leur  indépendance, 
Pour  faire  aux  combattants  des  lances  et  des  pieux, 
Son  marteau  frappait-il  sur  l'enclume,  en  cadence. 


JÉRÔME    LE    GOFF.  143 


Soit  plus  lui,  soit  plus  tai'J — qu'iiuporle  daus  (pu;!  temps?- 
0  mon  ancêtre,  en  toi  ton  descendant  salue 
Et  l'ancienne  Armorique  et  ses  preux  habitants, 
Breton  de  vieille  roche  à  Tâine  résolue  ! 

0  Forgeron  !  tu  fus,  semblable  au  dur  granit. 
Ferme  devant  l'enclume  et  devant  la  bataille  : 
Bravoure,  force,  en  toi  le  Ciel  les  réunit, 
Et  les  plus  grands  périls  convenaient  à  ta  taille. 

J'aurais  désiré  vivre  en  même  temps  que  toi; 
Mon  honneur  eût  été  de  suivre  ton  exemple  : 
Le  corps  plein  de  vigueur,  le  cœur  rempli  de  foi. 
Solide  à  la  besogne,  et  pieux  dans  le  temple! 

Mais  Dieu  n'a  point  voulu  réaliser  mes  vœux  : 
Que  son  nom  soit  béni,  sa  volonté  soit  faite!.  . . 
Le  sort  m'a  mis  parmi  tes  arrière-neveux 
Et  n'a  voulu  de  moi  faire,  hélas!  qu'un  poète. 

Un  poète!...  Un  rêveur!...  Un  inutile!...  —  Oh!  non, 
Inutile,  jamais  Breton  ne  saurait  l'être. 
Je  me  souviens  toujours  du  sens  de  notre  nom, 
Je  me  souviens  de  mon  devoir,  ù  cher  ancêtre! 

Puisqu'à  mon  jour  le  sort  m'a  fait  naître  ici-bas , 
Que  l'homme,  quel  qu'il  soit,  doit  remplir  une  tâche, 
Je  ne  voudrai  jamais  renoncer  aux  combats  : 
Pas  plus  que  mes  aïeux,  je  ne  puis  être  lâche. 

Oui,  crois-m'en.  Forgeron,  source  de  notre  sang-. 
Dont  la  main ,  tour  à  tour  et  levée  et  baissée , 
Façonnait  le  métal  de  son  marteau  puissant, 
Ton  petit-fds  travaille  :  il  forge  la  pensée. 


CHARLES  LE  GOFFIC 


vos  YEUX 

JE  compare  vos  yeux  à  ces  claires  fontaines, 
Où  les  astres  d'argent  et  les  étoiles  d'or 
Font  miroiter,  la  nuit,  des  flanmies  incertaines. 

Vienne  à  glisser  le  vent  sur  leur  onde  qui  dort. 
Il  faut  que  l'astre  émigré  et  que  l'étoile  meure, 
Pour  renaître,  passer,  luire  et  s'éteindre  encor. 

Si  cruels  maintenant,  si  tendres  tout  à  l'heure, 
Vos  beaux  yeux  sont  pareils  à  ces  flots  décevants. 
Et  l'amour  ne  s'y  mire  et  l'amour  n'y  demeure 

Que  le  temps  d'un  reflet  sous  le  frisson  des  vents. 


CONFIDENCE 

JE  t'apporte  un  cœur  bien  las. 
Ne  me  dis  plus  que  tu  m'aimes  ; 
Une  autre  m'a  dit,  hélas  ! 
Les  mômes  choses,  les  mêmes. 


CnARLES    LE    GOFFIC.  145 


C'était  avec  ses  yeux  d'or 
L'enfant  la  plus  ingénue. 
Nous  nous  aimerions  encor, 
Si  tu  n'étais  pas  venue. 

Mais  tu  m'as  conquis  d'un  coup. 
Ton  sourire  exalte  et  grise. 
Aux  doigts  noués  à  mon  cou 
Les  tiens  ont  fait  lâcher  prise. 

Ce  sont  de  douces  amours. 
Mais  je  sens  qu'aux  mêmes  heures 
Un  remords  trouble  toujours 
Nos  caresses  les  meilleures. 

Et  je  t'ai  fait  cet  aveu, 
L'(\me  d'angoisse  envahie, 
Pour  que  nous  pleurions  un  peu 
Sur  l'enfant  que  j'ai  trahie 


BOUQUET 


APaimpol,  un  soir,  tandis  que  la  lune 
Eveillait  au  large  un  chant  de  marin , 
Nous  avons  tous  deux  cueilli  sur  la  dune 
Ces  touffes  de  menthe  et  de  romarin. 

Et  ces  œillets-ci,  c'est  un  soir,  à  Gàvre, 
Pris  à  la  douceur  qui  s'exhalait  d'eux, 
C'est  un  soir  d'amour,  à  l'angle  d'un  havre, 
Que  nous  les  avons  cueillis  tous  les  deux. 

10 


146        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Mais  ce  triste  brin  de  pariétaire , 

Je  l'ai  cueilli  seul  en  pensajit  à  toi, 

Un  soir  plein  de  cris,  d'ombre  et  de  mystère, 

Sur  les  rochers  nus  de  Saint-Jean-du-doigt. 


LES  PEUPLIERS 

LE  soir  a  tendu  de  sa  brume 
Les  peupliers  de  Keranroux. 
La  première  étoile  s'allume  ; 
Viens-t'en  voir  les  peupliers  roux. 

Fouettés  des  vents,  battus  des  grêles, 
Et  toujours  sveltes  cependant, 
Ils  dressent  leurs  colonnes  grêles 
Sur  le  fond  gris  de  l'occident. 

Et  dans  ces  brumes  vespérales, 
Les  longs  et  minces  peupliers 
Font  rêver  à  des  cathédrales 
Qui  n'auraient  plus  que  leurs  piliers. 


BRETONNE  DE  PARIS 

HÉLAS  !  tu  n'es  plus  une  paysanne  ; 
Le  mal  des  cités  a  pâli  ton  front. 
Mais  tu  peux  aller  de  Paimpol  à  Vanne  ; 
Les  gens  du  pays  te  reconnaîtront. 


CHARLES   LE   GOFFIC.  147 


Cai'  ton  corps  n'a  point  de  grâces  serviles  ; 
Tu  n'as  pas  changé  ton  pas  nonchalant  ; 
Et  ta  voix,  rebelle  au  parler  des  villes, 
A  gardé  son  timbre  augurai  et  lent. 

Et  je  ne  sais  quoi  dans  ton  amour  même, 
Un  geste  fuyant,  des  regards  gênés, 
Evoque  en  mon  cœur  le  pays  que  j'aime, 
Le  pays  très  chaste  où  nous  sommes  nés. 


PREMIERS  DOUTES 


JOLIS  rayons  d'aube,  entrez  dans  mon  âme  ; 
Elle  a  tant  besoin  de  revoir  le  jour  ! 

—  Sait-on  ce  qui  dort  dans  des  yeux  de  femme. 
Si  c'est  la  colère  ou  si  c'est  l'amour  ! 

0  rayons  jolis,  sous  votre  caresse 

Mon  âme  autrefois  s'emplissait  de  chants. 

—  Hélas  !  qu'avez-vous,  ma  chère  maîtresse. 
Pour  me  regarder  de  ces  yeux  méchants? 

0  rayons  jolis,  dissipez  mes  craintes  ; 
Apaisez  mon  mal,  tant  qu'il  n'est  pas  sûr. 

—  Les  yeux  de  ma  mie  ont  toujours  ces  teintes, 
Ces  teintes  d'or  sombre  et  de  sombre  azur. 


LOUIS  LE  LASSELR  DE  RANZAY 


AUX  HÉROS  SANS  GLOIRE 


Il  vous  fera  revivre  en  traits  ineffaçables, 
Héros  sans  gloire,  ô  morts  augustes,  noms  sacrés, 
Enfouis  sous  la  mer,  ou  la  neige  ou  les  sables  ? 


Explorateurs,  qu'un  sol  farouche  a  dévorés 
Près  de  voir  resplendir  le  soleil  de  leurs  rêves, 
Et  qui  dorment,  obscurs  sous  des  cieux  ignorés. 

Inventeurs  qu'ont  brisés  les  fatigues  sans  trêves. 
Sans  un  jour  de  triomphe  après  des  ans  d'efforts  ; 
Marins,  que  l'océan  n'a  pas  rendus  aux  grèves. 

Soldats  victorieux  laissés  parmi  les  morts  ; 
Victimes  d'uu  devoir  ou  martyrs  d'une  idée  ; 
Tous  ceux  dont  l'Ame  ardente  a  consumé  le  corps. 


Quand  un  peuple,  escortant  leur  cliAsse  enguirlandée, 
Acclame  on  ne  sait  quels  fantoches  mal  venus, 
Et  dont  vous  dépassez  les  fronts  d'une  coudée  ; 


LOUIS  LK    LASSFUR    T)K    RANZAY.  1  19 

Vos  OS  gisent  épars,  sublimes  inconnus, 
Et  des  mères,  des  fils,  des  veuves  désolées 
Ne  savent  môme  pas  ce  qu'ils  sont  devenus. 

Vous  n'ayant  pas  de  tombe,  ils  ont  des  mausolées, 
Où  leurs  noms  orgueilleux  resplendissent,  écrits 
En  lettres  d'or,  au  creux  des  pierres  ciselées. 

Qu'ont-ils  fait?  Plaire  au  maître  !  aboyer  aux  proscrits! 
Entasser  des  sequins,  des  écus  ou  des  piastres  ! 
Flatter  la  foule  !  Emplir  les  rostres  de  leurs  cris  ! 

Et  tandis  qu'on  les  couche  au  milieu  des  pilastres, 
Vous  qui  marchiez  courbés  vers  l'idéal  ardu. 
Vous  êtes  sans  linceuls  à  la  clarté  des  astres. 

Consolez-vous,  ô  morts,  vous  n'avez  rien  perdu  ; 

Cadavre  impérial  ou  dépouille  grossière. 

Les  vers  ne  lâchent  point  le  corps  qu'ils  ont  mordu. 

La  g-loire,  —  un  peu  de  bruit  sur  un  peu  de  poussière, — 

N'interrompit  jamais  leur  sinistre  festin, 

Sous  l'humble  croix,  ni  sous  la  chapelle  princière. 

Au  moment  d'accomplir  le  triomphal  destin, 
D'atteindre  la  chimère  ardemment  poursuivie, 
Vous  tombâtes,  frappés  par  un  coup  clandestin. 

Vous  avez  parcouru  le  désert  de  la  vie 
En  suivant  un  mirage  enfui  devant  vos  pas, 
Les  membres  ruisselants,  la  chair  inassouvie. 

Que  l'âme  vive  ou  meure  au  delà  du  trépas, 

Vous  aurez  eu,  pendant  ce  court  espoir  factice. 

Tout  ce  qu'on  peut  saisir  d'un  bonheur  qui  n'est  pas. 


150  LE    PARNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 

S'il  est  vrai  que  tout  l'être  humain  s'anéantisse, 
Qu'après  tant  de  labeurs  subis,  de  pleurs  versés, 
Nul  ne  puisse  espérer  la  suprême  justice  ; 

0  morts,  n'enviez  pas  les  joyeux  trépassés 
Qui  puisèrent  l'ivresse  aux  coupes  d'Epicure, 
TS^i  ceux  que  les  clameurs  de  la  foule  ont  bercés  ; 

Dormez  d'un  sommeil  calme  en  votre  tombe  obscure 
Si  l'âme  vit,  sa  gloire  est  d'être  sans  remords. 
Sinon,  goûtez  la  paix  que  le  néant  procure 

L'hosanna  des  vivants  n'éveille  pas  les  morts  ! 


SUM  UN  TRONC  DE  HETRE 


DEUX  chiffres  enlacés  creusent  l'écorce  lisse, 
Illisibles  déjà,  tant  le  tronc  a  grossi, 
Depuis  qu'à  des  serments ,  effacés  eux  aussi , 
L'arbre  indulgent  prêta  son  ombrage  complice. 

Ils  n'eurent  qu'un  printemps  à  peine  de  délice 
De  leur  première  joie  à  leur  premier  souci  ; 
Nul  vestige  bientôt  n'indiquera  qu'ici 
Fleurirent  les  amours  de  Robert  et  d'Alice. 

Un  soir  de  rêve ,  après  quelques  ans  révolus , 
Jusqu'au  banc  familier,  qu'ils  ne  fréquentent  plus , 
Un  hasard  les  ramène  ensemble  au  pied  du  hêtre  ; 

Le  bois  a  d'autres  fruits,  le  gazon  d'autres  fleurs; 
Et  d'autres  noms,  qui  vont  à  leur  tour  disparaître, 
Ont  envahi  la  place  où  s'embrassaient  les  leurs. 


THÉOPHILE  LEMONNIER 


SOIR  D'AUTOMNE 

A  peine  un  rayon  d'or  clans  riiumicle  vallée  ; 
Le  feuillage  éploré  se  fane  dans  les  bois  : 
C'est  l'automne  et  le  soir...  Je  rêve  de  l'allée 
Déserte,  où  nous  allions,  à  cette  heure,  autrefois. 

Je  revois  le  sentier  aux  bordures  de  mousse, 
La  clairière  ignorée  où  nous  causions,  joyeux  ; 
Où  tu  m'abandonnais  ta  main,  légère  et  douce 
Plus  qu'une  aile  d'oiseau  sous  son  duvet  soyeux. 

Nous  étions  si  petits  alors,  ma  bien-aimée, 

Que  sans  craindre  pour  toi  l'omljre  de  la  ramée, 

Nos  mères  nous  laissaient  courir  le  long  des  jours. 

Un  matin,  cependant,  je  quittai  mon  village, 
Mais  depuis  j'ai  toujours  le  regret  du  jeune  âge, 
Et  nos  baisers  d'adieu  me  reviennent  toujours  ! 


EUGÈNE  LE  lOUËL 


BALLADE  DE  LA  PILEUSE 


BONNE  femme,  filez,  filez  la  laine  blanche  ! 
C'est  la  saison  des  nids  dans  les  bois  parfumés  ; 
Un  rayon  de  soleil  danse  sur  votre  manche 
Et  baigne  de  clarté  les  tableaux  enfumés... 
Bonne  femme,  filez,  filez  la  laine  blanche  ! 

Parmi  les  nénuphars  dormant  sur  Teau  dormante, 
Les  papillons  dorés  et  les  papillons  blancs 
S'en  vont  en  tournoyant...  singulière  tourmente 
D'ailes  qu'on  croit  des  fleurs  dans  les  roseaux  tremblants, 
Parmi  les  nénuphars  dormant  sur  l'eau  dormante  ! 

Vous  n'irez  plus  au  l)ois  récolter  les  morilles 
Qui  se  cachent  dans  l'herbe  à  l'ombre  des  ormeaux  ; 
Bonne  femme,  laissez,  laissez  les  jeunes  filles 
Cueillir  les  fruits  à  l'arbre  en  courbant  les  rameaux  ; 
Vous  n'irez  plus  au  bois  récolter  les  morilles  ! 

On  dit  que  vous  aviez  de  belles  boucles  blondes, 
Que  vous  portiez  gaîment,  l)ras  nus,  les  lourds  paniers, 
Et  qu'un  fichu  croisé  sur  vos  épaules  rondes. 
Vous  dansiez,  tout  un  soir,  sous  les  hauts  marronniers... 
On  dit  que  vous  aviez  de  Jjelles  boucles  blondes  ! 


KT'GÈN'K    LK    MOUEL.  153 


On  dit  que  vous  aimiez  Pierre,  le  garde-chasse, 
Dont  la  tète  passait  par-dessus  les  taillis, 
Et  que  sur  votre  cœur  vous  gardiez  une  place 
Pour  mettre  les  bouquets  que  Pierre  avait  cueillis. 
On  dit  que  vous  aimiez  Pierre,  le  garde-chasse  ! 

Bonne  femme,  on  en  parle  encore  à  la  veillée 
De  la  noce  de  Pierre  !  —  On  conte  que  Suzon 
Etait  blanche,  était  rose,  était  ensoleillée. 
Et  que  le  garde-chasse  était  un  beau  garçon. 
Bonne  femme,  on  en  parle  encore  à  la  veillée  ! 

Est-ce  vrai  qu'on  vous  voit  pleurer  sur  votre  ouvrage 
Quand,  par-dessus  les  blés  fêtés  par  les  grillons, 
Le  vieux  clocher  du  bourg  annonce  un  mariage 
Et  fait  peur  aux  oiseaux  de  ses  gais  carillons  ? 
Est-ce  vrai  qu'on  vous  voit  pleurer  sur  votre  ouvrage? 

Suzon,  vous  pensez  donc  encore  au  garde-chasse? 
Vous  marmottez  son  nom  parfois  entre  vos  dents..: 
Si,  dans  votre  cerveau,  le  souvenir  se  lasse. 
L'amour  de  votre  cœur  est  plus  vieux  que  le  temps  ! 
Suzon,  vous  pensez  donc  encore  au  garde-chasse? 

Depuis  que  Pierre  est  mort,  Suzon,  vous  êtes  morte  i 
Lorsque  pour  votre  deuil  les  cloches  sonneront, 
Que  le  prêtre  viendra,  sur  le  pas  de  la  porte. 
Chercher  votre  cercueil,  peu  de  gens  le  suivront... 
Depuis  que  Pierre  est  mort,  Suzon,  vous  êtes  morte  ! 

On  ne  sait  plus  le  nom  de  Suzon  la  fileuse... 
Les  filles  d'autrefois  et  leurs  doux  amoureux 
Dorment  depuis  longtemps  sous  la  terre  frileuse, 
Et  le  chardon  fleurit  sur  leurs  tombeaux  poudreux  ! 
On  ne  sait  plus  le  nom  de  Suzon  la  fileuse  ; 


154         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Aussi,  filez  en  paix,  filez  la  laine  blanche  ! 
C'est  la  saison  des  nids  dans  les  bois  parfumés  ! 
Un  rayon  de  soleil  danse  sur  votre  manche 
Et  baigne  de  clarté  les  tableaux  enfumés... 
Bonne  femme,  filez,  filez  la  laine  blanche  ! 


TANGUY 


DANS  les  fleurs  des  landiers  et  les  fleurs  des  bruyères, 
Que  le  vent  maraudeur  emporte  sous  les  bois, 
Par  les  champs  de  blé  noir  bordés  de  lourdes  pierres, 
J'ai  vu  passer  Tanguy,  le  joueur  de  hautbois... 

Et  voilà  que  j'entends  au-dessus  des  murmures 
Qui  montent  des  chemins,  des  prés  et  des  buissons, 
Les  binious  sonnant,  en  marquant  les  mesures, 
La  vieille  ritournelle  et  les  douces  chansons... 

Et  voilà  que  je  vois,  tour  à  tour,  dans  les  branches, 
La  ronde  qui  s'en  va  d'un  rythme  saccadé. 
Entraînant  les  g-arçons  avec  leurs  vestes  blanches, 
Et  les  filles  tenant  leur  tablier  brodé  ! 

Mais  Tanguy  ne  va  pas  sous  la  châtaigneraie 
S'étourdir  dans  le  bal  au  son  des  binious  ; 
Et,  couché  dans  le  thym  qui  parfume  la  haie, 
Faite  de  cornouilliers,  de  ronces  et  de  houx. 

Il  regarde  à  pleins  yeux  la  ronde  bien-aimée,  .  .; 

La  ronde  qu'Annaïk  aimait  tant  autrefois, 
Quand,  sous  son  bras  nerveux  il  tenait  enfermée 
Celle  qui  n'ira  plus  jamais  danser  au  bois  ! 


EUGÈNE   LE   MOUEL.  loo 


Car  la  fille  est  partie  au  delà  des  montagnes 
On  le  soleil  reluit  sur  les  meules  de  foin, 
Et  d'où  l'on  aperçoit,  par-dessus  les  campag-nes, 
Le  ruban  des  chemins  qui  se  déroule  au  loin. 

Annaïk  est  partie,  un  matin  de  dimanche, 
A  l'heure  où  les  ajoncs  de  la  lande  sont  las, 
Et  Tanguy  se  souvient  qu'il  vit  sa  coiffe  blanche  ^ 
Frémir  avec  le  vent  qui  ne  reviendra  pas  ! 

Peut-être,  maintenant,  danse-t-elle  la  ronde 
Derrière  la  forêt  qui  ferme  l'horizon  ? 
Car  le  recteur,  en  chaire,  enseigne  que  le  monde 
Est  plus  grand  que  le  ciel  qu'on  voit  de  sa  maison  ! 

Tanguy  veut  la  revoir  !  —  et,  pour  gagner  sa  vie, 
Il  jouera  les  vieux  airs  que  chante  son  hautbois  ; 
Comme  il  suivra  la  sente  en  fleurs  qu'elle  a  suivie. 
Si  son  cœur  a  gardé  les  chansons  d'autrefois  ; 

Alors,  en  entendant  les  vieux  refrains  de  danse, 
Elle  se  souviendra  du  village  qui  dort 
Sous  les  hauts  châtaigniers  et  de  sa  douce  enfance 
Dans  la  bruyère  rose  et  dans  les  landiers  d'or  ! 


ALCIDE  LEROUX 


SOUVENIR  D'ATHENES 


A  J.-Giiy  Ropartz. 


L'AZUR  constellé  d'or,  la  nuit  orientale, 
Enveloppaient  le  Pnyx  de  leur  sérénité, 
L'Acropolis  dormait  son  sommeil  de  vestale 
Egorgée  et  sublime  en  sa  virginité, 

Sous  les  temples  brisés  dont  la  blancheur  s'étale 
Au  bord  de  l'Ilissus,  la  foule  en  li])erté, 
Devant  les  Turcs  marchait  sur  sa  terre  natale, 
Parlant  sa  langue,  belle  encore,  avec  fierté. 

Moi,  Celte,  j'écoutais  cette  langue  d'Homère, 
VA  regardais  passer  comme  un  spectre  éphémère 
(^e  peuple,  ombre  des  Grecs  que  protégeait  Pallas. 


Tout  à  coup  j'aperçus  debout  sur  quatre  planches 
Une  fille  des  Francs ,  les  deux  poings  sur  les  hanches, 
Chantant  aux  lils  des  Grecs  Y  air  du  beau  Nicolas. 


LÉON  LEVRAULT 


C 


LA    COUPE 

'était  un  soir,  auprès  de  la  mer  écumante. 
En  bas,  un  gouffre  affreux,  fouetté  par  la  tourmente, 


Crachait  vers  le  ciel  sombre  un  flot  grondeur  et  noir. 
En  haut,  sur  un  rocher,  tout  pensif,  un  monarque 
Contemplait  le  remous  qui  brisait  une  barque, 
Et  du  regard  sondait  le  gouffre  horrible  à  voir. 

Autour  de  lui,  les  grands,  les  dames  empressées. 
Les  écuyers  guettaient  sur  son  front  ses  pensées , 
Pour  plier  leurs  désirs  à  son  désir  nouveau. 
Mais  nul  n'osait  troubler  son  attitude  austère. 
Et  le  roi  regardait,  dédaigneux  de  la  terre. 
Se  tordre  la  montagne  d'eau. 

Puis  on  le  vit  soudain  s'éveiller  de  son  rêve  : 
«  Holà  !  tous  mes  féaux  ! . . .  Ce  gouffre  qui  soulève 
«  Tant  d'écume  et  la  jette  à  mon  manteau  de  roi, 
«  Je  veux  savoir  ce  que  dans  ses  flots  il  recèle. 
«  Mes  barons,  mes  guerriers,  quel  sera  le  fidèle 
«  Qui  dans  ces  profondeurs  descendra  sans  effroi? 


158        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Tous  se  taisaient  ;  et  lui,  les  yeux  brillants  denvie  : 
<(   Qui  ne  m'a  mille  fois  fait  l'offre  de  sa  vie? 
«  Il  faudrait  la  tenir,  barons.  Voici  le  jour  ! 
«   Qu'il  plonge  celui-là  qui  veut  pour  son  domaine 
«  Les  champs  dont  un  cheval,  pendant  une  semaine, 
«  En  galopant  fera  le  tour  !   » 

Ils  se  taisaient,  tremblant  au  seul  aspect  du  gouffre 
Qui  longuement  hurlait  comme  un  monstre  qui  souffre; 
Alors,  avec  dépit,  le  roi  reprit  encor  : 
<(  Dans  mon  royaume  entier  qu'il  choisisse  et  qu'il  coupe 
«  Celui  qui  plongera  pour  retrouver  ma  coupe!  » 
Et  le  roi  dans  la  mer  jeta  sa  coupe  d'or. 

Un  jeune  homme,  à  ces  mots,  est  sorti  de  la  foule. 
Il  bondit  dans  les  flots  soulevés,  que  refoule 
Contre  le  roc  abrupt  l'ouragan  déchahié... 
Un  instant,  on  le  voit  nager  d'une  main  ferme. 
Il  disparait...  Sur  lui  l'Océan  se  referme, 
Comme  l'enfer  sur  un  damné. 

Une  minute!...  un  siècle!...  un  long  cri  d'allégresse  !... 
Car  voici  que  surgit  du  gouffre  un  bras  qui  dresse 
La  coupe,  où  l'eau  des  mers  pend  en  gouttes  d'azur 
Et  que  couvre  un  épais  manteau  d'herbes  marines... 
Un  cri  joyeux  jaillit  de  toutes  les  poitrines. 

—  ((  Prmce,  j'ai  pu  ravir  ta  coupe  au  gouffre  obscur. 

—  «  D'où  la  rapportes-tu  ?  —  Sur  une  roche  grise 

«  Dans  les  varechs  touffus  et  visqueux,  je  l'ai  prise. 
«  Au  dessous,  j'entendais  comme  un  souffle  emporté 
«   Qui  mugissait  à  des  profondeurs  inconnues, 
«  Pareil  aux  grondements  d'orage  dans  les  nues. 
«  Et  je  remonte  épouvanté  !   » 


LÉON    LEVRAULT,  159 


Le  roi  distrait  répond  :  «  Bien  !  à  toi  le  domaine  !  » 

Puis,  tout  fiévreux  :  «  Enfant,  ma  fille  sera  reine. 

«  Elle  est  belle...  Oh  !  bien  belle  avec  ses  longs  cheveux... 

«  Les  rois  sont  à  ses  pieds  ;  et  les  fds  de  la  lyre 

«  Dans  leurs  vers  amoureux  ont  chanté  son  sourire... 

((  Enfant  I  elle  sera  ta  femme,  si  tu  veux  ! 

«  Si,  plongeant  de  nouveau  dans  Fabime  insondable, 
«  Tu  peux  me  rapporter  plein  ma  coupe  de  sable, 
«  Et  forcer  le  secret  de  cet  antre  inconnu.  » 
L'écuyer  lui  sourit.  Il  regarda  la  dame, 
Et  sauta  du  rocher  où  déferlait  la  lame... 
Mais  jamais  il  n'est  revenu. 

Ainsi,  pauvres  humains,  philosophes,  poètes, 

A  l'âge  où  l'on  devrait  cueillir  des  violettes 

Et  se  perdre  gaiement  au  fond  des  chemins  creux , 

Au  souriant  matin,  chanter  avec  les  merles. 

Et,  quand  le  soir  a  pris  sa  parure  de  perles, 

Dire  aux  bois  assoupis  ses  tourments  amoureux  ; 

A  l'âge  des  plaisirs,  des  rêves,  de  l'audace. 
Où  l'on  devrait,  joyeux  imitateurs  d'Horace, 
Boire  un  vin  parfumé  par  les  fleurs  de  l'été 
Et  parcourir  le  monde,  insouciant  et  libre, 
Comme  un  aiglon,  avec  un  cri  vainqueur  où  vibre 
L'ivresse  de  la  liberté  ; 

Alors,  devant  nos  pas  le  mystère  se  creuse, 

Précipice  sinistre,  où  d'une  voix  affreuse 

Mugit  un  Océan  courroucé,  dans  la  nuit. 

Au  bord,  comme  le  vieux  monarque  à  barbe  blanche. 

L'humanité  troublée  est  debout  qui  se  penche 

Pour  voir  ce  qui  se  cache  au  fond  de  tout  ce  bruit. 


160        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Elle  dit  :  «  Jeunes  gens  :  pas  de  plaisirs  frivoles  ! 
«  Pas  de  chansons  d'amonr  aux  pieds  des  jeunes  folles! 
«  Vers  un  plus  noble  but  dirigez  vos  ardeurs  ! 
((  Qui  de  vous  le  premier  tentera  ces  abîmes  ? 
«  C'est  là  qu'on  a  jeté  les  vérités  sublimes 
«  Dans  l'infini  des  profondeurs. 

Oui  !  qu'il  ose  plonger  dans  l'effrayant  mystère  ! 

Qu'il  revienne  agitant,  fier,  aux  yeux  de  la  terre, 

La  Vérité,  la  coupe  aux  reflets  radieux. 

Nous  graverons  son  nom  sur  des  tables  d'ivoire, 

Et  nous  lui  donnerons  pour  épouse  la  Gloire, 

Dont  les  ardents  baisers  nous  sacrent  demi-dieux  !  » 

Et  bien  des  jeunes  gens  foulent  les  primevères, 
A  la  nymphe  qui  rit  montrent  des  fronts  sévères 
Et  d'un  bras  irrité  repoussent  le  plaisir  ; 
Car  ce  qui,  tout  entiers,  les  occupe  elles  tente. 
C'est  le  gouffre  hurlant,  l'immensité  béante. 
Et  le  secret  qu'il  faut  saisir. 

Mais  que  sert  cet  élan  des  jeunes  cœurs  avides? 
Ceux  qu'on  voit  revenir  reviennent  les  mains  vides  : 
Pris  de  peur,  ils  n'ont  pas  assez  loin  descendu  ; 
Et  le  hardi  plongeur  qui  poursuit  sans  rien  craindra. 
Qui  surprend  la  chimère  au  fond  et  veut  l'étreindre. 
Celui-là,  l'Océan  ne  l'a  jamais  rendu  ! 


GEORGES  LOIRE 


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ON  la  trouve  partout  :  dans  nos  bois,  dans  nos  landes, 
Dans  nos  prés  étoiles  de  fleurs  et  de  lapis, 
Le  long'  de  nos  talus  elle  court  en  guirlandes 
Et  sur  notre  granit  elle  jette  un  tapis. 

Il  lui  faut,  pour  fleurir,  l'ombrage  de  nos  chênes 
Et  la  brise  de  mer  aux  brèches  du  manoir; 
Il  lui  faut  nos  guérets,  nos  brumes  et  nos  plaines,     . 
Nos  menhirs  en  ruine  et  nos  champs  de  blé  noir. 

A  toi,  les  amoureux,  petite  fleur  bretonne, 
Ne  disent  ni  secrets,  ni  projets  d'avenir, 
Et  l'étranger  passant  ne  songe  pas,  mignonne, 
Humble,  à  te  regarder,  et  triste,  à  te  cueillir. 

Mais  le  Breton  qui  t'aime,  ù  ma  chère  pauvrette, 
Se  rappelle  toujours  la  fleur  de  son  pays, 
Et  ton  acre  parfum,  et  ta  soyeuse  aigrette. 
Que  la  brise  des  prés  penche  au  bord  des  taillis. 


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FRANÇOIS  LONGUECiVND 


L'ANE  ET   LES   FLEURS 

LE  plus  jeune  des  fils  tVuue  pauvre  bourrique, 
Un  îuie  au  poil  luisant,  gras,  rond  et  l)ien  jambe, 

Au  licou  s'était  dérolié 
Et  sautait,  un  matin,  loin  du  toit  domestique. 
Il  arrive  en  un  pré  :  le  dahlia  vermeil, 
Les  tulipes,  les  lis  s'y  chauffaient  au  soleil. 

Roussin  est  tout  fier  de  se  dire 

Conquérant  de  ce  bel  empire. 
De  Tune  à  Tautre  fleur  courant,  le  campagnard 
Daigne  leur  octroyer  Thonneur  de  son  regard, 

Au  muguet,  il  jette  un  sourire  ; 

La  tulipe  un  moment  l'attire  ; 

A  la  rose  il  chci'che  comment 

Tourner  un  joli  compliment. 
Mais  le  voilà  parti  :  rose  reste  seulette  ; 
Le  baudet  en  passant  foule  la  violette 

Qui  se  brise  sous  ses  pieds  lourds. 
Adieu  lis  magnifique,  adieu  rose  nouvelle  ; 
Làne  a  su  découvrir  une  chose  plus  belle  : 

Un  chardon,  \oilà  ses  amoui^s  ! 


FRANÇOIS    LONGUECAND  168 


Souvent  ainsi,  livrée  au  jui^er  d'un  profane, 
Dans  le  monde  du  cœur,  dans  le  monde  de  l'art, 
La  rose  délicate  est  laissée  à  l'écart, 

Et  le  chardon  trouve  son  âne. 


(Fables. 


LE  TAILLEUR  ET  LES  NAINS 


(tiré  du  b.vrzaz-breiz) 


PASKOU,  dont  la  langue  frétille. 
Pointue  autant  que  son  aiguille, 
Paskou  le  long-  et  le  tailleur, 

N'a  plus  une  culotte  à  faire  : 

Tous  les  hommes  sont  à  la  guerre  : 

Que  fait-il  ?  Il  fait  le  voleur. 

A  pas  de  loup,  au  clair  de  lune, 
Il  est  allé  chercher  fortune 
Un  certain  soir  de  vendredi. 

Il  a  des  Nains  fouillé  la  grotte, 
Et  revient,  de  l'or  plein  sa  hotte  ; 
Petit  tailleur  est  bien  hardi  ! 

Et,  dans  un  grenier  sous  la  paille, 
Le  tailleur,  cachant  sa  trouvaille. 
S'étend  dessus  tout  fier  de  lui. 


164  LE    PARNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 

Ah  !  Paskou,  prends  garde  !  à  ta  porte 
Mets  ta  serrure  la  plus  forte  ; 
Voici  les  démons  de  la  nuit. 

Dans  la  cour  s'assemble  leur  bande  ; 
Elle  danse  une  sarabande 
Et  nasille  une  aigre  chanson. 

Petites  mines  renfrog"nées, 
Grimpant  comme  des  araignées, 
Ils  escaladent  la  maison. 

Sur  le  vieux  toit  qu'ils  courent  vite  I 
Ah!  Paskou,  cherche  l'eau  bénite; 
Délivre-toi  de  ton  trésor. 

Disparais  sous  ta  couverture 
Et,  tapi  dans  ton  encoignure, 
Tiens-toi  tranquille  comme  un  mort. 

Car  ils  ont  des  yeux  redoutables, 
Les  petits  dus,  les  petits  diables  ! 
Ils  percent  le  toit  du  grenier.  , 

Le  premier  allonge  la  face  ; 

II  regarde  et  tourne  et  grimace  ; 

Il  descend  le  long-  du  pilier. 

Un  —  deux  —  trois  !  —  la  troupe  maudite 
Descend  tout  entière  à  sa  suite  ; 
Ils  bondissent  :  Pauvre  Paskou  ! 


Pour  se  voir  ailleurs,  à  la  Vierge 
Il  ferait  cadeau  d'un  beau  cierge  ! 
Il  sent  comme  une  corde  au  cou  : 


FRANÇOIS    LONGUECAND. 


16: 


—  As-tu  l'air  de  dormir  im  somme, 
Cher  tailleur,  cher  petit  bonhomme  ? 
Montre-nous  ton  nez  rubicond. 

Debout  !  Saute  !  Le  bal  commence  ; 
Les  nains  vont  Rapprendre  une  danse, 
Une  danse,  petit  fripon, 

A  faire  éclater  ta  poitrine, 
A  faire  craquer  ton  échine  , 
A  mettre  ton  àme  aux  abois  : 

Mi^ux  vaut  coudre  un  fond  de  culottes 
Que  chercher  de  l'or  dans  les  grottes  : 
Argent  de  nains  brûle  les  doiets. 


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F.-M.  AN  UC'HEL 


BREIZ-IZELL 


LAR  d'in,  anaout  a  rez  ar  vrô 
Lec'h,  war  a  garrec,  sao  derù  ; 
Lec'h  'kân  a  barz  war  dreuz  he  zôr, 
Ha  war  ann  aod  e  trouz  ar  môr? 

—  la,  ar  vrù-ze  eo  Breiz-Izell  ; 
War  ar  bed  pa  dolan  eur  zell , 
En  neb  lec'h  na  welan  hini, 

A  c'houlem  ken  braz  meuleiidi. 

—  Lâr  d'in,  anaout  a  rez  ar  vrô 
Lec'h  ma  kaver  c'hoaz  war  enn  drô 
Komz  Doue  hag-  ar  feiz  ô  rén. 

Ha  reiz  hag-  eeiin  kalon  an  dén? 


—  la,  ar  vrô-ze  eo  Breiz-Izell. 
Me  a  garie  '  vel  ar  sparfel, 
Kaout  dioLi-eskel,  evit  monet 
Trezeg-  a  vamm  'deuz  ma  ganet. 


^c<:  ç'As^^v^Ty<^ 


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V. 


FRANCOIS-MARIE  LUZEL 


BREIZ-IZELL 

DIS-MOI,    connais-tu    le    pays   —    où    sur    le    rocher 
s'élève  le  chêne; —  où  le  barde  chante  sur  le  seuil 
de  sa  porte,  —  où  sur  le  rivage  bruit  la  mer? 


—  Oui,  ce  pays-là  c'est  Breiz-Izell.  —  Sur  le  monde 
quand  je  jette  un  regard,  —  nulle  part  je  n'en  vois 
un  autre,  —  qui  réclame  une  aussi  grande  louange. 


—  Dis-moi,  connais-tu  le  pays,  —  où  l'on  trouve 
encore  ensemble  —  la  parole  de  Dieu  et  la  foi  en 
vigueur,  —  et  la  loyauté  et  la  droiture  dans  le  cœur 
de  l'homme? 

—  Oui,  ce  pays-là,  c'est  Breiz-lzell.  —  Je  voudrais, 
comme  Fépervier,  —  avoir  deux  ailes,  pour  m'envoler, 
—  vers  la  mère  qui,  là,  me  mit  au  monde. 


168        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

—  Làr  d'in,  anaout  a  rez  ar  vrô 
Lec'h  na  grèn  dèn  rag-  ar  màrô  ; 
Lec'h  vewer  en  doùjanz  Doue, 
Ha  doùjanz  lezen  ar  roue? 

—  la,  ar  vrô-ze  eo  Breiz-Izell  ; 
Evid-oùn  beza  diout-hi  pell, 

D'al  lec'h  m'eo  chou  met  ma  c'halon 
Ma  spered  'nij  'vel  eur  gudon. 

—  Làr  d"in,  anaout  a  rez  ar  vrô 
Lec'h,  evel  bleùn  Ijarz  ar  parcô, 
A  weler  ar  merc'hed  iaoùanc, 
Er  pardôniou,  zeder  ha  koant? 

—  la,  ar  vrô-ze  eo  Breiz-Izell, 
Kùdon  a  nij  a  denn-askel 
War-zu  ma  brô,  lavar,  koulmic, 
Deiz-mad  da  Vôna,  ma  dousic. 

—  L(ir  d'iu,  anaout  a  rez  ar  vrô, 
A  gar  lie  giziou  kôz  atô, 

Lec'h  peder  c'hoaz  en  ilizou, 
Hag  er  véred,  war  ar  beziou? 

—  la,  ar  vrô-ze  eo  Breiz-Izell. 
Kouabren  kasset  gant  ann  awel, 
Eùn  tamm  d'ann  douar  diskennet. 
Ha  bete  ma  brô  ma  douget. 

—  Làr  d'in,  anaout  a  rez  ar  vrô, 
Lec'h  kàner  gwerzio  ha  zônio. 
En  tàl  ar  fornigal,  bep-nôz. 

En  koùn  olieriou  ar  rc  gôz? 


FRANÇOIS-MARIE    LTZEL.  169 

—  Dis-moi,  connais-tu  le  pays,  —  où  nul  ne  tremble 
devant  la  mort,  —  où  l'on  vit  dans  le  respect  de  son 
Dieu,  —  et  aussi  de  la  loi  de  son  pays? 


—  Oui,  ce  pays-là  c'est  Breiz-Izell  ;  —  et  pour  loin 
que  j'en  sois  aujourd'hui,  —  aux  lieux  où  est  resté 
mon  cœur,  —  mon  esprit  s'envole,  comme  la  colombe. 


—  Dis-moi ,  connais-tu  le  pays ,  —  où ,  comme  les 
fleurs  dans  les  champs,  —  on  voit  les  jeunes  filles,  — 
aux  Pardons,  joyeuses  et  belles? 


Oui,  ce  pays-là  c'est  Breiz-Izell.  —  Ramier  bleu, 
qui  voles  —  à  tire-dailes  du  côté  de  mon  pays,  sou- 
haite, ô  ramier,  —  le  bonjour  à  ma  douce  Môna. 


—  Dis-moi,  connais-tu  le  pays,  —  où  l'on  aime  tou- 
jours les  anciennes  coutumes,  —  où  l'on  prie  encore 
dans  les  églises,  —  et  dans  les  cimetières,  sur  les 
tombes? 


Oui,  ce  pays-là  c'est  Breiz-Izell.  —  0  nuage,  poussé 
par  le  vent,  —  descendez  un  peu  jusqu'à  terre,  —  et 
emportez-moi  jusqu'à  mon  pays  ! 


—  Dis-moi,  connais-tu  le  pays,  —  où  l'on  chante  de 
vieux  gioerz  et  des  sônes,  —  le  soir,  au  coin  du  foyer, 
—  en  souvenir  des  exploits  des  ancêtres? 


!70 


LE  PARNASSF^  BRKTON  CONTEMPORAIN. 


—  la,  ar  vrô-ze  eo  Breiz-Izell, 
Lec'h  ma  fell  d'in  mont  da  verwel, 
lia  bezaii  eùu  deiz  doùaret, 

Gant  ma  broïz,  en  ho  béred. 

—  Ann  hiuin  a  zavaz  ar  zôn, 
'Zo  eur  zoudard,  trist  he  galon, 
Ilag  a  varwo  gant  keùn  d'he  vrô, 
Med  prest  da  Yreiz  e  ve  distro. 


FRANÇOIS-MARIE    LUZEL. 


171 


—  Oui,  ce  pays-là  c'est  Breiz-Izell.  —  C'est  là  que  je 
voudrais  aller  mourir,  —  et  être  enterré ,  un  jour,  — 
parmi  ceux  de  mon  pays,  dans  leur  cimetière  ! 


—  Celui  qui  fit  ce  sône,  —  est  un  soldat,  triste  de 
cœur,  —  et  qui  mourra  de  regret  du  pays,  —  s'il  n'est 
bientôt  de  retour  en  Breiz. 


ABBÉ  JEAN  MARBŒUF 


LE  COMBAT  DE  CORBILO 


C'est  la  nuit ,  et  César  s'avance  vers  la  côte , 
Et  l'on  entend  au  loin  retentir  les  clairons  ; 
Sur  le  sable  mouvant  passent  les  escadrons 
Avec  la  lance  haute. 

Aux  clartés  de  la  lune,  on  voit  sur  un  dolmen 
Le  druide  agiter  sa  hache  ;  de  colère 
Il  frémit,  et  sa  bouche  entonne  un  chant  de  guerre 
En  criant:  Torriben! 

Torriben  !  —  Mille  voix,  qui  font  vibrer  la  nue , 
Répètent  le  bardit  du  poète  inspiré  : 
Un  prisonnier  est  là,  haletant,  elTaré 
Et  la  poitrine  nue. 


Qu'il  meure,  ce  Romain!  hurh;  un  peuple  ameuté; 
Ce  soldat  de  ('ésar  dont  le  joug  nous  opprime  , 
Qu'il  meure!  Que  le  cri  poussé  par  la  victime 
Proclame  notre  liberté! 


ABBÉ    JEAN    MABBOEUF.  173 

Des  larmes,  ô  guerrier,  ont  mouillé  ta  paupière. 
Tu  pleures...  Le  druide  approche  menaçant, 
Lève  son  ])ras  :  la  tète  a  roulé  dans  le  sang* 
Sous  la  hache  de  pierre. 

Et  le  prêtre  saisit  d'une  sauvage  main 
Le  cœur  de  la  victime,  et  tandis  qu'il  palpite, 
Il  le  montre ,  en  disant  :  C'est  ici  la  limite 
De  Tempirc  romain! 

Le  goéland  dans  les  airs  soudain  jette  une  plainte  , 
La  vague  fait  mugir  le  récif  qu'elle  bat  : 
Femmes,  vieillards,  enfants,  tout  s'élance  au  combat 
Pour  la  liberté  sainte. 


On  lutte  :  mais  bientôt  un  long  cri  de  douleur 
Vient  troubler  les  échos  de  la  vieille  Armorique  ; 
César  triomphe ,  crie  une  voix  fatidique  , 
Malheur  à  nous  !  malheur  ! 


Seul  un  barde  chantait  un  hymne  d'allégresse 
Mon  Arvor!  mon  Arvor!  espère  en  l'avenir; 
Signe  libérateur,  je  vois  sur  un  menhir 
Une  croix  qui  se  dresse! 


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THOMAS  MAISOINNEUVE 


POEME   DU  SOIR 


LE  soir  a  pour  moi  tant  de  charmes 
Que,  malgré  rabaudonnement 
De  l'aJjsence,  je  sens  les  larmes 
S'arrêter  dans  mon  cœur  d'amant,  ' 

Je  t'envoie,  ô  mon  enfant  blonde, 
Ces  quelques  vers  rêvés  jadis 
Lorsque  devant  la  mer  profonde 
Tu  m' entr' ouvrais  le  paradis  ! 


Le  brouillard  d'or  du  soir  s'étend  sur  les  chemins, 
Tout  s'apaise.  Aux  grands  bois  de  vagues  ritournelles, 
En  glissant  sur  les  prés  parfumés  de  cenelles, 
Dans  leurs  discrets  accords  parlent  des  lendemains. 
Le  brouillard  d'or  du  soir  s'étend  sur  les  chemins. 


THOMAS    MA.ISONNEUVE.  175 

Les  amoureux  s'en  vont  attendre  les  aimées 
An  rendez-vous  divin  dans  les  soml)res  sentiers  ; 
Sur  leur  lit  de  rameaux  dorment  les  églantiers  ; 
Et,  tandis  que  les  nids  chantent  sous  les  ramées, 
Les  amoureux  s'en  vont  attendre  les  aimées. 


Les  cieux  sont  parsemés  de  flocons  de  carmin 
Qui  flottent  dans  l'azur  insensiblement  rose. 
Il  n'est  plus  sur  la  terre  une  chanson  morose. 
Si  dans  l'ombre  surgit  la  blancheur  d'un  jasmin, 
Les  cieux  sont  parsemés  de  flocons  de  carmin. 

L'aveu  renaît  au  cœur,  idéalement  tendre, 

La  lèvre  sent  monter  la  chaleur  du  baiser. 

Et  le  désir  d'amour  lentement  vient  poser 

Le  doux  étonnement  que  l'on  cherche  à  comprendre. 

L'aveu  renaît  au  cœur,  idéalement  tendre. 


C'est  le  nocturne  chant  qui  rend  l'homme  songeur. 
Qui  fait  frémir  en  nous  l'immense  poésie, 
Où  chaque  mot  nous  semble  un  parfum  d'ambroisie 
Flottant  sur  le  parcours  du  zéphir  voyageur. 
C'est  le  nocturne  chant  qui  rend  l'homme  songeur. 


* 


Dans  les  pourpres  crépusculaires 
Les  chansons  ont  plus  de  douceurs. 
Et  les  rêves  se  font  berceurs  ; 
Partout  se  calment  les  colères 
Dans  les  pourpres  crépusculaires, 


17()        LK  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Dans  leurs  sillons  des  firmaments, 
Une  à  une  sortant  des  voiles, 
Les  harmonieuses  étoiles 
Reviennent  sourire  aux  amants 
Dans  leurs  sillons  des  firmaments. 


Si  tu  le  voulais,  ma  mignonne. 
Afin  d'imiter  les  oiseaux 
Qui  s'embrassent  dans  les  roseaux, 
Nous  irions  au  bois  qui  fleuronne, 
Si  tu  le  voulais,  ma  mignonne. 


Nous  échangerions  nos  aveux, 
Blottis  sous  les  feuiUes  dormantes  ; 
Tandis  que  les  brises  charmantes 
Entremêleraient  nos  cheveux. 
Nous  échangerions  nos  aveux. 


Le  soir  est  l'heure  où  tout  soupire  : 
Roses  des  bois,  oiseaux  chanteurs. 
Poète,  amant,  cieux  enchanteurs. 
Ce  qui  rêve,  ce  qui  respire; 
Le  soir  est  l'heure  où  tout  soupire  ! 


Dans  son  rayonnement  superbe 
S'est  couché  le  soleil  divin. 
Ajoutant  au  sombre  ravin 
Un  rulîis  à  chaque  brin  d'herbe. 


THOMAS   MAISONNEUVE.  177 


Les  subtiles  senteurs  légères 
Qui  glissent  sur  les  halliers  verts 
Font  au  cœur  à  peine  entr'ouverts 
Naître  des  chansons  passagères. 


Le  couchant  ressemble  à  l'aurore 
Dans  ses  mousselines  d'ors  fins, 
Et  l'on  entend  les  séraphins 
Préluder  sur  le  luth  sonore. 

L'ineffable  concert  des  anges 
Berce  le  frais  sommeil  des  fleurs 
Au  boudoir  des  sentiers  siffleurs 
Où  ne  chantent  plus  les  mésanges. 

Illuminons  notre  jeunesse 
A  ce  flambeau  mystérieux, 
Où  les  désirs  victorieux 
Allument  leur  chaude  caresse. 

Unissons  nos  voix  amoureuses 
Aux  voix  exquises  des  vallons. 
Où  d'invisibles  violons 
Murmurent  leurs  notes  heureuses  ! 


* 


Viens  sous  le  dôme  des  ramées 
Où  s'endort  le  dernier  rayon  ; 
La  nuit  du  bout  de  son  crayon 
Ecrit  les  romances  aimées  ; 
Viens  sous  le  dôme  des  ramées. 

\2 


178        LK  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Dans  V Alléluia  des  amants, 
Que  tout  redit  aux  cieux  immenses, 
Cherchons  les  candides  démences. 
Il  est  des  baisers,  des  serments 
Dans  Y  Alléluia  des  amants. 


Sur  le  parchemin  des  nuages, 
Où  se  livrent  bien  des  secrets. 
Les  beaux  chérubins  indiscrets 
Brossent  d'étranges  paysages 
Sur  le  parchemin  des  nuages. 

Dans  le  calme  du  calme  soir. 
L'âme  des  jeunes  fiancées 
Laisse  s'envoler  leurs  pensées 
Vers  le  fiancé  plein  d'espoir, 
Dans  le  calme  du  calme  soir. 


Partout  Famour  étend  son  aile . 
n  plane  un  long  frémissement 
Dans  ce  suprême  enchantement; 
Comme  une  caresse  éternelle, 
Partout  l'amour  étend  son  aile. 


Tout  dort.  Voici  la  nuit,  faisons  comme  les  bois. 
Endormons-nous.  Rêvons  d'un  rêve  plein  d'ivresse. 
Repose  sur  mon  cœur  ton  front  lourd  de  paresse, 
Et  pour  les  pays  bleus  partons  les  doigts  aux  doigts. 
Tout  dort.  Voici  la  nuit,  faisons  comme  les  bois. 


THOMAS   MAISONNEUVE.  179 


Nous  aurons  luèiiie  songe,  est-ce  pas,  mon  amie? 
Car  nous  avons  même  âge  et  même  illusion. 
Le  printemps  nous  a  mis  au  cœur  la  passion 
Qui  nous  rendra  joyeux  l'espace  de  la  vie. 
Nous  aurons  même  songe,  est-ce  pas,  mon  amie  ? 


Pour  bercer  ton  sommeil,  veux-tu,  je  chanterai 
De  nos  vieux  souvenirs  la  tendre  ritournelle  ; 
Et,  d'un  baiser  furtif  effleurant  ta  prunelle, 
Pour  t'admirer  longtemps,  pensif,  je  veillerai. 
Pour  bercer  ton  sommeil,  veux-tu,  je  chanterai? 

En  voyant  nos  amours  si  chastement  heureuses, 
Le  soir  apaise  encor  ses  dernières  clartés; 
Et  l'essaim  vagabond  des  lentes  voluptés 
Fait  surgir  au  ciel  noir  les  étoiles  peureuses. 
En  voyant  nos  amours  si  chastement  heureuses. 

Le  même  ange  sur  nous  étend  son  aile  d'or. 

Il  te  prend  pour  ma  sœur,  tant  ta  caresse  est  pure. 

Ton  sein  soulève  à  peine  un  coin  de  la  guipure, 

Et  ton  àme  parfois  en  mon  âme  s'endort. 

Le  môme  ange  sur  nous  étend  son  aile  d'or. 


LOUIS  marsolleàu 


OPHELIE 


0 


PHÉLiE ,  avec  des  fleurs  ,  bercée  au  flot , 
S'en  va  très  pâle  et  trépassée  au  fil  de  F  eau. 


Renversée ,  et  ses  cheveux  tramant  sur  l'onde  , 
Ses  froids  yeux  bleus  perdus  au  ciel,  fragile  et  blonde, 

Elle  va,  la  bouclie  ouverte,  laissant  voir 
Ses  blanches  dents.  Le  fleuve  lent  semble  un  miroir. 


C'est  l'aurore.  Un  frais  frisson  court  dans  les  branches , 
Les  nénuphars  ouvrent  sur  l'eau  leurs  splendeurs  blanches. 

Sur  les  bords,  s'éveillent  clairs  les  chants  d'oiseaux. 
La  brise  penche,  à  son  passage,  les  roseaux. 


Ophélie,  avec  des  fleurs,  au  flot  bercée, 
Au  lil  de  l'eau  s'en  va  très  pâle  et  trépassée. 


LOUIS    MARSOLLEAU.  181 


Romarins  déchiquetés,  l)OU(|uets  broyés; 
Espoirs  finis,  baisers  perdus,  amours  noyés, 


* 


Quelquefois ,  désir  de  gloire ,  amour  de  femme , 
On  sent  en  soi  passer  un  rêve,  au  fil  de  l'âme. 

Ln  beau  rêve,  aurore  en  fleur,  joyeux  et  fort. 
On  s'aperçoit  quand  on  y  touche,  qu'il  est  mort. 

Romarins  déchiquetés,  roses  broyées, 
Espoirs  finis,  baisers  perdus,  amours  noyés. 


* 


Ophélie,  avec  des  fleurs,  bercée  au  flot , 
Là-bas,  bien  loin,  s'en  est  allée,  au  fil  de  l'eau. 


SONNET  EN  ROUGE 

Aux  quatre  coins  de  l'horizon,  quatre  cités 
Brûlent,  lançant  vers  le  ciel  rouge  leurs  flambées  ; 
Dans  la  plaine,  où  le  soir  met  ses  rougeurs  plombées, 
Quatre  échafauds  ,  drapés  de  roug-e,  sont  plantés. 

Et  le  crépitement  des  étincelles  fauves, 
Sur  la  foule  écarlate  et  bruyante  qui  bout , 
Sonne;  on  voit ,  éclairés  sinistrement,  debout, 
Quatre  bourreaux  en  rouge  auprès  des  billots  chauves. 


182        LE  PARLASSE  URETON  CONTEMPORAIN. 

Les  quatre  rois  vaincus  attendent  à  genoux  ; 

Et  de  brusques  lueurs  passent  sous  les  cieux  roux , 

Comme  un  éclair  de  lampe  au  plafond  bas  d'un  bouge. 

Alors,  d'un  même  coup  des  quatre  haches  d'or, 
Les  quatre  bourreaux  font  tomber  la  même  mort, 
Et  sur  la  pourpre  on  voit  le  sang  qui  coule  —  rouge! 


SONNET  EN  VERT 


TOUTE  verte,  ployant  ses  ailes  transparentes, 
Ëmeraude ,  la  fée  au  sourire  pervers 
Est  debout,  près  de  la  source  verte  aux  flots  pers , 
Dans  la  forêt  de  jaspe  aux  fraîcheurs  murmurantes. 

Et  sur  le  gazon  vert  que  parfument  les  menthes , 
Le  soleil ,  avec  des  rayonnements  d'ors  verts , 
Découpe  sa  dentelle  adorable  à  travers 
L'élan  capricieux  des  feuilles  frissonnantes. 

Et  toute  la  forêt  éblouissante  étreint , 
De  l'intense  reflet  de  sa  verdeur  divine , 
La  verte  fée  aux  yeux  pâles  d'algue  marine. 

Mais  elle  alors,  ainsi  qu'un  rêve  qui  s'éteint. 
S'évapore;  et  l'on  voit,  sous  la  charmille  ouverte, 
Flotter  une  nuée  indescriptible  et  verte  ! 


LOUIS    MARSOLLEAU.  183 


SONNET  EN  BLANC 

LE  ciel  est  blanc,  la  terre  est  blanche,  et  lentement, 
Sans  trêve,  en  flocons  blancs,  la  neige  tombe,  tombe 
Dans  le  grand  cimetière  hagard,  où  chaque  tombe 
Disparait  sous  le  morne  ensevelissement. 

C'est  alors  que,  blafards,  hideux,  formant  cortèg-e , 
Avec  un  effroyable  et  grêle  cliquetis , 
Entrechoquant  leurs  os  pâles,  grands  et  petits, 
Les  blêmes  trépassés  se  dressent  dans  la  neige , 

Et  s'en  vont  vers  le  vide  horizon  sépulcral, 
Détachant  leurs  blancheurs  livides  de  squelettes, 
Mystérieusement,  sur  les  neiges  muettes  , 

Tandis  que,  sous  l'horreur  d'un  demi-jour  spectral, 
De  vagues  oiseaux  blancs  glissent  de  branche  en  branche. . . 
Et  cependant  le  ciel  est  blanc,  la  terre  est  blanche. 

(Les  Baisers  perdus.) 


HENRI  MAUGER 


LE  MOULIN  DU  DIABLE 

DIEU  !  le  joli  petit  moulin 
Oue  possédait  mon  ami  Pierre  ! 
Sous  le  lierre 
Et  le  jasmin, 
Dieu  !  le  joli  petit  moulin  ! 
On  entendait  jusqu'au  village 
Le  joyeux  tic-tac  qui  troubla 
Longtemps  le  rustique  hermitag'e. 
Le  diable  avait  passé  par  là  ! 

Les  fillettes  des  alentours 

En  souriant  levaient  leurs  têtes, 

Les  coquettes 

Dans  leurs  atours  ! 
Les  fillettes  des  alentours 
Se  demandaient  avec  mystère  : 
Laquelle  de  nous  séduira 
Le  beau  meunier  célibataire  ? 
Le  diable  avait  passé  par  là  ! 


HENRI    MAUGER.  185 

Quand  on  a  l'embarras  du  choix, 
Mieux  vaut  aimer  à  l'aveuglette 

Pâquerette 

Ou  fleur  des  hois, 
Quand  on  a  l'embarras  du  choix. 
Mais,  entre  toutes,  la  mignonne 
Vers  qui  son  cœur,  enfin,  vola, 
Fut  Rosette  —  Dieu  lui  pardonne  !  — 
Le  dia])le  avait  passé  par  là  ! 

Que  ne  fait-on  pour  de  beaux  yeux  ? 
Rosette  devint  la  meunière. 

Toute  fière 

Et  lui  joyeux. 
Que  ne  fait-on  pour  de  beaux  yeux? 
Mais  la  petite  était  volag-e 
Et  frivole.  Elle  s'ennuya; 
Huit  jours  après  le  mariage, 
Le  diable  avait  passé  par  là  ! 

Le  vent  emporta  le  moulin, 
Cn  soir,  qu'à  la  fête  voisine. 

Sa  Rosine 

Dansait  un  brin. 
Le  vent  emporta  le  moulin. 
Plus  de  moulin,  plus  de  meunière, 
La  vieille  histoire  que  voilà  I 
11  eu  mourut  le  pauvre  Pierre  : 
Le  dicible  avait  passé  par  là! 


FRANCIS  MELYIL 

(LÉONCE  GIBERT) 


PATRIA 


EXTREME  ORIENT 


CIEL  d'Asie.  Au  matin,  cris  d'alerte,  tambours, 
Coups  de  feu.  Des  éclairs  reluisent  dans  la  brume. 
Autour  d'eux  la  bataille  effroyable  s'allume  ; 
Nul  abri,  nul  renfort,  nul  espoir  de  secours. 

L'un  sur  l'autre  s'abat  sans  plainte  ni  discours  ; 
Lentement,  sûrement,  la  flamme  les  consume  : 
Noirs  de  poudre,  rougis  d'une  sanglante  écume. 
Broyés,  un  contre  mille,  ils  se  battent  toujours. 

L'aube  Inille,  et  d'amour  la  campagne  frissonne. 
Tandis  que  ces  héros  inconnus,  dont  personne 
Ne  redira  jamais  les  tragiques  exploits. 

Opposant  à  la  mort  leurs  sourires  tranquilles, 

Tombent,  comme  jadis  glorifiant  tes  lois, 

0  Sparte,  les  Trois  Cents  tombaient  aux  Tlicrmopyles  ! 


FRANCIS    MKLVIT..  187 


SOUS  LA  MOUSSE 

Il  n'avait  pas  vingt  ans.  Longtemps  avant  l'aurore 
Il  combattait,  l'éclair  s'allumant  en  ses  yeux, 
Quand,  parmi  les  clameurs,  l'ouragan  furieux 
De  la  guerre  éclatait  dans  le  clairon  sonore. 

De  son  sang  frais  et  pur  la  terre  se  colore  ; 
Son  Ame  ardente  a  pris  l'essor  mystérieux  : 
Comme  en  mourant  riaient  les  Celtes,  ses  aïeux, 
Couché  sur  le  gazon  humide,  il  rit  encore. 

Sur  la  rive  d'un  lac  dont  l'étrang-e  cristal 

Reflète  la  splendeur  du  ciel  oriental. 

On  a  creusé  la  fosse  où  le  soldat  repose  ; 

Alentour,  dans  les  bois  odorants  de  santal. 
Chantent  les  bengalis^  et  sur  la  tombe  close 
Flotte  un  souffle  divin  de  lotus  et  de  rose. 


RETOUR 

A  l'ombre  des  bosquets  aux  feuillages  divers 

Le  corps  est  étendu  dans  un  linceul  de  soie, 

Et  le  sang-  généreux  va  nourrir  avec  joie 

Les  fleurs  qu'on  voit  jaillir  des  tombeaux  entr'ouverts. 

Mais  l'âme  a  pris  son  vol  par  delà  les  flots  verts. 
Elle  a  fui  l'horizon  où  la  terre  est  en  proie 
Au  dévorant  amour  de  l'été  qui  flamboie, 
Pour  le  lointain  pays  des  éternels  hivers. 


188        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Ce  qu'elle  va  chercher,  ce  sont  des  landes  somhres 
Où  rimplacahle  mer,  sous  des  nuages  lourds, 
Se  brise  en  gémissant  à  d'étranges  décombres  ; 

C'est  un  étroit  vallon  aux  bizarres  détours, 

Et,  sous  un  toit  obscur  et  chancelant,  deux  ombres 

Qui  regardent  le  ciel  en  attendant  toujours, 

ON  CHANTE 

A  l'heure  où  le  soleil  teint  de  pourpre  les  nues. 
Au  bord  des  flots  vermeils  nous  irons  nous  asseoir, 
Et  nous  répéterons  les  chansons  ingénues 
Que  l'enfant  attardé  jette  à  l'écho  du  soir. 

Nous  fêterons  l'Amour  libre,  les  Nymphes  nues. 
Ce  que  tous  ont  cherché,  ce  que  nul  n'a  pu  voir, 
Et  nous  enlacerons  des  strophes  inconnues 
Avec  des  rimes  d'or  plus  riches  que  l'espoir. 

0  souvenirs  éteints  !  ô  faible  cœur  des  hommes  ! 
Dormons-nous?  veillons-nous?  Oublieux  que  nous  sommes. 
Nous  aimons,  nous  rêvons,  et  je  chante,  et  tu  ris. 

Nous  qui  vhnes  jadis,  les  yeux  brûlés  de  larmes, 
Quand  le  sort  en  nos  mains  brisait  toutes  nos  armes. 
Le  Germain  triomphant  aux  portes  de  Paris  ! 

PRIÈRE  D'ENFANT 

Il  est  vêtu  de  noir;  il  est  pâle.  Naguère 
Sa  mère  l'a  quitté  ;  tous  les  siens  sont  proscrits. 
Il  grandit  lentement  au  fond  du  vieux  Paris, 
Dans  une  chambre  étroite  où  le  jour  n'entre  guère. 


FRANCIS   MELVIL.  189 


La  nuit  vient.  Il  est  seul.  Dans  un  cadre  vulgaire, 
Un  reflet  ég-aré  sur  le  morne  lambris 
Effleure  le  portrait  d'un  brave  à  cheveux  gris, 
Tué  jadis  à  Metz  pendant  la  grande  guerre. 

L'enfant  sourit  au  mort  et  se  sent  raiîermi. 
Il  songe  à  l'avenir,  et  son  rêve  l'entraîne 
Vers  sa  ville  tombée  aux  mains  de  l'ennemi  ; 

Dans  le  ciel  une  étoile  a  lui,  chaste  et  sereine, 
Et  le  petit  soldat,  qui  s'endort  à  demi, 
Murmure  une  piière  à  Jeanne  la  Lorraine. 


FEMME  EN  DEUIL 


Sur  ses  mornes  regards  un  voile  est  étendu  ; 
D'angoisses  et  d'amers  regrets  son  âme  est  pleine; 
Son  cœur,  désespérant  du  jour  trop  attendu. 
Bat  douloureusement  sous  la  robe  de  laine. 

Oh  !  d'un  essor  de  flamme  et  d'un  vol  éperdu, 
Comme  à  travers  l'espace  et  l'effrayante  plaine, 
Là-bas,  à  l'Orient,  sur  le  pays  perdu 
Ce  pauvre  cœur  voudrait  s'abattre,  hors  d'haleine  ! 

Sa  bouche  a  murmuré  le  nom  du  cher  absent. 
Nom  sacré  qu'à  jamais  grave  en  lettres  de  sang 
Le  doigt  du  souvenir  au  fond  de  sa  pensée, 

Et,  quand  l'aube  se  lève  et  quand  le  soir  descend, 
Sans  cesse,  elle  aperçoit  sous  le  ciel  pâlissant 
La  flèche  de  Strasbourg  à  l'horizon  dressée. 


190  LE    PARNASSE   BRETON    CONTEMPORAIN. 


JUSQU'AU  JOUR 

Taisons-nous.  Les  vainqueurs  ont  droit  d'être  charmants. 
De  chanter  le  plaisir,  le  vin,  les  dieux  sublimes, 
Les  fièvres  du  combat,  l'ivresse  des  abimes, 
L'effroyable  beauté  des  villages  fumants. 

Laissons  ces  gais  refrains  aux  bardes  allemands  ; 
Qu'ils  célèbrent  en  paix  leurs  exploits  ou  leurs  crimes  : 
Il  est  doux  de  penser  qu'ils  accouplent  des  rimes 
Jusqu'au  matni  fatal  des  épouvanteuients. 

Nous,  notre  rôle,  c'est  d'aiguiser  nos  épées, 
De  songer  à  toute  heure  aux  grandes  épopées 
Qu'écrit  en  traits  de  feu  le  glaive  souverain, 

Et,  devançant  le  jour  des  revanches  prochaines, 
D'étreindre,  l'œil  fixé  sur  la  brèche  du  Rhin, 
L'implacable  étendard  des  éternelles  haines  ! 


VICOMTE  DU  MESNIL 


(MADAME  1)K  BEliU) 


NOUS 

IL  est  un  mot  naïf  qui  charme  notre  oreille, 
{  n  mot  que  veulent  dire  et  l'épouse  et  Tépoux, 
Et  le  frère  à  son  frère ,  et  la  mère  qui  veille 
Auprès  de  son  enfant...  Ce  mot  si  doux,  c'est  Nous! 

11  semble  faire  éclore,  en  l'ànie  qui  s'éveille, 
Tout  un  monde  d'amour  à  rendre  Dieu  jaloux; 
Et  le  monarque  altier  a  cru  faire  merveille 
En  l'adressant  du  trône  aux  peuples  à  genoux. 

Le  soldat  le  répète  après  chaque  victoire; 

Comme  aussi  les  savants  qui  marchent  vers  la  gloire, 

Ou  les  moines  courbés  sous  la  céleste  loi.  . . 


Qu'elle  est  dure,  mon  Dieul  cette  angoisse  suprême, 
Quand  la  mort  a  frappé  sur  tous  ceux  que  l'on  aime , 
Alors  qu'on  reste  seul...  et  qu'il  faut  dire  :  Moi! 


192        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


A  CELLE  QUE  J'AIME 

COMME  un  bijou  nacré  brillent  tes  ongles  roses, 
S'effilant  sur  la  chair  au  reflet  velouté. 
Tes  yeux,  comme  un  miroir,  reflètent  toutes  choses, 
Mais  semblent  accablés  d'un  poids  de  volupté. 

Quand  sur  le  divan  ])leu  mollement  tu  reposes, 
,1'aime,  pour  travailler,  t'avoir  à  mon  côté; 
Entre  mes  bengalis  et  mes  bouquets  de  roses, 
Tu  règnes  sans  souci,  blanche  divinité! 

Mais  quoi!  Les  feux  du  jour  ont  rouvert  ta  paupière, 
Le  soleil,  t'inondant  de  ses  flots  de  lumière, 
Glisse  ses  flèches  d'or  à  travers  le  lampas; 

Et  tu  marches  vers  moi,  caressante  et  plaintive, 
Comme  une  jeune  fée  à  la  fois  douce  et  vive.  . . 
Tout  beau!  Tout  beau.  Minette?  Et  qu'on  ne  griffe  pas! 


■■MMBiw^aaKBwwHiawnHûauiiHiimuuiiiJMbiijj'jsa^g^^fliBSBBais^ 

h^^r^în^TTS^SpEx^S^j-!?}™'?'  I  c^'^'  r;  ?vA\C\:l^-vr-^lî^=s^' 
~'v:^^,^\Y^vr■s■  \i^:s^':;5^•^A'^^^~^^^' 1^ — i  r^r'^-V-^     -   v-^^  -/-^-^-■ 


EMILE  MlCllELET 


VESPERAL 


MÉLANCOLIQUEMENT  tombe  le  soir  d'automne  : 
L'or  pâle  du  couchant  baigne  les  arbres  roux. 
Lointaine,  une  vapeur  par  masses  met  des  flous 
Sur  les  contours  lavés  de  teinte  monotone. 


Lentement  vers  le  sol  le  silence  descend, 

Comme  avec  un  regret  de  quitter  les  cieux  vastes, 

Comme  avec  un  refus  du  labeur  salissant 

De  jeter  sur  les  cris  humains  ses  voiles  chastes. 

Moribondes,  les  voix,  dans  leur  suprême  ampleur, 
Yont  s'assoupir  avec  l'inerte  effort  des  râles, 
Lointain  rappel  d'ahans  vomis  par  la  douleur, 
Et  de  mots  chuchotes  au  coin  des  nuques  pâles. 


Et  sous  tes  plis  fermés  portant  le  vague  espoir 
D'un  lendemain  nouveau,  révélateur  d'un  monde, 
Dans  l'âme  triste  tu  descends,  ô  calme  soir! 
Mélancolique  et  doux  comme  un  amour  de  blonde. 


13 


194  LE   PARNASSE   BRETON    CONTEMPORAIN. 


VESPERAL 

Dans  le  calme  des  soirs  pâlis, 
Notre  étreinte  se  fait  meilleure  : 
De  la  sérénité  de  l'heure, 
Frêle  amante,  tu  t'embellis. 

Notre  étreinte  se  fait  meilleure  : 
Tu  te  nommes  Amaryllis, 
Et  le  dernier  soupir  des  lys. 
Mélancolique,  nous  effleure. 

De  la  sérénité  de  l'heure 
Naissent  pour  nos  cœurs  amollis 
Les  souvenirs  et  les  oublis  ; 
L'espoir  sourit,  le  regret  pleure. 

Frêle  amante,  tu  t'embelhs 
De  la  splendeur  extérieure, 
Tandis  que  la  chose  demeure 
Dans  le  calme  des  soirs  pâhs. 


VESPERAL 

Ne  tends  plus  vers  l'horizon 
Tes  yeux  frissonnants  de  rêves  : 
Parut-il  une  saison 
Dont  tu  n'aies  senti  les  glaives? 

Ne  hausse  plus  vers  les  cieux 
Tes  yeux  fleuris  d'espérance  : 
Les  oiseaux  des  soirs  joyeux 
Sont  partis  dans  le  silence. 


EMILE   MICHELET.  19o 


Ne  penche  plus  vei'S  la  mer 
Tes  yeux  alourdis  de  larmes  : 
La  Sirène  au  vent  d'hiver 
Perdit  l'art  sacré  des  charmes. 


LUNAIRE 


JE  rêve  bien  souvent  d'une  femme  mystique 
Qui  glisse  autour  de  moi  ses  vagues  formes  nues 
Avec  la  majesté  langoureuse  des  nues 
Déroulant  dans  l'azur  leur  cortège  apathique. 

Dans  ses  yeux  clairs  repose  une  flamme  extatique, 
Et  je  crois  voir  flotter  sur  ses  lèvres  ténues 
Des  paroles  d'amour  vainement  retenues, 
Des  effluves  d'encens  et  des  airs  de  cantique. 

Mais  elle  tient  toujours  vers  les  cieux  ses  prunelles, 

Et  sur  ses  lèvres  les  paroles  solennelles 

D'amour,  sans  s'exhaler,  meurent  l'une  après  l'une. 

Et  muette,  sans  voir,  elle  m'étreint,  très  lente 
Et  très  douce,  inondant  ma  tète  chancelante 
Avec  ses  cheveux  blonds  enveloppés  de  lune. 


STANISLAS  MILLET 


RESURRECTION 


Mors  et  vita  duello 
Conflixere  mirando. 


SUR  ma  tète  à  demi  baissée 
Je  posais  ma  main  lentement, 
Et  je  sentais  que  ma  pensée 
N'avait  plus  de  frémissement. 

Je  voyais  mes  enthousiasmes, 
Les  rêves  purs  que  je  rêvais, 
Empoisonnés  par  les  miasmes 
One  soufflent  tous  les  vents  mauvais. 


L'égoïsme  de  ta  doctrine, 
0  siècle,  ton  doute  moqueur, 
Plongeant  au  fond  de  ma  poitrine, 
Empêchait  de  Ijattre  mon  cœur. 

Et  lorsqu'on  moi  fut  tué  Thomme 
Qu'animait  la  foi  du  passé, 
Il  me  sembla  (|ue  j'étais  comme 
Un  cadavre  eralvanisé, 


STANISLAS    MILLFT.  197 


Une  machine  ingénieuse 
Qu'un  ressort  caché  fait  mouvoir, 
Une  chose  très  curieuse 
Qui  chemine  sans  le  savoir. 

Et  tout  en  moi,  par  la  magie 
D'un  sombre  désenchantement, 
Dans  l'immobile  léthargie 
S'endormait  éternellement. 

Tel  qu'un  mort  dans  la  fosse  noire 
J'allais  bientôt  me  consumer  : 
Mon  àme  ne  savait  plus  croire  , 
Mon  cœur  ne  savait  plus  aimer. 

Mais  le  jour  bleu,  charmant  et  rose, 
Sait  réveiller  l'homme  qui  dort. 
En  balayant  la  nuit  morose 
Qui  ressemble  tant  à  la  mort. 

Un  amour  plus  frais  que  l'aurore 
Et  plus  ardent  que  le  midi, 
Plus  pur  qu'un  ciel  que  le  jour  dore, 
Recréa  mon  être  engourdi  : 

L'âme  qui  croit,  l'esprit  qui  pense, 
Le  cœur  qui  sent  s'est  réveillé 
Sous  la  tant  bénigne  influence 
De  mon  amour  ensoleillé. 


198        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


CHANT  DE  MYRTIS 


Myrlis,  jeune  Troyeniie,  captive  d'Ulysse,  jetée  par  une  tempête  sur 
une  île  déserte  aveu  quelques  compagnons,  chante  ces  stances  au  lever 
du  soleil. 


CE  rivage  solitaire , 
Pour  d'autres  plein  de  mystère, 
Est  pour  moi  plein  de  douceur  : 
Ici  je  réponds  encore 
A  tes  sourires,  Aurore, 
Aurore,  ô  ma  blonde  sœur  ! 

Aux  lointains  pôles  des  mondes, 
Sur  les  plaines  infécondes 
Où  dorment  les  alcyons, 
Et  sur  la  terre  opulente. 
Tu  dardes  étincelante 
La  flèche  de  tes  rayons. 

Dans  ta  marche  triomphale, 
Douce  amante  de  Céphale, 
Tu  visites  l'univers; 
Sous  tes  baisers  l'herbe  ploie  ; 
Tu  mêles  souvent  la  joie 
Aux  tristesses  des  hivers. 

Sœur  divine  de  Cybèle, 
N'est-ce  pas  que  je  suis  belle. 
Et  que  nous  nous  ressemblons  ? 
Nos  cœAirs  ne  sont  point  moroses. 
Et  nous  baignons  nos  pieds  roses 
Dans  l'eau  pure  des  vallons. 


STANISLAS    MILLET.  199 


0  ma  sœur  immaculée, 
Lorsque  ta  robe  emperlée 
S'accroche  aux  feuilles  du  thym, 
Aède  à  la  voix  touchante 
Le  divin  rossignol  chante 
Les  poèmes  du  matin. 

Avec  l'aube  je  m'éveille  : 
J'entends  alors,  ô  merveille  ! 
Au  fond  de  mon  cœur  joyeux 
Une  chanson  cadencée 
Si  douce,  que  la  rosée 
Tombe  en  perles  de  mes  yeux. 

Donc,  que  tout  être  renaisse 
En  adorant  ta  jeunesse 
Et  la  mienne  tour  à  tour  ! 
Que  la  nature  ravie 
Par  toi  revienne  à  la  vie, 
Par  moi  revienne  à  l'amour. 

(Extrait  de  Vile  des  Baisers,  pièce  en  un  acte.) 


'Vvl'/^ 


y-^-#^ 


ABBÉ  MAX  NICOL 


LA  FEVE 


ILS  étaient  là,  campés  près  d'une  vieille  église, 
Surveillant  l'ennemi,  sans  être  vus,  gaiement  ; 
Quand  l'un  deux,  un  vieux  brave  à  la  moustache  grise, 
Gourmandant  un  conscrit  qui  songeait  tristement  : 
«  Allons,  dit-il,  je  hais  ces  gens  à  face  blême, 
Qui  rentrent  dans  leur  coque,  ainsi  qu'un  escarg^ot. 
Laisse  donc  de  côté  ta  mine  de  carême  ; 
Et  puis,  tu  chanteras,  en  jouant  du  flingot. 
Vois-tu  ma  croix,  petit?  Ça  fait  lever  la  tête  : 
Quand  on  la  sent  briller  sur  son  cœur,  on  est  fier. 

—  Je  voudrais  bien  l'avoir  aussi.  —  Mais  ça  s'achète  : 
Il  faut  donner  son  sang.  —  Bah  !  ce  n'est  pas  trop  cher.  » 
Et  le  conscrit,  levant  sa  figure  enflammée, 
Regardait,  sans  pâlir,  de  ses  yeux  éblouis. 

Le  rude  vétéran  d'Afrique  et  de  Crimée, 

Redevenu  soldat  pour  venger  son  pays. 

«  Bravo  !  dit  le  troupier  ;  mais  d'où  vient  ton  air  triste  ? 

—  C'est  que. . .  —  C'est  que  parfois  l'on  tremble  pour  sa  peau  ? 
Qu'on  a  peur,  n'est-ce  pas  ?  de  compter  sur  la  liste 

De  ceux  qui  sont  tombés  sous  les  plis  du  drapeau? 


ABBÉ    MAX    NICOL.  201 


—  Non  !  l'ainoiir  du  pays  des  enfants  fait  des  hommes, 
Qui  meurent,  s'il  le  faut,  et  ne  reculent  pas. 

Si  je  rêve  aujourd'hui,  c'est  que  de  doux  fantômes 
Viennent  me  rappeler  les  miens,  qui  sont  là-bas. 
L'avez-vous  oublié?  demain,  c'est  grande  fête. 
Dans  la  vieille  maison  perdue  au  fond  des  bois, 
Je  vois,  avec  mon  cœur,  la  famille  inquiète. 
Sans  moi,  se  réunir  près  du  gâteau  des  rois... 

—  Allons,  dit  le  sergent,  faut  pas  pleurer  :  c'est  bête!  » 
Et  sa  main  essuyait  furtivement  ses  yeux. 

«  A  festoyer  sans  nous  la  famille  s'apprête  ; 

Le  regretter,  c'est  lîien  ;  mais  l'imiter,  c'est  mieux.  » 

A  ces  mots,  la  gaieté  reparait  dans  le  groupe. 

Un  four  est  là,  tout  près,  au  penchant  du  coteau  : 

De  ses  habiles  mains  l'artiste  de  la  troupe 

Façonne  avec  amour  un  énorme  gâteau. 

Ce  n'était  qu'un  amas  de  farine  noirâtre  ; 

Mais,  contents  de  leur  œuvre  et  narguant  le  péril, 

Les  soldats  le  portaient  sur  les  pierres  de  l'àtre, 

Embroché  crânement  au  canon  d'un  fusil. 

«  Attendez!  s'écria  soudain  l'enfant.  — Attendre? 

Ce  petit  volontaire  est  comique  aujourd'hui. 

Quand  on  fera  les  parts  du  gâteau  jaune  et  tendre... 

— Mais  il  y  manquera... —  Quoi  donc?  —  La  fève. — Ah!  oui! 

—  Je  voudrais  bien  pourtant  la  trouver  dans  la  mienne. 
Sans  elle,  pas  de  roi;  sans  roi...  —  C'est  désolant!  » 
Il  n'avait  pas  fini,  qu'une  balle  prussienne, 

A  deux  pas,  sur  le  mur,  s'aplatit  en  sifflant. 
«  Merci,  messieurs  !  reprit  le  héros  :  c'est  la  fève. 
Enfournons  maintenant  le  chef-d'œuvre,  et  demain 
Avec  tous  les  soucis  nous  ferons  une  trêve. 
Pour  fêter  dignement  le  roi,  le  verre  en  main. 

—  Adopté  !  » 

Le  jour  vint,  et  la  pièce  royale 
Couronna  le  banquet  eu  charmant  tous  les  yeux. 


202 


LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Dans  la  part  du  conscrit  on  retrouva  la  balle  ; 

Il  fut  acclamé  roi  par  ses  amis  joyeux. 

Et,  pendant  que  leur  joie  éclatait  en  fusée, 

Ébranlant  de  ses  cris  leur  salle  de  gala, 

Le  roi  d'un  jour,  prenant  la  fève  improvisée, 

Murmurait  tout  rêveur  :  «  Je  leur  rendrai  cela.  » 

Il  la  rendit,  deux  jours  après,  avec  usure. 

Parmi  les  corps  tombés  sur  le  gazon  sanglant. 

Plus  d'un  reçut  de  lui  sa  dernière  blessure  ; 

Et,  quand  le  vil  troupeau  prit  la  fuite  en  tremblant, 

Seul  contre  trois  Prussiens  acculés  dans  un  bouge, 

Il  frappait  sans  relâche...  il  tomba  sans  effroi. 

On  lui  mit  pour  emplAtre  un  bout  de  ruban  rouge  ; 

Et  le  petit  soldat  fut  heureux  comme  un  roi. 


ADOLPHE  ORÂIN 


DE   BOURG-DES-COMPTES   A    POLIGNE 

PROMENADE  D'HIVER 

JANVIER  est  un  dur  mois,  au  pays  de  Bretagne, 
Les  brouillards  sont  épais   et  le  vent  fait  fureur  ; 
La  neige,  bien  souvent,  recouvre  la  campagne, 
Quand  le  torrent  mugit  au  pied  de  la  montagne 
Qu'effleure  de  son  aile  un  héron  voyageur. 

Qu'importe  les  saisons?  L'hiver  même  a  son  charme, 
Avec  ses  noirs  frimas  ou  son  grand  manteau  blanc; 
La  goutte  d'eau  se  change  en  diamant  ou  larme; 
Le  braconnier,  au  bois,  dissimule  son  arme; 
Tout  au  fond  d'un  fossé,  le  geai  déterre  un  gland. 


Un  dimanche  matin,  selon  mon  habitude. 
Je  parcourais  à  pied  un  chemin  tortueux, 
Allant  vers  Poligné.  Le  temps  était  très  rude 
Et  les  lourds  paysans,  à  la  sombre  attitude. 
Avec  leurs  gros  sabots  cheminaient  deux  par  deux. 


204        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


D'un  côté  de  la  route  une  immense  vallée 
Que  découpe  un  ruisseau,  brillant  fdet  d'argent; 
Sur  le  bord  des  talus ,  comme  une  longue  allée 
De  gros  châtaigniers  gris.  La  mésange  éveillée 
Pour  saisir  un  insecte  aux  branches  se  suspend. 

A  gauche  du  chemin,  se  dresse  un  tertre  aride, 
Où  de  sombres  ajoncs  montrent  quelques  fleurs  d'or. 
Au  bout  d'un  fil  soyeux  une  humble  chrysalide, 
Que  soutient  un  rameau,  s'agite  dans  le  vide, 
Rêvant  du  beau  soleil  que  verse  Messidor. 

Au  milieu  d'un  landier  on  voit  une  chapelle, 
Vieille  de  trois  cents  ans.  Elle  fut  autrefois 
Le  temple  d'un  grand  fief  que  le  vieillard  appelle 
Fief  de  la  Chalouzais.  Au  printemps  l'hirondelle 
Colle  un  nid  au  clocher  et  perche  sur  la  croix. 

Sur  la  glace,  à  genoux,  à  deux  pas  d'un  calvaire, 
Une  femme  gémit  sa  tète  dans  la  main. 
Un  jeune  enfant  me  dit  :  «  De  Georges  c'est  la  mère, 
Sans  pain  et  sans  abri ,  plus  rien  que  la  misère , 
Elle  n'avait  qu'un  fils,  il  est  mort  au  Tonkin!...   » 


,_^iia.-Uf^"^-^,^iiaSi4_jj_ 


JOS  PARKER 


(JOSEPH    PARQUER) 


LE  CORN-BOUD 


'(fragment) 


AS-TU  bien  regardé  la  ferme,  au  crépuscule, 
Alors  que  l'horizon  clans  la  brume  recule, 
Que  le  couchant  rougit  entre  les  rameaux  verts, 
Comme  des  yeux  de  feu  dans  le  ciel  entr'ouverts, 
Quand  le  bruit  du  labour  s'éteint,  et  que  les  crèches 
Répandent  dans  l'air  doux  l'odeur  des  pailles  fraîches? 
As-tu  vu  le  retour  des  troupeaux  mugissants? 
Le  pâtre  qui  se  pend  aux  chevaux  bondissants  ; 
Les  bêtes  lentement  s'arrètant  à  la  source, 
Pour  y  boire  un  moment  et  reprendre  leur  course  ; 
Cette  vieille  branlante,  au  seuil,  filant  le  lin, 
Comme  un  reflet  vivant  du  jour  à  son  déclin, 
Tandis  que,  dans  le  ciel  majestueux,  la  lune 
Brille  paisiblement  sur  la  chaumière  brune... 
Après  le  grand  chemin,  un  petit  sentier  vert  ; 
Des  taillis  ;  un  courtil  de  ses  pommiers  couvert  ; 
Du  chanvre,  des  pruniers, . . .  puis  trois  marches  de  pierre, 
Pour  monter  le  talus,  et  nous  fûmes  dans  l'aire. 


206        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Le  seuil  de  la  maison  n'était  pas  clos  encor  ; 

Parmi  ses  longs  cheveux  épars  en  boucles  d'or, 

A  terre,  presque  nue,  une  petite  fille 

Se  roulait  ;  le  fermier  aiguisait  sa  faucille; 

Nous  entrons.   Aucun  bruit  ;  tout  était  calme  et  noir. 

A  peine  si  nos  yeux  dans  l'ombre  pouvaient  voir 

La  fillette  courant  derrière  son  aînée, 

Qui  berçait  un  petit  près  de  la  cheminée, 

Le  bahut,  le  lit  clos,  et  l'àtre  sans  tisons. 

L'homme  vint...   Cependant  qu'avec  lui   nous  causons 

La  servante  apporta  le  Corn-Boiid. 

—  Ah!  c'est  elle 
Qui  me  fait  conserver  ce  souvenir  fidèle, 
Et  placer  ce  récit  au  milieu  de  mes  chants. 
Comme  une  fleur  cueillie  en  passant  par  les  champs. 
Ses  bras  levés  semblaient  ceux  d'une  canépliore 
Antique,  qui  s'apprête  à  porter  une  amphore  ; 
Ses  longs  cheveux,   serrés  sous  de  minces  bandeaux, 
Se  plaquaient  comme  ceux  d'une  nymphe  des  eaux, 
Et  la  corne  gonflait  sa  lèvre  purpurine, 
Comme  leur  bouche  unie  à  la  conque  marine  ; 
Et^  pareils  à  des  cris  de  sauvages  aurochs, 
Les  sons  rauques  roulaient,  au  loin,  de  rocs  en  rocs, 
Courant  sur  les  coteaux  et  rasant  les  bruyères, 
Traversant  les  taillis,  les  landes,  les  rivières. 
Et  réveillant,  dans  l'ombre  et  le  calme  des  bois. 
Tous  les  échos  dormants  des  âges  d'autrefois. 


MADAME  AUGUSTE  PENQUER 


MON  PAYS 


QUEL  beau  pays  que  ma  Bretagne, 
Quand  le  chaud  soleil  des  étés 
Tombe  en  rayons  sur  la  montagne 
Et  l'inonde  de  ses  clartés  ! 


Quel  beau  pays,  quand  nulle  haleine 
Ne  fait  frissonner  les  halhers  ! 
Quand  tout  repose  dans  la  plaine 
Et  dort  dans  les  hauts  peupliers  ; 

Quand  nul  vol  d'oiseau  ne  s'élance 
A  travers  les  grands  bois  épais  ; 
Quel  beau  pays,  dans  le  silence, 
Dans  le  repos  et  dans  la  paix  ! 

Et  qu'il  est  bon  de  fuir  les  villes 
Pour  les  rivages  de  l'Armor, 
Quand  la  mer,  aux  ondes  tranquilles, 
Couvre  d'azur  les  sables  d'or  ! 


208        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Qu'il  est  bon  croublier  un  monde 
Tourmenté  par  un  ouragan, 
En  écoutant  la  voix  profonde 
Et  paisible  d'un  Océan  !... 

Qu'il  est  bon  d'errer  solitaire 
Tout  à  son  rêve,  tout  à  soi. 
Sur  les  côtes  du  Finistère, 
Pays  où  règne  encor  la  Foi  ! . . . 

Où  le  Dieu,  qu'ailleurs  on  détrône, 
Est  toujours  le  Dieu  couronné  ; 
Où  l'astre  des  Mages  rayonne 
Toujours  sur  l'Enfant  nouveau-né  ! 

Que  la  Bretagne  est  sainte  et  belle  !.. 
Je  suis  fière,  j'en  fais  l'aveu, 
D'être  encore  à  genoux  comme  elle , 
Encore  à  genoux  devant  Dieu!... 

Et,  comme  elle,  toujours  croyante, 
Les  yeux  ouverts,  mais  éblouis, 
De  voir,  moi  poète  et  voyante. 
Mon  Dieu  planant  sur  mon  pays!,.. 

Quel  beau  pays  que  ma  Bretagne, 
Sous  ses  longs  voiles  de  brouillard, 
Quand  le  front  nu  de  la  montagne 
Semble  un  front  chauve  de  vieillard  ! 

Lorsque  l'hiver  gronde  et  foudroie 
La  cime  des  rocs  de  granit, 
Et  que  tous  les  oiseaux  de  proie 
Pour  l'orage  quittent  leur  nid  ; 


MADAME  AUGUSTE  PENQUER.  209 


Lorsque  tous  vont  à  la  curée 
Comme  des  dogues  dévorants, 
Fous  de  cette  rage  enivrée 
Des  petits  contre  les  plus  grands, 

Poursuivant  ainsi,  dans  Tespace, 
La  route  du  vaisseau  géant 
Qui  sombre  sous  Forage...  ou  passe. 
En  roi,  maître  de  l'Océan  !... 

Quel  beau  pays  que  ma  patrie  ! 
Pays  des  forts  et  des  ékis. 
Où  l'honneur  se  révolte  et  crie 
Contre  qui  ne  l'écoute  plus  ; 

Contre  la  froide  indifférence 
Qui  frappe  et  détruit,  en  ce  jour, 
Le  plus  beau  des  fruits  que  la  France 
Ait  cultivé  :  Le  fruit  d'amour!... 

Quel  beau  pays  que  ma  Bretagne, 
Pays  sublime  en  ses  efforts. 
Où  ceux  que  l'honneur  accompagne 
Sont  les  élus  et  sont  les  forts  ! 

Sois  bénie,  ô  Bretag-ne  aimée  ! 
Bretagne  qui  me  regardas 
Et  confias  ma  renommée 
Au  nom  divin  des  Vellédas!... 

Sois  bénie,  6  mon  Armorique  ! 
Par  moi,  bénie  !...  et,  mieux  encor, 
Par  la  prêtresse  druidique, 
Velléda,  l'org-ueil  de  l'Armor!... 


14 


210  LE   PA.RNASSE   BRETON    CONTEMPORAIN, 

SYNDORIX 

LE   BARDE    DE   PENMARC'H 

(fragment) 

L'orage  redoublait  de  furie,  et  la  houle 
Jaillissait  eu  torreuts  d'écume  sur  la  foule. 
Le  prophète,  toujours  debout  sur  son  autel. 
Parlait  toujours.  Il  dit  : 

<(  L'esprit  est  immortel  ; 
Comme  l'âme,  l'esprit  est  de  divine  essence. 
La  mort  est  le  séjour,  et  la  vie  est  l'absence. 
Je  vais  mourir,  afin  de  revivre  au  soleil. 
Notre  globe  est  obscur  et  n'a  rien  de  pareil 
Aux  splendeurs  des  foyers  qu'allument  les  étoiles. 
Je  vais  mourir  afin  de  perdre  tous  mes  voiles  ; 
Mais  avant  de  mourir  je  veux  vous  dire  encor 
Ce  que  VAiveii  m'apprend  des  destins  de  YArmor  : 
Un  héros,  dont  l'esprit  sera  iirand,  l'âme  grande, 
Naîtra  dans  Rome.  Un  jour  il  viendra.  Cette  lande 
Portera  la  profonde  empreinte  de  ses  pas. 
L'empreinte  sur  le  sol  ne  s'effacera  pas  ; 
L'empreinte  pèsera  sur  vos  noms,  dans  l'histoire, 
Sur  vos  titres  d'honneur,  sur  vos  titres  de  gloire, 
Et  ce  front  qu'aujourd'hui  vous  portez  haut  et  fier, 
Demain  sera  courbé  sous  un  talon  de  fer. 
Un  seul  maitre  fera  de  vous  de  vils  esclaves  ; 
De  vos  nobles  sayons  de  honteux  laticlaves. 
Vous  servirez,  après  avoir  été  servis  ; 
Jusque  sur  vos  autels  vous  serez  poursuivis. 
Dans  vos  déserts,  au  fond  de  vos  forêts  de  chênes, 
Dans  vos  foyers,  partout  vous  porterez  des  chaînes. 


MADAME  AUGUSTE  PENQUER.  211 

«  La  Rome  dont  Brennus  pesa  la  rançon  d'or, 
«  A  son  tour  pèsera  les  destins  de  VArmor; 
«  La  Gaule  deviendra  romaine...  Ig-nominie  ! 
«  La  Gaule  servira  Rome  et  la  tyrannie!...  » 


Un  cri  d'horreur  monta  vers  le  barde.  Le  flot 
Répondit  par  un  long  et  lugubre  sanglot. 
La  chouette  des  mers  frappa  le  rocher  sombre. 
Le  prophète  reprit  soudain  : 


«  Quelle  est  cette  ombre 
((  Qui  traverse  la  nuit  dans  un  nuage  bleu  ? 
«  Que  porte-t-elle  au  front?  Trois  mots.  Trois  mots  de  fru  : 
«  L'Espérance,  la  Foi,  la  Charité...  Mystère  ! 
((  Trois  mots  de  feu  qui  vont  illuminer  la  terre  ! 
«  Esus,  prépare-toi.  L'ombre  s'avance.  Un  dieu, 
«  Ennemi  de  ta  loi,  descendra  dans  ce  lieu. 
«  Esus,  un  dieu  peut  donc  vivre  où  vivent  les  hommes, 
«  Et  marcher  comme  nousdans  lasphère  oùnoussommes, 
«  Avoir  soif  comme  nous,  comme  nous  avoir  faim, 
((  S'asseoir  à  nos  banquets  et  rompre  notre  pain, 
«  Et  garder,  dans  le  sein  de  l'humaine  matière, 
«  La  divinité  sainte  et  pure  tout  entière  ? 
«  Esus,  prépare-toi  pour  des  combats  divins. 
«  Prends  ton  tonnerre.  jNon.  Tes  tonnerres  sont  vains. 
«  L'ombre,  qui  m'apparaît  à  travers  un  nuage, 
«  D'un  seul  souffle,  d'un  seul,  détruira  ton  image  ; 
«  Par  ce  souffle  d'en  haut  tout  sera  dispersé. 
«  L'avenir  sortira  des  cendres  du  passé  ; 
«  Les  dieux  disparaîtront  dans  un  grand  cataclysme, 
«  Entraînant  avec  eux  l'autel  du  druidisme, 
«  Les  idoles,  le  Gui,  le  temple,  le  menhir  : 
«  Des  cendres  du  passé  sortira  l'avenir. 


212         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

«  Un  dieu  d  amour  naîtra.  Le  dieu  vaincra  la  haine. 
«  Bientôt  l'arbre  sacré  ne  sera  que  le  chêne, 

((  Irmensul  n'existera  plus, 
«  Les  froids  autels,  épars  dans  les  froides  enceintes, 
«  Tomberont  foudroyés  au  pied  des  arches  saintes, 

«  Asile  des  nouveaux  élus. 

«  Une  croix  régnera,  calme  dans  son  prestige, 
«  Et  féconde  et  bientôt  forte  comme  une  tige 

«  Qui  supporte  de  forts  rameaux. 
«  Le  sang-  d'un  Homme-Dieu  rougira  ses  racines, 
((  Fertihsant  partout  les  semences  divines, 

((  Partout  stérilisant  les  maux. 

«  Une  croix  régnera,  seule,  puissante  et  ferme  : 
((  Règne  de  l'Infini  sans  mesure  et  sans  terme 

«  Et  debout  pour  l'Eternité  ; 
«  IN'ayant  qu'un  appui  :  Dieu  !  mais  ayant  trois  symboles  ; 
«  Mais  ayant,  au  fronton  divin,  les  trois  paroles  : 

«  Espérance,  Foi,  Charité. 

«  Lettres  de  flamme  et  d'or  dans  des  traces  funèbres, 
«  Ces  mots  rayonneront  sur  un  fond  de  ténèbres  ; 

((  Le  dernier  druide  à  genoux, 
«  Débris  dans  les  débris  des  idoles  celtiques, 
u  Et  ruine  au  milieu  des  raines  antiques, 

«  Dira  :  —  Yoici  Dieu  !  courbons-nous  ! 


LOÏC  PETIT 


I] 


LE   RIVAGE 


ANS  un  lointain  floconneux,  pâlissant, 
As-tu  vu  s'enfuir  le  rivag'e? 
Ami,  comme  il  va  s'efTaçant 
Aussi  vaporeux  qu'un  nuage  ! 


Ilolà !  hé!  matelots,  de  vos  robustes  bras 
Hissez  là-haut  la  toile  grise! 
Hissez  la  toile  au  haut  des  mâts! 
n  souffle  une  joyeuse  brise. 
Bientôt  sur  l'horizon  sans  fm, 
Au-delà  de  la  mer  profonde. 
Nous  irons  voir  quelque  matin 
Le  grand  soleil  du  nouveau  monde  ! 

Bientôt  l'orage  grondera 
Avec  sa  magique  harmonie  ; 
Et  la  tempête  entonnera 
L'hymne  de  terreur  infinie. 
Ou  bien  les  flots  majestueux  , 
Bleus  comme  un  ciel  ou  semés  d'étincelles, 
Nous  berceront,  après  des  jours  heureux, 
Pendant  des  nuits  plus  belles. 


214  LE    PARNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 

CependaDt,  au  départ,  n'avons-nous  pas  laissé, 
Ami,  dans  notre  ardeur  extrême, 
Un  cœur  qui  n'était  pas  lassé 
De  nous  répéter  qu'il  nous  aime  ? 

Ami,  te  souvient-il 
De  ce  foyer  chaud  de  tendresse 
Où  nous  reçûmes  la  caresse 
De  nos  premiers  soleil  d'avril?.,. 

Heures  saintes  trop  tôt  finies, 
Où  donc  retrouver  maintenant, 
Dans  nos  ressouvenirs  d'enfant. 
Vos  parfums  et  vos  harmonies? 

Ilélas  !  les  jours  sont  courts,  fragile  est  le  destin. 
Nos  pensers  s'envolent  moroses  : 

Adieu,  foyer  héui,  qui  gardes  dans  ton  sein 
Le  trésor  de  si  douces  choses  I 

Dans  un  lointain  floconneux,  pâlissant. 
As-tu  vu  s'enfuir  le  rivage? 
Ami,  comme  il  va  s'effaçant. 
Aussi  vaporeux  qu'un  nuag-e  ! 


EMILE  PEYREFORT 


LE  FAUCHEUR 


LE  COU  musclé,  saillant  de  sa  chemise  ouverte, 
Le  faucheur  fait  siffler  sa  faulx,  et,  se  tlressaat, 
Affûte  d'un  coup  sec  le  fer  rude  et  grinçant 
Oii  la  sève  des  blés  roule  une  larme  verte. 


Depuis  que  les  grands  coqs  ont  sonné  le  réveil, 
Au  miUeu  des  épis  pleins  d'un  bruit  de  cigales, 
Le  geste  large,  avec  des  cadences  égales, 
Il  s'avance  pieds  nus  et  la  tête  au  soleil. 

Voici  le  soir.  Il  est  maintenant  hors  d'haleine, 
Et  s'essuyant  le  front  au  revers  de  son  bras. 
Sur  le  sol  crevassé  que  piquent  les  blés  ras, 
Lent  et  morne,  il  s'assied  en  regardant  la  plaine. 

Enfin  sa  tâche  est  faite.  En  croulant,  la  moisson 
A  tracé  sur  la  terre  un  lumineux  sillage; 
Bientôt  il  reprendra  le  chemin  du  village, 
Marquant  son  pas  moins  lourd  d'une  allègre  chanson, 


216        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Mais  aussi  que  d'efforts,  que  d'heures  douloureuses! 
Pour  ce  peu  de  froment  quels  travaux  sont  les  siens! 
Et  le  noir  souvenir  de  tous  ses  maux  anciens 
Yoile  l'orgueil  éclos  en  ses  paupières  creuses. 

Il  revit  les  matins  éternellement  longs 
Que  l'automne  engourdit  sous  une  brume  froide, 
Tandis  que  ses  chevaux  tirent,  la  tète  roide. 
L'essieu  qui  grince  et  bute  au  tournant  des  sillons. 

Vient  l'hiver.  Oh  !  les  sourds  fracas  de  la  tourmente 
Qui  font  crisper  les  poings  et  font  serrer  les  dents, 
Alors  qu'à  l'hoi'izon  grincent  les  bois  stridents 
Et  que  par  les  vallons  neigeux  le  grain  fermente  ; 

Puis  ce  sont  des  défis,  des  luttes,  des  combats, 
Sous  l'orage,  à  travers  le  mistral  qui  vous  broie; 
Des  combats  où,  pareils  à  des  oiseaux  de  proie, 
D'épais  nuages  noirs  rôdent  par  les  cieux  bas. 

Et  ce  sont  les  ardeurs  blêmes  des  canicules 
Dont  le  souffle  embrasé  brûle  l'azur  flétri, 
Et,  dans  un  lourd  silence  assoupissant  tout  cri. 
Les  labeurs  sans  repos  des  jours  sans  crépuscules. 

Mais  qu'importent  les  maux  soufferts  :  sur  les  hauteurs, 
Ainsi  qu'un  lever  d'astre  apparaissent  les  meules  ; 
11  croit  ouïr  déjà  la  chanson  des  aïeules 
Se  mêler  aux  fléaux  rythmiques  des  batteurs. 

Et  consolé,  voyant  que  l'occident  rougeoie, 
11  se  lève,  et,  joyeux,  contemple  au  bord  du  champ, 
Les  moissonneurs  lointains  qui,  dans  l'or  du  couchant, 
Semblent  danser  autour  d'un  valc  feu  de  joie. 


EMILE    PEYREFORT.  217 


LES  CARRIERS 


AVEC  ses  éboiilis  criblés  de  trous  béants , 
Où  rétiage  olîscur  des  vieux  âges  s'incruste, 
La  Combe  érige  au  loin  sa  montée  âpre  et  fruste, 
Formidable  escalier  taillé  pour  des  géants. 

Aveuglés,  et  des  pleurs  aux  plis  de  leurs  paupières, 
Les  carriers,  soulevant  les  roches  à  grands  coups, 
Dans  un  effort  qui  tend  les  muscles  de  leurs  cous. 
S'agrippent,  forcenés,  aux  nervures  des  pierres. 

Les  pics  tombent  d'aplomb  et  mordent  les  parois. 
Entre  deux  sourds  alians  qui  tombent  par  saccades. 
Coupant  d'un  rythme  aigu  le  fracas  des  cascades 
Et  le  broiement  lointain  et  rude  des  charrois. 

Crispés  sous  l'étreignant  labeur  qui  les  accable, 
Ils  geignent  sans  répit,  les  mornes  tâcherons, 
Depuis  l'aube,  ployant  leurs  reins,  courbant  leurs  fronts. 
Sous  l'éternel  fardeau  d'un  soleil  implacable. 

Mais,  à  leurs  pieds,  les  blocs  s'entassent;  derrière  eux 
Les  granits  déchirés  saignent  par  larges  brèches  ; 
Et  brisés,  s'arc-boutant  au  sol  de  leurs  mains  rêches, 
Ils  viennent  de  s'asseoir  parmi  les  buis  poudreux. 

Oh!  les  sources  jouant  sous  les  forêts  prochaines! 
Pas  un  ombrage  étroit  pour  draper  son  repos  ! 
Qu'il  ferait  bon,  hélas!  vil  meneur  de  troupeaux, 
De  dormir  sa  journée  assis  au  long  des  chênes  ! 


218        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Ils  se  passent,  muets,  le  grès  empli  de  vin, 
Et  sans  que  leur  bras  cherche  à  soulever  leurs  rides. 
Étouffant  leur  souffrance  en  les  ardeurs  torrides,    / 
Pris  de  sommeil,  ils  ont  roulé  par  le  ravin. 

Et  le  calme  descend  sur  leur  âme  ravie, 
Et  dans  un  rêve  immense,  ils  s'imaginent  voir 
Dalles,  pans  et  quartiers  de  roches  se  mouvoir, 
Comme  pris  brusquement  d'une  fébrile  vie. 

De  hardis  compagnons  s'agitent  par  milliers. 
Hissant  les  madriers  ou  nouant  les  cordages, 
Et  par  la  chaux  fumeuse  et  les  échafaudages, 
Le  faite  des  maisons  saille  des  hauts  piliers. 

Et  la  ville  s'étage  avec  ses  toits  sans  nombre, 
Enjambant  plaines,  monts,  et  roulant  vers  les  cieux, 
En  sorte  que  l'esprit  se  demande,  anxieux. 
Si  la  brume  des  nuits  ne  vient  pas  de  son  ombre  ; 

La  ville  avec  sa  vaste  enceinte  de  remparts 
Endiguant  une  foule  énorme  qui  se  rue. 
Où  parmi  les  rumeurs  confuses  de  la  rue, 
Les  métiers  vagabonds  jettent  leurs  cris  épars; 

La  ville  avec  son  port  plein  d'un  frisson  de  voiles 
Et  d'une  exaspérante  odeur  de  cargaisons. 
Et  dont  les  fiers  vaisseaux  surgis  des  horizons 
S'avancent  en  traînant  un  sillage  d'étoiles  ! 

Et  le  songe  s'étend  et  se  recule  encor. 
Et  voici  qu'à  travers  un  nimbe  ardent,  rutile, 
Des  degrés  du  perron  aux  fûts  du  péristyle, 
La  masse  des  palais  vermeils,  aux  rampes  d'or. 


EMILE    PEYREFORT.  219 


Tours,  chapiteaux  hantés  par  la  candeur  des  marhres  ; 
Terrasses  déroulant  d'indolentes  ampleurs; 
Belvédères  grimpés  sur  leurs  porches  en  fleurs  ; 
Fontaines  s'évasant,  sveltes,  sous  les  grands  arhres  ; 

Corniches  de  porphyre  et  coupoles  de  feu, 
Frontons  ornés  d'acanthe  où  les  amphores  souples 
Semblent  de  blancs  ramiers  qui  dormiraientpar  couples; 
Aqueducs  charriant  ce  fleuve  :  le  ciel  bleu  ; 

Tout  cela  se  pavoise  aux  fêtes  des  vêprées, 
Cependant  qu'incliné  vers  un  arc  triomphant, 
L'astre  rouge,  au  travers  des  nuages  qu'il  fend. 
Entre  en  roi,  revêtu  de  flammes  empourprées! 

Et  partout,  redoublant  ses  cris  et  ses  travaux, 
L'âpre  cohue,  avec  ses  gestes  frénétiques, 
Envahissant  les  quais,  les  places,  les  portiques. 
Dans  un  long  tourbillon  d'essieux  et  de  chevaux, 

Clame  ou  hennit,  bondit  ou  choit,  piaffe  ou  se  cabre. 
Pour  se  perdre  en  le  noir  tumulte  des  faubourgs, 
Tandis  que  la  rumeur  allègre  des  tambours 
Roule  au  lointain  que  coupe  une  lueur  de  sabre. 

Telle  dans  sa  furie  et  son  affolement 

La  ville  débordante  et  fiévreuse  se  dresse, 

Si  bien  que,  pris  aussi  d'une  sorte  d'ivresse. 

Le  sol  semble  se  mettre  en  marche,  brusquement. 

Et  dans  un  soubresaut  s'est  envolé  le  rêve; 
Et  plus  fiers,  les  carriers  lèvent  leurs  fronts  sereins  ; 
Et,  de  leurs  yeux,  fouillant  les  replis  des  terrains, 
Cherchent  à  ressaisir  la  vision  trop  brève. 


220         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Et  par-delà  les  monts  crénelés  comme  un  mur^ 
Tout  là-bas,  leur  regard  joyeusement  s'arrête 
A  contempler  les  pics  flamboyants  dont  la  crête 
Trace  une  cathédrale  immense  sur  l'azur. 


S' 


LES  FILS  DE  LA    VIERGE 


ouPLES  et  longs,  avec  leur  bout  diamanté. 


O  Les  beaux  fils  de  la  Vierge  errent  aux  soirs  d'été. 
Si  fraîche  est  leur  blancheur,  leur  trame  est  si  ténue, 
Qu'ils  semblent  faits  avec  l'ouate  de  la  nue. 
Écoutez  :  sur  les  bois  tourne  un  bruit  de  fuseaux. 
Il  semble  que  la  main  qui  tissa  leurs  réseaux 
Y  suspendit  les  ors  épars  des  nébuleuses. 
Et  le  regard  qui  suit  leurs  fuites  onduleuses, 
Aperçoit,  au-dessus  des  berges  émergeant, 
La  lune  ronde,  ainsi  qu'un  grand  rouet  d'argent. 


.  ..n^^s 


■^ 
^:^ 


FREDERIC  PLESSIS 


AU  POÈTE  DE  L\4UR0RE,  MAURICE  BOUCHOR 

TOI  qui  tenant  foulé  Satan  sous  ton  orteil, 
Appelles  dans  Tazur  ràmc  de  la  patrie, 
Alors  qu'épaississant  sa  litière  pourrie , 
D'autres  semblent  vouloir  retarder  son  réveil  : 

Que  ta  muse,  pieuse  amante  du  soleil, 

Dont  la  voix  en  accents  mystiques  chante  et  prie , 

Nous  revienne  éblouir  en  sa  robe  fleurie, 

Glaive  d'archange  au  poing-,  sous  un  casque  vermeil  ! 

Puisqu'elle  veut  le  pur  règne  de  la  Justice, 
Il  faut  que  bien  des  fois  encore  retentisse 
Sou  clairon  solitaire  aux  quatre  coins  du  ciel. 

Car  voilà  bien  longtemps  qu'infime  créature 
Bravant  son  Créateur,  l'homme  bète  et  cruel 
S'est  arrogé  le  droit  d'opprimer  la  nature. 


222        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


MON  JARDIN 


BORDEAUX 


M 


ON  jardin,  ombragé  sous  l'azur  d'Aquitaine , 
Jusqu'en  octobre  n'est  qu'à  peine  défleuri. 


Les  érables  touffus  m'y  forment  un  abri 

D'où  la  ville,  à  deux  pas,  semble  presque  lointaine. 

Au  désir  de  repos  qui  haute  un  cœur  meurtri , 
A  la  timidité  d'une  muse  hautaine, 
Ce  réduit,  verdoyant  comme  uu  bord  de  fontaine, 
En  sa  grâce  d'automne  aussitôt  a  souri. 

Lasse  du  vent  amer  et  du  bruit  fou  des  grèves, 
Mon  âme,  où  l)at  encore  un  ouragan  de  rêves 
Dont  l'étude  et  les  ans  n'ont  eu  pleine  raison. 

Mon  âme  voit  ici  comme  une  délivrance 
Qu'arbres  et  murs  partout  lui  ferment  l'horizon, 
Puisque  toute  échappée  ouvre  sur  la  souffrance. 


II 


Feuillages  lourds  et  mats,  verdure  aux  clairs  reflets, 
Géranium  éclatant  et  sombre  héliotrope, 
Et  vous  dont  le  vieux  tronc  des  poiriers  s'enveloppe, 
0  mes  volubilis  roses  et  violets  ! 


FRÉDÉRIC    PLESSIS.  223 


Si  votre  solitude  est  celle  où  je  me  plais , 
Filles  de  l'Amérique  ou  de  la  vieille  Europe, 
Apaisez  mes  fiévreux  ennuis  de  misanthrope, 
Et  de  vos  doux  parfums,  fleurs,  rafraicliissez-les. 

Veux-tu  sincèrement  la  paix  que  tu  demandes, 
Poète?  Creuse  alors  le  sol  des  plates-bandes 
Plutôt  que  de  creuser  sans  profit  ton  cerveau. 

Agis  ainsi,  ne  fût-ce,  ermite  volontaire, 

Que  pour  t'accoutumer  à  voir  des  vers  de  terre 

Dont  le  commerce,  un  jour,  te  sera  moins  nouveau. 


A  LA   BRETAGNE 

BRETAGNE,  cc  quc  j'aime  en  toi,  mou  cher  pays, 
Ce  n'est  pas  seulement  la  grâce  avec  la  force, 
Le  sol  âpre  et  les  fleurs  douces,  la  rude  écorce 
Des  chênes  et  la  molle  épaisseur  des  taillis  ; 

Ni  qu'au  brusque  tournant  d'une  côte  sauvage. 
S'ouvre  un  golfe  où  des  pins  se  mirent  dans  l'azur  ; 
Ou  qu'un  frais  vallon  vert,  à  midi  même  obscur, 
Pende  au  versant  d'un  mont  que  le  soleil  ravage. 

Ce  n'est  pas  l'Atlantique  et  ton  ciel  tempéré, 

Les  chemins  creux  courant  sous  un  talus  doré, 

Les  vergers  clos  d'épine  et  qu'empourpre  la  pomme 

C'est  que,  sur  ta  falaise  ou  ta  grève,  souvent, 

Déjà  triste  et  blessé  lorsque  j'étais  enfant. 

J'ai  passé  tout  un  jour  sans  voir  paraître  un  homme. 


224        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


SINE  NOMINE 

/ 

LE  jeune  lieutenant  marche  ;\  la  mort  certaine. 
Il  a  vu,  sans  pâlir,  pâlir  son  capitaine, 
Quand  celui-ci,  poudreux  et  blessé  :  «  ?{ous  fuyons. 
Vous,  prenez  vingt  soldats,  retournez  en  arrière. 
Et  faites-vous  tuer  dans  cette  fondrière 
Pour  couvrir  le  départ  des  derniers  bataillons.  » 

Il  va  du  même  pas  qu'aux  matins  de  revue 
Quand  les  Parisiens  le  suivaient  dans  la  rue  ; 
Mais,  sous  le  képi  rouge  aux  minces  galons  d'or, 
Il  contemple,  d'un  œil  plein  de  graves  pensées, 
Les  formes  de  la  vie  à  l'horizon  dressées 
Qu'à  peine  verra-t-il  quelques  heures  encor. 

Puis,  baissant  la  paupière,  au-dedans  de  lui-même 
Avec  les  yeux  de  l'âme  il  revoit  ce  qu'il  aime  : 
Sa  mère  en  cheveux  blancs,  que  tuera  la  douleur; 
Sa  sœur,  près  d'une  amie^  à  genoux  dans  l'église, 
Si  jeunes  toutes  deux...  si  chères!  Tout  se  brise, 
C'en  est  fait,  et  le  rêve  est  tranché  dans  sa  fleur. 

Va!  ta  part  sur  la  terre  est  toute  dépensée. 

Porte  jeunesse,  amour,  force,  avenir,  pensée. 

Où  le  devoir  le  veut,  en  pâture  au  canon. 

De  rien  de  consolant  ta  vertu  n'est  ternie  : 

Car  nul  n'assistera  ta  sanglante  ag'onie, 

Et  ceux  pour  qui  tu  meurs  ne  sauront  pas  ton  nom. 


rRÉDÉRIC    PLESSIS.  223 


GLOIRE  LATINE 


NE  crains  pas.  si  la  route  est  sombre  où  je  te  mène 
L'ombre  y  vient  des  lauriers  mêlés  aux  tamaris, 
De  ceux-lA  qui  plaisaient  à  la  muse  romaine 
Quand  TAurore  et  Yesper  connai  salent  Lycoris  ; 

Quand  l'eau  de  Bandusie,  interdite  au  profane, 
Dans  son  cristal,  teinté  par  la  rose  et  le  vin, 
Reflétait  un  front  d'or  de  jeune  courtisane 
Auprès  de  ton  front  brun,  poète  au  chant  divin  ! 

Quand,  d'ache  couronné,  le  nom  de  Quintilie, 
Ou  le  tien,  IXémésis,  ou,  ?s^éère,  le  tien. 
Avaient  conquis  le  monde  à  la  mélancolie 
Avant  la  mort  de  Pan  et  le  règne  chrétien. 

La  Ville  ne  voit  plus,  du  haut  des  sept  collines, 

L'univers  saluer  ou  César  ou  consul, 

Et  l'avenir,  promis  par  les  voix  sibyllines, 

N'est  plus,  dans  le  passé,  qu'un  fier  et  vain  calcul. 

» 

Mais  l'ombre  de  Gallus,  mais  l'âme  de  Virgile, 

Sous  les  pins  du  Galèse,  en  la  brise,  passant, 

Mais,  taillés  avec  art  dans  l'écorce  fragile, 

Les  Amours,  avec  elle,  après  elle  croissant  ; 

Oui,  l'Amour  et  la  Muse,  et  la  grâce  éloquente 
Des  tours  où  le  génie  épuise  ses  secrets  ; 
Oui,  la  coupe  de  hêtre  où  s'enroule  une  acanthe, 
Où  la  lyre  d'Orphée  entraine  les  forêts  ; 

15 


226  LE    PARNASSE   BRETON    CONTEMPORAIN. 


Du  bois  fie  drynium  à  la  mer  de  Sicile 
Tout  s'aniiuant  aux  sons  des  chalumeaux  d'Ascra, 
Et  Fautel  à  Daphnis  et  le  tigre  docile, 
Daphnis  qu'aimait  Paies  et  qu'Apollon  pleura  ; 

Et  Tcige  d'or  rustique  et  pourtant  consulaire, 
Tout  ce  dont  notre  enfance  a  redit  la  beauté, 
Ce  rêve,  à  jamais  pur,  d'un  long  rayon  s'éclaire 
Et  donne  à  qui  l'honore  une  immortalité. 

De  demain  ne  craignant  ni  l'oubli  ni  l'insulte. 
Pour  avoir,  deux  mille  ans  bientôt,  bravé  leurs  coups, 
Ce  monde  sans  égal  offre  à  qui  cherche  un  culte 
Ses  temples  habités  par  des  dieux  grands  et  doux. 

C'est  pourquoi,  méprisant  la  foule,  ne  redoute 
Ni  les  affronts  nouveaux,  ni  les  futurs  dangers, 
Ni  ces  arbres  qui  font  de  l'ombre  sur  ta  route  : 
Avance,  avance  encore,  enfant  aux  pieds  légers  ! 

Au  fond  de  l'avenue  où  tu  veux  bien  descendre. 
Comme  une  blanche  tour,  vois  luire  ce  tombeau  : 
C'est  là,  dans  le  paros  protégeant  notre  cendre. 
Qu'on  inscrira  ton  nom  sous  l'arc  et  le  flambeau. 

Et  nos  noms  et  nos  cœurs  et  mes  vers  déjeune  homme, 
Unis  au  grand  passé  par  de  nobles  liens, 
Revivront  dans  la  vie  éternelle  de  Rome 
Et  dans  l'écho  sacré  des  chants  Yirgilieus. 


VICOMTR  ROBERT  DU  PONTAVICE  DE  HEUSSEY 


^.V  CORNOUAILLE 


LES  maîtres  habitaient  un  modeste  manoir 
?s^on  loin  du  erand  chemin  qui  passait  sans  le  voir, 
Grâce  au  double  rideau  de  branche  et  de  feuillag'e 
Qu'autour  du  vieux  logis  avait  épaissi  làg-e, 
Tel  que  de  la  fenêtre  on  ne  se  doutait  pas 
Du  tableau  spacieux  ([ui  s'ouvrait  à  deux  pas. 
Mais  comme  on  l'embrassait  sitôt  dans  la  campagne 
Ce  paysag-e  intime  à  la  Basse-Bretagne!... 
Couvertes  de  débris  et  d'un  maigre  gazon 
Les  montagnes  d'Arrhes  traînent,  à  l'horizon. 
Comme  un  fardeau  trop  lourd  leurs  masses  uniformes 
Que  rompent  seulement  quelques  brèches  énormes 
Où,  vu  le  ciel  sauvage  et  Tàpreté  de  l'air. 
Involontairement  les  yeux  cherchent  la  mer. 
Un  sol  mouvementé,  que  découpent  par  bandes 
Les  champs,  les  bois  taillis,  les  marais  et  les  landes, 
S'élance  de  leurs  pieds,  et  de  plis  en  replis, 
Se  perd  dans  le  lointain  comme  un  large  roulis. 
De  ce  terrain  fuyant,  pareils  à  des  balises, 
Les  croix,  les  vieux  men-hirs,  les  cimes  des  églises, 


228  LE    PARNASSE   BRETOiN    CONTEMPORAIN. 

Une  ruine,  un  chêne,  un  revêche  hameau, 

Un  seul  toit  de  genêts  fumant  sur  un  coteau 

Montent  de  loin  en  loin  avec  une  attitude 

Farouche  et  qui  convient  à  cette  terre  rude; 

Au  centre  Plouié  tient,  comme  un  glaive  bénit, 

La  pointe  vers  le  ciel,  son  clocher  de  granit; 

Au  delà  Lokefred  et  ses  pâles  bruyères, 

A  droite  Brenilis  debout  sur  les  tourbières, 

Le  sombre  mamelon  de  Saint-Michel  au  bord 

De  son  fleuve  muet  et  de  son  marais  mort; 

A  gauche,  vers  Carhaix,  dont  les  tours  la  dominent, 

Comme  un  serpent  coupé  dont  les  tronçons  cheminent, 

La  vieille  grande  route,  au  hasard  du  terrain 

Ou  contourne  ou  gravit  les  hauteurs  de  Gourin. 

Sur  ce  panorama  flottent  les  ombres  vastes 

Et  les  vastes  lueurs  d'un  ciel  plein  de  contrastes, 

Ciel  vraiment  théâtral,  soumis  par  TOcéan 

Tantôt  au  calme  plat,  tantôt  à  l'ouragan 

Qu'apporte  le  vent  d'Ouest  à  l'heure  des  marées; 

Ciel  où  la  pluie  ondoie  en  masses  éclairées 

Par  un  pâle  rayon,  où  l'aurore,  en  été. 

Porte  un  voile  brumeux  et  parfois  argenté. 

L'air  a  des  chants  de  guerre,  ou  murmure  des  psaumes; 

Les  brouillards  au  vallon  font  surgir  des  fantômes 

Qui  s'emparent  du  jour,  ou  montent  les  degrés 

Sinistres  et  lointains  des  montagnes  d'Arrhes 

Sous  les  rayons  sanglants  du  soleil  qui  se  couche. 

Puis  vient  la  nuit  d'hiver  et  sa  lune  farouche 

Avec  les  hurlements  du  fauve  carnassier 

Et  son  azur  profond  aux  étoiles  d'acier. 

Ciel  des  Cornouaillais,  ciel  terrible  et  superbe 

Qui  dispute  au  colon  le  fruit,  l'arbre,  la  gerbe, 

Le  foyer  !  C'est  pourquoi  la  prudente  maison 

Avait  massé  des  bois  entre  elle  et  l'horizon 

Et  tiré  sur  ses  yeux  ce  voile  nécessaire. 


VICOMTE    ROBERT    DU    PONTAVICE    DE    HEUSSEY.  229 


La  cour  se  prélassait  dans  cette  vaste  serre 
Avec  son  attirail,  ses  poules,  son  vieux  puits; 
Le  jardin  y  cachait  sa  tonnelle  de  buis. 
Ses  larges  tulipiers,  ses  cyprès,  ses  mélèzes, 
Ses  rouges  framboisiers,  ses  bordures  de  fraises, 
Et  son  petit  parterre  où  Ton  voyait  souvent 
Les  fleurs  rire  au  soleil  en  écoutant  le  vent. 
Mais  qu'il  avait  fallu  de  soins  et  d'artifices 
Pour  couvrir  le  logis  de  ces  arbres  propices 
Et  pour  les  protéger  de  l'orage  envieux. 
C'était  du  trisaïeul  que  dataient  les  plus  vieux. 
Le  jour  où  son  aîné  recevait  le  baptême , 
Il  planta  le  premier,  comme  il  écrit  lui-même  ; 
Et  le  curé,  son  aide,  à  l'œuvre  s' échauffant, 
Avait  béni  la  plante  ayant  béni  l'enfant. 
A  partir  de  ce  jour  on  vit  les  routes  nues 
Se  changer,  sous  sa  main,  en  larges  avenues, 
Autour  de  la  maison  les  ombrages  grandir, 
Dans  les  vergers  voisins  les  pommiers  s'arrondir, 
Les  semis  de  sapins  couvrir  les  froides  terres 
Et  les  chênes  peupler  les  talus  solitaires  : 
Ainsi  qu'un  général  dans  un  fort  assiégé 
Visite,  après  le  feu,  l'ouvrage  endommagé. 
Les  vides  qu'ont  creusés  la  bombe  et  la  mitraille 
Dans  chaque  régiment  et  dans  chaque  muraille 
Et,  pour  remettre  au  pair  la  place  et  ses  abords, 
Ferme  la  sombre  brèche  et  remplace  les  morts  ; 
Après  les  coups  de  vent,  la  pluie  et  les  gelées, 
Le  planteur  dihgent  parcourait  les  allées, 
Les  talus,  redressait  les  jeunes  plants  courbés, 
Remplaçait  les  sapins  ou  les  chênes  tombés 
Et,  secouru  du  temps,  opposait  à  l'orage, 
Plus  large  et  plus  épais,  son  bouclier  d'ombrage; 
Bientôt,  grâces  aux  nids  qu'ils  pouvaient  abriter. 
Les  arbres  plus  touffus  se  prirent  à  chanter; 


230        L^.    PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Par  leurs  rideaux  flottants  les  roses  garanties 

Leur  durent  leur  fraîcheur;  dès  lors  des  sympathies 

Lièrent  la  famille  et  les  bois  d'alentour, 

Doux  nœud  que  l'habitude  avait  fait  jour  à  jour 

Et  qu'elle  resserrait  jour  à  jour  en  silence; 

Enfants,  oiseaux  avaient  un  air  de  ressemblance  : 

Quand  le  chef,  couronné  de  ses  beaux  cheveux  blancs, 

Soutenant  d'un  bâton  ses  pas  un  peu  tremblants. 

S'en  allait  visiter  les  plants  déjà  robustes. 

Tous  le  reconnaissaient,  des  arbres  aux  arbustes; 

Il  courait  dans  la  feuille  un  frisson  de  plaisir, 

La  branche  se  baissait,  qu'il  désirait  saisir; 

Si  parfois,  avisant  un  chêne  plein  de  force, 

D'un  geste  satisfait  il  en  frappait  lécorce. 

Comme  il  le  rendait  fier!...  Il  parlait  à  chacun. 

Le  sage  qu'il  était,  un  lang-age  opportun  ; 

Quelque  chose  de  lui  passait  dans  ses  élèves! 

Lui-même  reprenait  de  la  vie  à  leurs  sèves 

Et  de  ses  ans  chenus  oubliait  la  moitié. 

Oh  !  vous  ne  savez  pas  quelle  bonne  amitié 

Le  travail  établit  entre  la  terre  et  l'homme. 

Vous  les  gens  du  trottoir,  vous  dont  la  faim  consomme 

En  vos  larges  festins,  pleins  de  lièvre  et  de  bruit. 

Le  fruit  du  bon  sillon,  le  vénérable  fruit; 

Votre  or  peut  acheter  ce  que  le  corps  réclame. 

Mais  l'aliment  n'a  plus  le  suc  qui  nourrit  l'âme, 

Et,  croyant  vous  asseoir  au  banquet  des  élus, 

Vous  ne  mangez  qu'un  pain  sous  le{[uel  Dieu  n'est  plus. 

Mais  celui  qui  nourrit  la  terre  maternelle 

Non  seulement  pour  soi,  mais  par  amour  pour  elle. 

Qui  du  sable  au  rocher,  de  la  plaine  au  coteau, 

La  couvre  jour  à  jour  d'un  radieux  manteau 

De  fruits  et  de  moissons,  de  forêts,  d'herbes  grasses, 

En  reçoit  à  sou  tour  des  faveurs  et  des  grâces. 

Je  ne  sais  quelle  effluve  au  feu  doux  et  puissant 


VICOMTE    ROBERT    DU    POrSTAVICE    DE    IIEUSSEY.  231 

Lui  monte  dans  le  ca'ur  du  sol  reconnaissant. 
Vieux,  en  dépit  du  temps  sa  voix  est  jeune  encore, 
Sa  tête  vénéraljle  a  des  reflets  d'aurore, 
D'un  tranquille  bonheur  son  œil  est  animé. 
De  quelqu'un  d'éternel  on  sent  qu'il  est  aimé  ! 
On  dirait,  au  moment  où  ce  vaillant  décline, 
Que  la  terre  fait  signe  aux  champs,  à  la  colline, 
Aux  bois  affectueux,  aux  tremblantes  moissons. 
D'apaiser  les  lueurs  et  d'affaiblir  les  sons. 
Décroissant  par  degrés  vers  l'ombre  et  le  silence 
Afin  de  lui  changer  la  mort  en  somnolence  ! 

Quand  le  corps  du  planteur,  porté  par  les  fermiers, 

S'en  alla  du  milieu  des  bois  et  des  pommiers 

Avec  le  fils  aîné  qui  suivait,  tète  nue , 

Pendant  que  le  convoi  passait  dans  l'avenue. 

Oh  !  comme  on  s'aperçut  que  les  arbres  en  deuil 

Regrettaient  celui-là  qu'enfermait  le  cercueil  ! 

Les  plus  voisins  tâchaient  de  toucher  de  leurs  branches 

Le  funèbre  manteau  qui  recouvrait  les  planches, 

Les  faibles  frissonnaient  et,  pour  lui  faire  honneur. 

Les  plus  forts  s'inclinaient  devant  leur  vieux  seigneur, 

Secouaient  leur  couronne  et  jetaient  sur  la  bière 

Une  feuille,  une  fleur,  une  larme  dernière  ; 

Les  oiseaux  se  taisaient,  en  songeant  que  le  mort 

Avait  créé  pour  eux  l'ombrage  où  le  nid  dort  : 

Dernier  remerciment,  adieu  charmant  et  triste 

De  la  nature  à  l'homme  et  de  l'œuvre  à  l'artiste  ! 

La  tombe  du  planteur  est  à  Loc-Maria. 

Arbres,  roses,  vergers,  aucun  né  l'oublia. 

Un  poète  passant  par  les  vertes  allées 

Entendit  bien  longtemps  après,  dans  les  feuillées, 

Tout  ce  peuple  ombrageux,  pour  d'autres  endormi, 

Murmurer,  chaque  soir,  le  nom  de  son  ami  ! 


ONÉSIME  PRADÈHE 


LES  DEUX  VOYAGEURS 


LE  ruisseau  court  dans  sa  patrie  ; 
Le  jeune  homme,  hélas  !  en  est  loin. 
Tous  deux  s'en  vont  de  compagnie  , 
A  travers  la  lande  et  le  foin. 

L'œil  de  l'adolescent  se  mouille, 
11  marche  d'un  pas  soucieux  ; 
Le  ruisseau,  lui,  gaiement  gazouille 
Sur  son  petit  lit  rocailleux. 

La  lèvre  du  jeune  homme,  au  pâtre 
Qui  sourit,  répond  tristement  ; 
Mais  le  ruisseau  coule  folâtre, 
Saute  et  hondit  joyeusement. 


Tous  deux  maintenant  en  silence 
Descendent  le  même  chemin  : 
Le  ruisseau  moins  joyeux  s'élance  ; 
Le  jeune  homme  a  l'air  moins  chagrin. 


ONÉSIME    PRADÈRE.  233 


Dites-moi,  je  ne  comprends  guère 
Ce  changement  dans  votre  sort, 
Toi,  ruisseau,  si  content  naguère  ; 
Toi,  garçon ,  si  triste  d'abord  ! 


Lentement  le  ruisseau  se  traîne 
Sous  riierbe  verte  et  le  cresson  ; 
Le  g'arçon  sourit  à  la  plaine. 
Pousse  un  cri,  dit  une  chanson. 

Le  ruisseau  voit  avec  tristesse 
Qu'il  a  quitté  des  lieux  chéris  ; 
Le  jeune  homme  est  plein  d'allégresse 
Il  a  retrouvé  son  pays  ! 


LARMES  SILENCIEUSES 

I^CLAiROT  tout  à  coup  de  tes  feux  les  campagnes, 
Jj  Gai  soleil,  au  matin  tu  te  lèves  vermeil, 
Tu  souris  aux  vallons,  tu  souris  aux  montag-nes, 
Et  tout  parait  joyeux  à  ton  premier  réveil  ; 
Tu  ne  te  doutes  pas  que  dans  la  nuit,  dans  l'ombre. 
Quand  ton  disque  à  nos  yeux  lassés  se  dérobait^ 
Que,  quandtu  te  drapais  dans  ton  g-rand  manteau  sombre, 
La  pluie  abondamment  sur  la  terre  tombait. 

Hélas  !  hélas  !  combien  en  voyons-nous  paraître 
De  visages  ainsi  qui  nous  semblent  joyeux , 
Et  qui,  de  longs  instants,  toute  la  nuit  peut-être, 
Toute  la  nuit,  ont  eu  des  larmes  dans  les  veux. 


r"j3TiBaaans?E3;ra!!K!aî2EffïSCf^ifiiiBïai3 


N.  QUELLIEN 


MIN-BE  ' 


I 


A 


newe  koiiet  'barz  ar  Ger-Vraz, 
En  lion  zouez  eunu  nozvez  deuaz 


—  Deuz  bro  ar  balan  glaz  on  me , 
Lec'h  a  giemni  d'ann  noz  ar  freze; 

Er  biniou  me  oar  c'houeza 

Ha  g'werjo  koz  'm  euz  da  gana.  — 

Ha  goude  ze  n'hen  gwelaz  den , 
Ka  bet  he  hano  klewet  ken  ; 

rs'emed  eunn  dewez  zo  laret  : 

—  Hamonik  gand  Doue  zo  et.  — 


ïremenet  'vel  ar  gwennili 
Goude  Ijet  kanet  ouz  hou  zi. 


1.  Ces  vers  ont  été  lus  au  Dîner  Celtique  de  Paris,  en  novembre,  au 
souvenir  de  M.  Ilamonic ,  qui  tut  uii  ccltisant  de  la  première  heure. 

N.  Ql'eluen. 


N.  QUELLIEN 


PIERRE   TOMBALE 


POUR  la  première  fois  il  venait  clans  Paris  ; 
Un  soir,  il  aborda  les  Celtisants  surpris  : 

«  Je  suis  du  vieux  pays  bordé  de  genêts  verts  , 

Où  l'orfraie  a  son  chant  de  nuit,  comme  aux  déserts; 

Je  tiens  le  bmlou  dont  sonnait  Matilinn , 

Et  je  sais  les  beaux  r/ioerz  cVAliès  ou  de  Marzinn.  » 

Retourna-t-il  ensuite  aux  brumeux  horizons? 

Nul  ne  parlait  du  barde  aux  banquets  des  Bretons. 

Un  jour,  je  leur  ai  dit ,  funèl^re  messager  : 

«  Dieu  l'a  trouvé  trop  las  sous  ce  ciel  étranger.  » 

IL  partit  dès  l'automne,  oiseau  d'une  saison; 
L'écho  de  ses  doux  airs  demeure  en  la  maison. 


236  LK    P.VRNASSE    BRETON    CONTEMPORAIN. 


11 


Mar  klewed  'barz  ar  c'hoajo  don 
Eur  vouezig"  o  lenva  eur  son , 

Son  ar  barz  divroet  a  vo , 
Dindan  kazel  ge  a  g-ano. 

'Wecho  d'ann  noz  tro-dro  d'al  lann 
Welfed  o  vesk  eur  c'horf  en  poan  : 

Eur  paourig-  en  lie  binijen, 
Kouitet  he  vroïk  da  viken. 

Ra  vo  skanv  ar  goabr  o  ruzan, 
Uz  d'al  lanneier,  en  noz-man; 

Ha  ra  stoko  didrouz  ar  mor 
D'ar  gerek  endro  d'ann  Arvor  : 


'Wid  ann  tremeniad  ma  glevo 
Ar  barz  o  lenva  er  c'hoajo  ! 


N.    QUELLIEN.  237 


II 


Peut-être  entendrez-vous  au  milieu  des  grands  bois 
S'élever  un  chant  triste  et  pleurer  une  voix  : 

C'est  le  vieux  barde  mort  sans  pays  qui  revient 
Et  qu'un  charme  cent  ans  à  chanter  là  retient. 

Quelquefois  vous  verrez  sur  la  lande,  le  soir. 
Un  spectre  errer  autour  d'une  croix  et  s'asseoir  : 

Laissez  cette  âme  en  peine  ;  elle  expie  en  ces  lieux 
D'avoir  quitté  le  sol  consacré  des  aïeux. 

Nuages  du  grand  ciel,  glissez  légers  et  blancs 
Sur  la  lande  des  morts ,  la  nuit  des  revenants  ; 

Et  sois  clémente,  ô  mer  rude!  touche  sans  bruit 
Aux  écueils  de  l'Arvor,  —  pour  nos  morts  !  —  celte  nuit 

Pour  que  le  pèlerin  entende  au  loin  la  voix 

Et  la  chanson  du  barde  au  milieu  des  grands  bois  ! 


HUGUES  REBELL 

(GEORGES  GRASSAL) 


LE  SACRE  DE  V ARTISTE 

LOIN  des  vieilles  cités  où  triomphe  le  Mal, 
L'Artiste  saint  qu'exalte  un  souriant  génie 
Va  cliercher  la  rosée  aux  gouttes  de  cristal; 

La  rosée  où  le  jour  met  sa  clarté  bénie, 
Où  les  yeux  et  le  cœur  trouvent  un  élixir. 
Pour  braver  la  douleur  et  railler  l'ironie. 

Il  court  vers  les  grands  bois  et  regarde  bleuir 
Les,  cimes  des  sapins  qu'arrose  la  lumière; 
Il  lit  dans  l'horizon  où  pleure  un  souvenir. 

Kt  pour  lui  le  soleil  fait  rayonner  la  pierre, 

Et  la  source  qui  craint  de  troubler  les  songeurs, 

Eteint  le  gazouillis  de  son  eau  sur  le  lierre. 

Les  abeilles  déjà  laissant  le  suc  des  fleurs, 
Forment  un  nimbe  d'or  au-dessus  de  sa  tête, 
Et  les  prés  sonnent  au  chant  des  merles  siffleurs. 


HUGUES   REBELL.  239 

Tel  un  lévite  pur  saluant  le  prophète, 

A  son  aspect  le  lis  baisse  un  calice  blanc  ; 

Dans  la  noire  for«!;t  tourbillonne  une  fête. 

Heureux,  enthousiaste,  il  marche  d'un  pas  lent; 
Il  s'enivre  à  longs  flots  de  parfums,  de  nuances, 
Et  sent  battre  son  cœur  dans  un  mystique  élan. 

Car  la  Gloire  qu'il  prie  en  ses  soirs  d'espérances, 
Pose  sur  son  front  mûr  pour  Tlmmortalité , 
La  couronne  qui  fait  oublier  les  souffrances  : 

«  0  prés  resplendissants  d'amour  et  de  clarté , 

Clame-t-il  à  la  Terre,  annonçant  sa  venue, 

De  quels  divins  tableaux  m'avez-vous  enchanté! 

((  Yous  avez  rajeuni  d'une  robe  inconnue 
L'ancienne  majesté  dont  j'avais  autrefois 
Gardé  le  souvenir  dans  ma  mémoire  nue. 

((  Je  vous  retrouve  encor  plus  riants,  je  vous  vois 
Plus  adorables  qu'aux  songes  de  mes  veillées. 
Je  m'entends  acclamer  par  un  millier  de  voix. 

u   Que  vous  ai-je  donc  fait,  rives  ensoleillées, 
Pour  murmurer  en  chœur  de  si  douces  chansons, 
Et  vous  ,  nénuphars  blancs,  roses  échevelées? 

Et  la  Terre  parmi  les  couleurs  et  les  sons , 

Dit  au  penseur  ému  qui  loue  et  s'extasie  : 

«  Prêtre,  tu  n'es  pas  le  seul  que  nous  caressons. 


«  Nous  offrons  à  chacun  une  même  ambroisie , 
Mais  ils  refusent  tous  le  breuvage  des  dieux  : 
Par  le  plaisir,  l'arg-ent,  leur  vue  est  obscurcie. 


240  LE   PARNASSE   BRETON   CONTEMPORAIN. 

«  Leur  cœur  ue  s'émeut  pas  du  bel  hymne  joyeux 
Que  chuchotent  les  Bois  à  l'Après-midi  blonde , 
Les  Cigales  aux  Fleurs  des  verts  Gazons  soyeux. 

«  Leurs  rêves  ne  vont  point  aux  méandres  de  Tonde, 

Glisser,  s'évanouir  en  mystérieux  phs 

Comme  un  vol  de  lutins  dont  s'effare  la  ronde. 

«   Pourtant  ces  yeux  fermés  aux  choses  que  tu  lis, 
Ces  esprits  végétant  sans  amour  et  sans  joie. 
Que  dédaigne  la  Mort,  tant  ils  sont  affaiblis! 

«  Ces  hommes-là  triomphent  sous  les  dais  de  soie , 

Ils  te  volent  la  gloire  et  tôt  ils  oseront 

Te  meurtrir,  te  briser  l'âme  comme  leur  proie. 

«  Jusqu'alors  prodiguant  le  mépris  et  l'affront, 

Ils  régnent,  rois  d'un  jour,  sur  des  trônes  de  cendre, 

Mais  un  sacre  réel  illumine  ton  front  : 

Le  mystère  dps  champs  que  seul  tu  peux  comprendre. 


DIMANCHE  DES  BORDS  DE  LA  MER 

LE  ciel  a  pris  le  bleu  de  la  pâle  saison 
Où  le  soleil  mourant  s'enfonce  dans  la  brume, 
Et  sa  lumière  brode  une  frange  d'écume 
Aux  sillons  déroulés  jusqu'au  rouge  horizon. 

Parfois  les  champs  déserts  tressaillent  d'un  frisson 
Au  vent  battant  la  mer  comme  une  immense  enclume; 
Tout  au  loin  une  étoile  étincelle  et  s'allume 
Au  vitrage  ébréché  d'une  pauvre  maison. 


HUGUES  reëëll.  â4l 


Le  village  s'endort.  Aux  portes  des  masures 
Une  vieille  apparaît  dans  les  blanches  cassures 
De  sa  coiffe  de  fête  aux  ailes  de  moulin. 

Et  rien  ne  vient  troubler  cette  calme  tristesse  ; 
Sauf  un  vol  de  pigeons,  et  sortant  de  la  messe, 
Un  pas  lourd  de  travail,  craquant  sur  le  chemin. 


LA  CHEVAUCHÉE  DES  PREUX  BRETONS 

LES  clairons  ébranlant  le  caveau  sépulcral 
Ont  réveillé  les  Preux  aux  farouches  crinières  : 
Tenant  leur  glaive  nu,  sous  les  plis  des  bannières, 
Ils  défdent  ainsi  qu'aux  jours  pieux  du  Gral, 

Tous,  les  croisés  blessés  montrant  leur  cœur  féal. 
Les  chevaliers  chassant  les  monstres  des  tanières, 
S'en  vont  revivre  les  l)atailles  meurtrières, 
Chantant  les  g-rands  combats  et  l'amour  idéal. 

Des  tours  de  Jocelyn  au  chAteau  de  Goulaine, 
La  chevauchée  à  travers  la  lande  et  la  plaine, 
Quand  l'église  est  muette  et  le  foyer  s'endort, 

Passe  sur  ses  coursiers  aux  naseaux  pleins  de  flammes, 

Et  la  lune  bénit  de  ses  caresses  d'or 

Les  hauts  casques  d'acier  sous  les  verts  oriflammes. 


16 


ARY  RENAN 


A  LA  DOUCE  LUNE 


LORSQUE  le  crépuscule  étend  son  voile  noir 
Sur  le  jardin  des  cœurs  où  les  fleurs  sont  pâmées, 
Les  pauvres  fleurs  d'amour  tendent,  pour  être  aimées, 
La  chair  de  leur  corolle  aux  caresses  du  soir. 

Viens,  beau  disque  d'araent,  impassible  miroir  ! 
Emplis  les  horizons  de  bleuâtres  fumées, 
Sur  le  rideau  nacré  des  paupières  fermées 
Versant  Toubli,  l'extase  et  l'immortel  espoir; 

L'oubli  des  bruits  du  monde  et  des  volontés  vaines, 
L'extase  du  silence  et  des  langueurs  sereines. 
L'espoir  des  nuits  sans  nombre  et  d'un  néant  sans  corps. 


Ravis  nos  âmes  sœurs,  comme  en  apothéose, 

Dans  la  paix  d'un  sommeil  sans  crainte  et  sans  remords, 

Et  fais  de  nos  deux  cœurs   u?ie  immobile  chose. 


ÀRY  ftËNAN.  â4â 


A   UN  BARDE 

BARDE  breton  qui  vas,  cherchant  partout  les  dieux, 
N'as-tu  pas  rencontré,  dis-moi,  la  belle  Urgande, 
Ou  les  vieux  saints  venus,  à  la  voile,  d'Irlande, 
Dans  une  auge  de  pierre,  eu  péril  des  flots  bleus  ? 

N'as-tu  pas  découvert,  dans  quelque  Broceliande, 
Le  manteau  de  Merlin,  assez  grand  pour  nous  deux  ? 
N'as-tu  pas  recueilli,  comme  un  tendre  amoureux. 
Des  cheveux  de  Viviane,  accrochés  dans  la  lande? 

As-tu  trouvé  la  table  où  s'est  assis  Arthur, 

Aux  vieux  temps  que  les  Preux,  ivres  d'hydromel  pur 

Chantèrent  les  bardits,  couronnés  d'anbépine? 

Ou,  quand  tu  te  sens  las,  à  l'approche  du  soir, 
Pour  étancher  ta  soiF,  as-tii,  sous  le  bois  noir, 
Bu  dans  l'Urne  enchantée  où  buvait  Mélusine? 


BI^:[1TI{ÂND  ROBinOU 


LA   CATHEDRALE 


SALUT  !  palais  de  Dieu,  superbe  cathédrale 
Où  s'ouvre  avec  splendeur  l'ogive  magistrale  ! 
Éblouissant  vitrail  déployé  sur  l'autel, 
Comme  un  reflet  lointain  de  la  gloire  du  ciel  ! 
]Nef  aux  faisceaux  légers,  à  la  forme  élancée, 
Jusqu'au  trône  éternel  emportant  la  pensée  ! 
Sanctuaire  profond  plus  merveilleux  encor  ! 
Colonnes  qui,  prenant  votre  multiple  essor, 
Bondissez  d'un  seul  jet  jusqu'aux  voûtes  hardies 
Sous  le  dôme  imposant  avec  grâce  arrondies  ! 
Lianes  de  granit  courant  sur  les  vitraux, 
De  feuilles  et  de  fleurs  tressant  les  chapiteaux  ! 
Arcades  embrassant  l'enceinte  de  vos  ailes, 
Pour  voiler  le  Très-Haut  et  couvrir  les  fidèles! 
Double  étage  brodé  dans  la  muraille  à  jour 
Dont  l'ample  galerie  éclaire  le  pourtour. 
Coupoles  du  saint  lieu  vers  la  nue  envolées, 
Avec  le  vaste  cri  des  cloches  ébranlées, 
Quand  l'orgue,  préludant  à  des  concerts  nouveaux, 
De  six  siècles  de  chants  éveille  les  échos  ! 


TIEUTRAND    ROTîIBOU.  215 


Ensemble  ravissant  de  svelte  architecture 

Où  Tàine,  devinant  sa  sublime  nature, 

Lit  sa  grandeur  empreinte  au  front  de  l'art  chrétien 

Et  reprend  vers  le  ciel  son  vol  aérien. 

Mon  Dieu  !  qu'il  est  heureux  celui  qui  te  contemple  ! 

Ici  tout  prie,  adore  et  chante  avec  le  temple, 

Et  chaque  arceau  gothique  est  un  accord  jeté 

Pour  célébrer  ta  gloire  et  ton  éternité  ! 


LES  FLEURS  QUI  PARLENT 


C'est  le  goût  qui  fait  la  parure 
Et  les  fleurs  savent  s'habiller. 
Sans  le  céder,  je  vous  le  jure, 
Dans  le  g-rand  art  de  babiller. 

Souvent  j'admire  les  toilettes 
Que  leur  tisse  Monsieur  Printemps  ; 
Je  vois  que  dames  et  fillettes 
Ont  des  costumes  éclatants. 

Les  époux  sont-ils  toujours  sages? 
Qu'importe?  Ils  sont  gentils  toujours; 
La  brise  échange  leurs  messages, 
La  brise  sème  leurs  amours. 

Et  fleurs  et  papillons,  sans  doute. 
Forment  les  concerts  les  plus  doux. 
La  fauvette,  ravie,  écoute. 
Et  les  rossignols  sont  jaloux. 


246        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Ainsi  la  nature  éternelle, 
Qui  de  soleils  peuple  les  cieux, 
Sur  la  terre  ici  renouvelle 
D'autres  paradis  sous  nos  yeux. 

Ces  parfums,  ces  rayons,  ces  gammes, 
Invitant  doucement  les  cœurs, 
Semblent  aux  sympathiques  âmes 
Des  voix,  des  amantes,  des  sœurs. 

Donc  promenant  par  les  campagnes, 
INous  trouverons  à  qui  causer, 
Car  les  fleurs,  coquettes  compagnes, 
INe  demandent  qu'à  deviser. 


PAN0RA3IA  D'UN  BEAU  PAYS 

(PRÉFACK   PU   SECOND    VOLU-MEj 


Qu'il  est  doux  de  chanter  sous  le  ciel  du  pays  ! 
0  brises  qui  passez  sur  nos  belles  campagnes, 
Eveillez  en  concert  l'écho  de  nos  montagnes. 
Versez-moi  les  senteurs,  les  murmures, les  bruits 
Du  val  ombreux  et  frais,  de  l'océan  qui  tonne. 
Et  les  plaintifs  roulis  des  forêts  en  automne. 
IN'ai-je  pas  comme  vous  effleuré  bien  souvent, 
Dans  mes  jours  fugitifs  comme  Tonde  et  le  vent, 

Les  tertres,  les  bois  et  les  plaines 

Où  soufflent  vos  jeunes  haleines, 
0  brises,  portez  donc  à  tous  les  coeurs  épris 

D'amour  tendre  pour  le  pays. 

Portez  sur  vos  folâtres  ailes 
Les  fleurs  et  les  parfums  que  nous  avons  cueillis 

Sur  les  collines  maternelles. 


J.-GUY  ROPARTZ 


CHEVAUCHEE 


A  Albéric  MaKiiard. 


A  l'heure  où  le  mystère  épais  des  soirs  commence, 
A  travers  les  brouillards  de  la  lande  bretonne, 
J'ai  vu  passer,  dans  l'or  fauve  d'un  ciel  d'automne, 
Des  guerriers  d'autrefois  la  chevauchée  immense. 

Qu'ils  étaient  grands  et  beaux,  ces  preux  des  temps  antiques 
En  leurs  yeux  rayonnait  l'orgueil  des  fortes  races  ; 
Casqués  de  peau,  bardés  de  fer,  sous  les  cuirasses 
Lourdes,  ils  redressaient  leurs  torses  athlétiques. 

Et  le  scintillement  échitant  des  épées 

Allumait  l'horizon  de  lueurs  triomphales  ; 

Les  vieux  chênes  courbaient  leurs  fronts  sous  les  rafales, 

Saluant  ces  héros  de  vastes  épopées. 


Les  cerfs  effarouchés  fuyaient  par  les  forières  ; 
L'air  vibrait  aux  appels  puissants  des  cors  sonores. 
Et  le  vent  qui  gémit  dans  les  hauts  sycomores 
Mêlait  sa  voix  énorme  aux  fanfares  guerrières. 


248         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Ils  passèrent  longtemps  en  escadrons  sans  nombre, 

Eblouissant  mes  yeux  à  leurs  apothéoses  ; 

Puis  la  réalité  décevante  des  choses , 

Assaillant  leur  splendeur,  les  effondra  dans  l'ombre 


VERS  POUR  ELLE 

GooD  Morning  ! . . .  Il  me  semble  entendre  encor  sa  voix, 
Sa  voix  claire,  sa  voix  vibrante  et  cristalline  ; 
Je  crois  voir  de  ses  yeux  l'expression  câline 
Et  sentir,  dans  ma  main,  trembler  ses  petits  doigts. 

Quand  le  soleil  riait,  le  long  de  la  jetée, 
C'était  si  bon  d'aller  promener  seuls  tous  deux, 
D'écouter  la  chanson  très  vague  des  flots  bleus 
Ou  de  suivre,  bizarre  en  ses  tours  anguleux. 
L'ombre  de  la  falaise  au  lointain  projetée. 

C'était  si  bon,  le  soir,  de  rester  très  longtemps 
Assis  l'un  près  de  l'autre  et  sans  se  parler,  presque, 
Quand  le  couchant  peignait  sa  merveilleuse  fresque. 
Mélangeant  les  ors  mats  aux  rouges  éclatants. 

Robe  blanche,  chapeau  blanc  et  blanche  jaquette. 
Elle  était  si  mignonne  ainsi,  que  les  pinsons, 
En  la  voyant  venir,  suspendaient  leurs  chansons 
Et,  balançant  les  fleurs  aux  branches  des  buissons, 
S'inclinaient  devant  elle  en  leur  façon  coquette. 

Elle  était  si  mignonne  ainsi,  que  j'étais  fier 
Et  portais  haut  la  tète  en  marchant  auprès  d'elle, 
Nouant  en  mon  esprit,  par  un  lien  fidèle, 
Les  espoirs  de  demain  aux  souvenirs  d'hier. 


J.-GUY    ROPARTZ.  249 


Elle  était  si  mignonne  ainsi,  que  les  étoiles 
Arrêtaient  leurs  regards  lumineux  sur  son  front 
Et  que  le  vent,  sur  la  grève  souftlant  en  rond, 
Précipitait  l'appel  cuivré  de  son  clairon, 
Lançant  son  nom  aux  bricks  voilés  de  grises  toiles. 

Elle  était  si  mignonne  ainsi,  que  j'ai  senti 
Chaque  jour,  chaque  instant,  ma  tendresse  s'accroitre 
Dans  les  bleus  paradis  où  mon  espoir  se  cloître 
Délicieusement  mon  rêve  s'est  blotti. 


PAYSAGE  LUGUBRE 

LE  soleil  s'est  couché  derrière  les  îlots, 
Pointant  de  ses  derniers  rayons  la  mer  changeante, 
Qui  tantôt  se  bronze  et  tantôt  s'argente, 
Avant  que  le  jour  ait  tout  à  fait  clos 
Ses  yeux,  évocateurs  de  paysages  vagues 
Dans  les  nuages  gris  que  reflètent  les  vagues. 

Voici  la  nuit  qui  vient  et  la  terre  s'endort, 
Enveloppée  en  son  épais  manteau  de  brume , 
Et  nulle  étoile  au  ciel  n'allume 
Sa  flamme  d'or. 

J'écoute  au  loin  la  cloche  errante  des  choristes 
Accompagnant  le  prêtre  au  lit  d'un  moribond  ; 
A  travers  les  bois,  le  cerf  vagabond 
Désespérément  brame  en  notes  tristes 
Et  répond  aux  appels  lugubres  des  hibous, 
Hurlant  la  mort  au  haut  des  hêtres  et  des  houx. 


250        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


BOUTADE 

A  mon  ami  H.  Lefeuvre-Méaulle. 

MONTANT  vers  la  nue  irisée , 
Voici  que  le  matin  frileux 
Floconne  aux  angles  des  toits  bleus 
Que  diamante  la  rosée. 

C'est  un  délicieux  matin, 
Un  apaisant  matin  d'automne, 
Si  délicieux,  qu'on  s'étonne 
De  rêver  de  l'été  lointain. 

Et  pourtant  j'en  rêve,  et  je  pleure  : 
M'affolant  en  de  vains  regrets, 
Je  me  lasse  à  courir  après 
Le  fantôme  bleu  qui  me  leurre. 

Par  les  chauds  après-midi  d'août, 
Les  douleurs  semblent  endormies, 
Et  l'on  sent,  en  ces  accalmies, 
Passer,  venant  on  ne  sait  d'où. 

Dans  l'atmosphère  transparente, 
Des  vols  de  bonheurs  égarés 
Qui  s'abattent  sur  les  grands  prés 
Tout  rouges  de  fleurs  d'amarante. 


Je  regrette  les  frisons  blancs 
Qu'en  sa  coquetterie  exquise 
Mettait  à  son  front  de  marquise 
La  mer  vieille  de  six  mille  ans. 


J.-GUY    ROPARTZ,  231 


Je  regrette  la  l)loiide  plage 
Où,  tout  en  jouant  au  croquet, 
Mainte  fillette  provoquait 
Le  flirt,  avant  d'en  avoir  l'c^g-e. 

Je  regrette  vos  rires  francs, 
Pensionnaires  échappées  , 
Durant  nos  folles  équipées 
Loin  de  l'œil  g-rave  des  parents. 

Je  reg-rette  surtout,  Marie, 
De  vos  grands  yeux  énamourés 
Les  charmes  longtemps  savourés 
Dans  nos  heures  de  causerie. 

Et  les  discrets  demi-aveux 
Tombés  de  vos  lèvres  tremblantes. 
Quand  la  langueur  des  valses  lentes 
Unissait  presque  nos  cheveux. 

De  peur  d'en  trop  dire,  j'arrête 
Ici  mes  souvenirs  d'été  ; 
Je  crains  d'avoir  encore  été 
Amoureux...  et  je  le  regrette. 


AU  POETE 


N'alanguis  pas  ton  âme  à  de  vaines  chimères. 
Mais,  courbant  ton  vouloir  sous  des  efforts  puissants, 
Chasse  la  décevante  illusion  des  sens  : 
Car  les  rêves  d'amour,  vois-tu,  sont  éphémères. 


252        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Lorsque  tu  vois,  pendus  aux  seins  féconds  des  mères , 
Les  enfants  aux  grands  yeux  d'azur  si  caressants, 
Tu  les  voudrais  à  toi  peut-être  et  tu  ressens^ 
De  vivre  délaissé,  les  tristesses  amères. 

Mais  si  le  Ciel  t'a  fait  poète,  tu  dois,  seul. 
Parcourir  les  sentiers  où  le  rêve  te  mène , 
Enveloppé  dans  Tart  comme  dans  un  linceul  ; 

Reste  libre  de  toute  affection  humaine 

Et,  quand  la  mort  viendra,  les  anges  poseront 

Le  diadème  lourd  des  niaqes  à  ton  front. 


DANS  L'EGLISE 

A  ma  Mère. 

L'orgue  s'est  endormi  sur  un  dernier  accord 
Et  le  temple  désert  rentre  dans  le  silence; 
Devant  le  maitre-autel  la  lampe  se  balance 
Et  des  sacrés  parvis  éclaire  le  décor. 

Vers  la  voûte  où  For  rouge  étend  son  opulence , 
Le  mystique  parfum  des  encens  monte  encor  ; 
Comme  dans  les  forêts  le  son  grave  du  cor, 
La  prière  de  chaque  arceau  vers  Dieu  s'élance. 

Les  yeux  pieusement  baissés  sur  son  missel , 
Qu'enlumina  jadis  au  fond  d'un  cloître  austère 
L'habile  et  sainte  main  d'un  moine  du  Carmel, 

Une  femme  à  genoux  semble  oublier  la  terre 
Et  dans  la  majesté  du  soir  silencieux. 
Goûte  ici-l3as  la  paix  iueii'ablc  des  cieux. 


J.-GUY   ROPARTZ.  2o3 


JEFFIK 

(poème  imité  du  barzaz  breiz) 

Au  V'c  Th.  Hersart  de  la  A'ilicmarqué. 

Avoir  Jeffik,  au  Ijord  de  la  dernière  vague, 
Rider  la  nier  tranquille  en  triples  ricochets, 
Ou  suivre  au  ciel  le  vol  calme  des  émouchets, 
Comme  on  suit  en  son  âme  un  rêve  lent  et  vag"ue  ; 

A  voir  Jeflîk  danser  le  vieux  Jabadao , 
Avec  un  onduleux  balancement  de  hanches , 
Sur  la  place  du  bourg-,  par  les  soirs  de  dimanches, 
Jasant  comme  un  tic-tac  de  g"ais  moulins  à  eau  ; 

A  voir  Jeffik  si  jeune,  et  si  pure,  et  si  rose, 
J^étais  joyeux  ;  et  qui  donc  ne  l'eût  pas  été  ? 
Sur  son  lit  blanc,  et  plus  pâle  qu'un  lis  d'été, 
Attendant  doucement  la  mort,  Jeffdv  repose. 

Psalmodiant  très  bas  les  mystiques  Avés 

Et  voyant  sa  vigueur  qui  fuit  à  tire  d'aile. 

Ses  compagnes  du  bourg*  sont  assises  près  d'elle. 

«  Ne  pleurez  pas,  il  faut  mourir,  vous  le  savez,  » 

Dit-elle,  «  Jésus  même  est  mort  sur  le  calvaire  ; 
((  Il  a  sauvé  notre  àme  en  torturant  son  corps  ; 
«  La  mort  vient!...  Ecoutez  les  funèbres  accords!... 
«  La  mort  m'ouvre  le  ciel  ;  je  l'aime  et  la  révère  !...  » 

Près  de  la  source  fraîche  où  je  venais  puiser, 

Le  i'ossig7iol  de  nuit  chantait  en  notes  douces  : 

«  Voici  le  mois  de  mai  qui  passe  et  dans  les  mousses 

((  La  fleur  nouvelle  éclot  sous  son  ardent  baiser. 


2o4        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

«  Le  coquelicot  monte  à  travers  les  javelles, 
«  Empourprant  leur  pâleur  de  reflets  éclatants  ; 
«  Heureuses  les  beautés  qui  meurent  au  printemps  : 
<(  Leur  lit  de  mort  sera  semé  de  fleurs  nouvelles  ! 

«  Et  du  milieu  des  fleurs  leurs  âmes  monteront 

«  Vers  les  cieux  purs,  auprès  d'un  ange  aux  ailes  roses, 

((  Comme  le  papillon  du  calice  des  roses  ; 

«  Et ,  les  voyant  venir,  les  Elus  chanteront  !  » 


* 


Jeffik  a  mis  ses  mains  en  croix  sur  sa  poitrine  ; 
C'est  le  soir  ;  le  soleil  rougeoie  à  l'horizon  ; 
Et  les  troupeaux  hélants  regagnent  la  maison, 
Marchant  au  tintement  joyeux  de  leur  clarine. 

Son  chapelet  de  buis  glisse  entre  ses  doigts  blancs. 
Un  sourire  indistinct  de  ses  lèvres  glacées 
Change  en  Avés  pieux  ses  dernières  pensées  ; 
Et  son  cœur  bat  toujours  en  battements  plus  lents. 

Elle  pâlit  :  ses  yeux  se  ferment  :  sa  prière 
Une  dernière  fois  passe,  en  un  souffle  éteint  : 
Son  âme  a  fui...  —  Déjà  les  lueurs  du  matin 
Argentent  faiblement  les  souffles  de  bruyère. 


* 


Le  rossignol  de  nuit  chante  au  bord  des  étangs. 
Répondant  aux  appels  lointains  des  bartavelles  : 
«  Enguirlandez  son  lit  d'aubépines  nouvelles, 
«  Heureuses  les  beautés  qui  meurent  au  printemps.  » 


^ 


'*-i«'!a'*-i''**' 


^. 


ALEXIS  ROUAULT 


UN  OUVRIER  QUE  PEUT-IL  DIRE  ? 

BIEN  loin,  Messieurs,  d'être  un  poète, 
Je  suis  à  peine  un  rimailleur, 
Et  vous  voulez  me  mettre  en  tète 
D'écrire,  moi,  vieux  travailleur  ! 
Mais,  en  tout  cas,  avant  d'écrire, 
Réfléchissons  à  ce  détail  : 
Un  ouvrier,  que  peut-il  dire 
Saus  faire  tort  à  son  travail  ? 

Faut-il  parler  de  politique  ? 
jN'en  faites  rien,  me  dites- vous. 
Faut-il  parler  de  ma  boutique? 
Mes  confrères  seront  jaloux. 
Vous  le  voyez,  c'est  à  maudire 
Encre,  plume  et  tout  l'attirail... 
Un  ouvrier,  que  peut-il  dire 
Sans  faire  tort  à  son  travail  ? 


Mieux  vaut-il  peindre  l'arrogance 
De  quelques  sots,  frais  parvenus. 
Qui  vendraient  tout,  même  la  France, 
Pour  en  tirer  des  revenus? 


256        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Mais  si  je  lais  de  la  satire , 
Je  vais  servir  cVépouvantail. 
Un  ouvrier,  que  peut-il  dire 
Sans  faire  tort  à  son  travail? 

Puisqu'il  est  vrai  que  tout  m'empêche 
De  critiquer  plus  d'un  travers, 
Eli  bien  1  je  vais  chanter  la  pèche, 
Nos  frais  sentiers  et  nos  prés  verts. 
A  la  campagne  où  tout  m'inspire 
Quand  donc  pourrai-je,  avec  long  bail, 
Aller  vivre  et  pouvoir  tout  dire, 
Sans  rien  craindre  pour  mon  travail? 


ALLONS  AMORCER  LES  PETITS  POISSONS 

DÉJÀ  le  soleil  succède  à  l'aurore, 
Partout  les  oiseaux  reprennent  leurs  chants  ; 
La  fleur  des  pommiers  est  humide  encore 
Des  pleurs  que  la  nuit  répand  sur  les  champs. 
Tout  parle  bonheur;  le  pied  sur  sa  bêche, 
Le  vieux  laboureur  sourit  aux  moissons. 
Ami,  quel  beau  jour  pour  un  jour  de  pèche; 
Allons  amorcer  les  petits  poissons  ! 

Suivons  les  sentiers  des  vertes  prairies. 
Nous  arriverons  au  riant  coteau 
Qui  domine  au  loin  les  berges  fleuries, 
Où  Ton  est  si  bien  assis  près  de  l'eau. 
Là-bas,  le  moulin,  sous  la  brise  fraîche. 
Tourne,  et  du  tic-tac  on  entend  les  sons... 
Amis,  quel  beau  jour  pour  un  jour  de  pêche  ! 
Allons  amorcer  les  petits  poissons. 


ALEXIS    ROUAUtT.  ^57 


Dans  le  chemin  creux,  plein  d'épines  blanches, 

Ecoutez  ce  chant  pur  et  gracieux  : 

C'est  le  rossignol  caché  dans  les  branches 

Qui  vient  comme  nous  rendre  hommage  aux  cieux. 

Mais  je  vois  enfin  les  bords  de  la  Seiche  ; 

Je  sens  les  parfums  de  ses  g-rands  buissons... 

Amis,  point  de  bruit,  c'est  ici  la  pêche  ! 

Il  faut  amorcer  les  petits  poissons. 


LES  PLAISIRS  DE  LA  PÊCHE 

PARTIR  de  grand  matin  et,  parmi  l'herbe  tendre. 
Dont  la  blanche  rosée  annonce  les  chaleurs  , 
Se  rendre  au  bord  de  l'eau,  dans  le  but  d'y  surprendre 
Quelques  joyeux  poissons  folâtrant  sous  les  fleurs. 

Vivre  un  jour,  seul,  en  paix,  à  rêver  sous  l'ombrage 
Aux  plus  doux  souvenirs  qui  charment  notre  cœur  ; 
Contempler  la  nature  et,  dans  un  juste  hommage. 
Bénir  avec  amour  l'œuvre  du  Créateur. 

Entendre,  au  loin,  sonner  les  cloches  d'un  village 

Annonçant,  pour  prier,  l'heure  de  V Angélus, 

Et  se  trouver  encore  assis  près  du  rivage 

Le  soir,  quand  les  oiseaux  ne  nous  enchantent  plus. 

Fleurs,  parfums,  liberté,  Ijrise  embaumée  et  fraîche, 
Voilà  ce  qu'en  péchant  on  trouve  au  bord  de  l'eau  ; 
Et  qui  ne  connaît  pas  les  plaisirs  de  la  pêche 
Ne  connaîtra  jamais  ni  le  grand,  ni  le  beau. 


17 


â58        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

LE  VIEUX  MOBILIER 

A  nos  enfants. 

NON,  mes  enfants,  ce  vieux  ménage, 
N'est  plus  de  mode  de  nos  jours, 
Mais  il  a  vu  votre  jeune  âge, 
Et  c'est  pourquoi  j'y  tiens  toujours. 

Il  fut  témoin,  quand  la  misère 
Soir  et  matin  régnait  chez  nous, 
Des  pleurs  versées  par  votre  mère 
En  vous  berçant  sur  ses  genoux. 

Ce  pauvre  lit  que  je  révère 
Comme  l'abeille  aime  les  fleurs, 
Ne  fùt-il  pas  l'ami  sincère 
Où  sommeillèrent  nos  douleurs. 

Et  ce  buffet  si  misérable, 
Il  me  rappelle  un  jour  sans  pain. 
Où  tristement,  à  cette  table, 
Yous  me  disiez  :  Père,  j'ai  faim  ! 

A  ces  heures  infortunées 
Ont  succédé  des  jours  meilleurs  ; 
L'enfant  grandit  et  les  années 
Ont  fait  de  vous  des  travailleurs. 

Yoilà  pourquoi,  j'ai  l'assurance 
Que  vos  meubles  seront  plus  beaux. 
Mais  les  amis  de  votre  enfance 
Les  vendrez-vous  pour  des  nouveaux  ? 


JOSEPH  ROUSSE 


LE    BOURG    NATAL 


L 


'abeille  se  souvient  de  sa  ruche  natale  ; 
L'hirondelle  à  son  nid  revient  chaque  printemps  ; 
Mon  âme,  allons  revoir  et  parcourir  les  champs 
Où  la  vie  eut  pour  nous  sa  beauté  matinale. 


J'aime  notre  vieux  bourg-  au  miUeu  des  blés  mûrs, 
Bornés  dans  le  lointain  par  la  mer  azurée  ; 
.J'aime  notre  maison  de  sa  treille  entourée, 
Avec  les  liserons  qui  grimpent  à  ses  murs. 

Voilà  cette  fenêtre  où,  les  soirs  de  novembre, 
J'entendais  les  pluviers  passer  dans  le  ciel  gris. 
Du  haut  de  ce  balcon,  quelquefois  j'ai  surpris 
L'aurore  souriant  aux  neig-es  de  décembre. 

Mon  père  s'asseyait  au  pied  de  ce  jasmin  ; 
Des  loriots  suspendaient  leurs  nids  dans  ce  grand  chêne  ; 
Mes  sœurs,  en  se  penchant  au  bord  de  la  fontaine, 
Agaçaient  les  échos  de  leur  rire  argentin. 


260        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Quand  on  cueillait  les  fruits,  je  me  souviens  encore 
De  la  senteur  des  coing"s  parfumant  le  grenier  ; 
Nos  jeunes  bras  pliaient  sous  le  poids  d'un  panier, 
Et  les  pommes  roulaient  dans  Fescalier  sonore. 

De  riants  souvenirs  remplissent  la  maison  : 
Voici  le  grand  foyer  et  ses  chenets  antiques  ; 
C'est  là  qu'on  nous  disait  des  récits  fantastiques, 
Devant  un  feu  de  lande,  au  chant  clair  du  grillon. 

Le  bourg  a  peu  changé,  mais  le  vieux  presbytère 
Est  tombé  sous  les  coups  du  stupide  marteau, 
Avec  son  beau  portique  ombragé  d'un  ormeau 
Et  qui  semblait  gardé  par  deux  anges  de  pierre. 

Dans  ce  chemin  je  vis  un  triomphe  brillant, 
Plus  de  cent  bœufs  ornés  de  tleurs  et  de  verdure, 
Traînant  un  char  couvert  d'une  riche  tenture. 
Qui  portait  un  évêque  au  regard  souriant. 

Cette  maison  moussue,  à  la  porte  ogivale. 
Est  celle  où,  dans  les  soirs  qui  précèdent  Noël, 
En  habits  de  théâtre  et  d'un  ton  solennel. 
Les  jeunes  paysans  jouaient  la  pastorale. 

Noël!  à  cette  nuit  je  songe  avec  bonheur! 

On  voyait  scintiller,  dans  la  campagne  sombre, 

Et  s'approcher  du  bourg  des  lanternes  sans  nombre. 

Quand  les  cloches  sonnaient  la  messe  du  Sauveur! 

L'église  est  toujours  pauvre,  et  ses  vieilles  toitures 
Tremblent  au  vent  de  mer  sur  des  murs  chancelants. 
J'ai  reconnu  les  saints,  le  Christ  aux  pieds  sanglants, 
Les  tableaux,  les  autels  aux  gothiques  sculptures. 


JOSEPH    ROUSSE.  261 


J'aurais  aiiiié  goûter  un  jour  le  vrai  repos 
Sous  Todorant  fenouil,  auprès  de  cette  église  : 
Mais  on  dit  que  les  morts  ont  corrompu  la  brise, 
Et  dans  un  champ  lointain  on  va  porter  leurs  os. 


LES   COUCHERS  DE  SOLEIL 

QUAND  j'ai  vu  le  soleil  se  coucher  sous  les  chênes, 
La  mer,  à  l'orient,  assombrir  ses  flots  bleus, 
Les  phares  s'allumer  dans  les  îles  lointaines. 
Je  regagne  mon  toit,  calme  et  presque  joyeux. 

C'est  une  goutte  d'eau  sur  ma  lèvre  brûlante. 
Un  éclair  de  plaisir  dans  mes  longues  douleurs. 
Car  celui  ([ui  n'a  rien  de  bien  peu  se  contente, 
Et  les  Heurs  du  désert  sont  les  plus  douces  tleurs. 

Je  souffre,  et  ma  tristesse  est  amère  et  profonde  ; 
Mais,  tant  d'autres  meilleurs  ont  soufiert  avant  moi. 
Qui,  courbés  sous  la  croix,  ont  traversé  le  monde. 
Sans  jamais,  ô  mou  Dieu,  vous  demander  pourquoi! 


LA   HULOTTE 

LA  hulotte  se  plaît  au  milieu  des  ruines. 
Sur  les  remparts  chargés  de  lierres  et  d'épines, 
Les  colombiers  déserts,  les  tours,  les  vieux  clochers. 
Elle  aime  au  bord  des  flots  les  antres  des  rochers, 
Les  chênes  dont  l'hiver  épargne  le  feuillage. 
Les  sapins  isolés  dans  la  lande  sauvage. 
Elle  chante  la  nuit,  et  ses  gémissements. 
Doux  pour  quelques  rêveurs,  attristent  les  passants. 


262        LK  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Ainsi  que  la  hulotte,  amante  des  ruines, 

Je  vais  cherchant  partout,  dans  les  plaines  voisines, 

Les  antiques  débris  et  les  vieux  souvenirs  ; 

Et,  quand  j'ai  cru  toucher  le  but  de  mes  désirs , 

Je  reviens  tout  joyeux,  rêvant  de  poésie. 

A  ce  qui  chante  en  moi  je  veux  donner  la  vie  ; 

Je  prends  mon  humble  luth,  mais  je  sais  que  mes  chants 

Ne  seront  écoutés  que  des  rêveurs  souffrants. 


A   UN  POÈTE  SCEPTIQUE 

,,N  fixant  mon  regard  sur  tes  vitres  glacées 
J  Qu'argentait  un  rayon,  je  songeais  à  tes  vers  : 
Ils  sont  comme  un  tissu  de  brillantes  pensées, 
Mais  j'aurais  bien  voulu  voir  le  ciel  au  travers. 

(Poésies  Bretonnes.) 


E 


JULES  ROUXEL 


SAINT-NAZAIRE 

ASSISE  sur  le  sable  et  sur  le  rocher  dur, 
0  toi  qu'on  voit  briller  le  long  du  promontoire 
Où  l'Océan  reçoit  les  baisers  de  la  Loire, 
Comme  une  perle  au  bout  d'un  long  ruban  d'azur  ! 

Dans  un  blason  jaloux,  toi  qui  dès  ton  enfance 
Mis  fièrement  la  clef  de  ce  fleuve  enchanté  : 
Maltresse  de  l'accès  de  son  cours  emporté 
Et  du  chemin  qui  mène  aux  Jardins  de  la  France  ! 

Dernier  enfantement  et  dernières  amours 

Du  vieux  monde  caduc  et  vingt  fois  centenaire, 

Toi  dont  la  puberté  réchauffe  et  régénère 

Ce  qui  reste  d'un  siècle  au  déclin  de  ses  jours  ! 


Toi,  quand  on  souriait  de  ses  ardeurs  stériles, 
Qui  vins  planter  tes  murs  devant  les  grandes  Eaux, 
Comme  pour  attester  les  Continents  nouveaux 
Qu'ils  ne  sont  pas  les  seuls  à  concevoir  des  Villes  ! 


264        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Pucelle  saiue  et  forte  aux  naissantes  beautés, 
Toi  qui  t'épanouis  et  qui  grandis  encore 
Quand  l'herbe  pousse  aux  flancs  des  antiques  cités, 
0  ma  Ville  !  je  veux  saluer  ton  aurore  ! 

Au  sommet  de  leur  poupe,  en  grosses  lettres  d'or. 
Déjà  les  longs-courriers  et  les  Transatlantiques 
Avaient  porté  ton  nom  sur  les  routes  nautiques 
Du  Levant  au  Couchant,  du  Midi  jusqu'au  Nord! 

Partout  où  l'Océan  fait  aboutir  son  onde 
Et  partout  où  se  dresse  un  rivage  habité, 
Des  milliers  de  marins  avaient  déjà  vanté 
Ton  port  tranquille  et  sûr  et  ta  rade  profonde. 

Et  les  Français  pourtant  ne  te  connaissaient  pas...  ! 
Et  le  pays  semblait,  malgré  ta  renommée, 
Te  traiter  en  fillette  ingrate  et  sans  appas, 
Certes  belle  déjà^  mais  à  peine  formée. 

Or  voilà  que  soudain  ton  prestige  a  forcé 
Tous  les  yeux  :  et  chacun  s'arrête  et  te  regarde, 
Telle  l'enfant  à  qui,  sans  qu'on  y  prenne  garde. 
Du  jour  au  lendemain  la  poitrine  a  poussé 

Et  voilà  qu'à  ton  tour  aujourd'hui  tu  tressailles 
Nubile  :  car  tu  viens,  pour  la  première  fois. 
De  convier  la  France  entière  à  des  tournois. 
Comme  si  tu  voulais  fêter  tes  Fiançailles...  ! 

Eh  bien  !  à  tous  ces  gens  pressés  au  rendez-vous 
Qu'en  tes  murs  trop  étroits  cette  fête  rassemble, 
A  tous  les  habitants  de  l'Univers,  à  tous, 
0  ma  ville,  je  veux  que  nous  criions  ensemble! 


JULES    ROUXEL.  265 


«  0  VOUS  que  la  fortune  a  déçus  ou  trahis, 

«  Quel  que  soit  votre  peuple  et  comment  qu'on  vous  nomme, 

«  Ouvriers  et  marchands,  bourgeois  de  tous  pays, 

«  Ici  vous  trouverez  le  bois  sacré  de  Rome  ! 

«  Et  vous  qui  proclamez  que  le  vieux  monde  est  mort, 
((  Vous  qui  ne  croyez  plus  à  sa  chaleur  féconde, 
«  Là-bas,  chez  les  Bretons,  aux  rivages  d'Armor, 
«  Accourez  voir  comment  une  ville  se  fonde!  » 


PHILIPPE  DE  SANVAL 

(AIMÉ   MOTTIN) 


AU  BORD  DE  VEAU 

IL  est  un  sentier  tout  blanc  d'aubépine, 
Près  de  l'eau,  le  long  des  coteaux  ombreux, 
Sur  un  vert  tapis  de  mousse  il  chemine, 
Un  petit  sentier  étroit  d'amoureux  ; 

Et  nous  y  venions  dès  que  le  sourire 
Du  printemps  mettait  des  nids  aux  buissons. 
Au  sein  des  roseaux  des  accords  de  lyre. 
Au  haut  des  gaulis  des  chants  de  pinsons. 

Et  nous  y  faisions  des  projets  sans  nombre, 

De  tendres  projets  qui  ne  lassent  pas, 

Et  sous  le  vieux  saule  aux  rameaux  pleins  d'ombre, 

La  main  dans  la  main  nous  causions  tout  bas. 

Hier  j'y  revenais  :  tout  me  semblait  morne, 
Le  vent  froid  dans  l'arbre  avait  des  sanglots, 
Un  pâtre  soufflait  au  loin  dans  sa  corne, 
Les  roseaux  courbés  pleuraient  sur  les  flots. 


PHILIPPE    DE    SANVAL.  267 

Et  pourtant  la  brise  était  aussi  douce, 
Les  oiseaux  avaient  les  mêmes  chansons, 
La  même  violette  embaumait  la  mousse, 
Les  nids  se  faisaient  aux  mêmes  buissons. 

Mais  j'étais  là  seul,  hier,  et  sans  elle  : 

En  vain  les  pinsons  gazouillaient  en  chœur. 

En  vain  la  forêt  tremblante  était  belle. 

La  plainte  et  le  froid  étaient  dans  mon  cœur. 


MATINÉE  DE  JUILLET 

ON  était  en  juillet,  les  moissons  étaient  mûres, 
Les  blés  courbaient  leur  front  sous  le  poids  des  épis, 
Et  parmi  les  ronciers  tout  empourprés  de  mûres 
Les  grillons  s'éveillaient  dans  leurs  trous  assoupis. 

Les  coqs  dorés  chantaient  dans  les  cours  des  villages, 
La  caille  rappelait  dans  l'avoine  gaiement, 
Les  cloches  des  bœufs  roux  épars  dans  les  herbages 
Jetaient  dans  le  ciel  clair  un  grêle  tintement. 

Le  grand  soleil  joyeux  souriait  dans  les  chênes, 
Mettait  des  diamants  aux  branches  des  buissons, 
La  brise  s'imprégnait  de  senteurs  de  verveines. 
Les  échos  répétaient  des  refrains  de  chansons. 

Et  par  un  doux  chemin  tapissé  d'églantine, 
Parmi  des  voix  d'oiseaux  et  des  parfums  de  fleurs, 
Un  cercueil  s'en  allait  à  l'église  voisine 
D'où  des  glas  un  à  un  tombaient  comme  des  pleurs. 


LEON  SECHE 


VERS  ÉCRITS  SUR   UN   EXEMPLAIRE 


D  EVANGELINE    DE    LON'OFELOW 


QUAND  011  est  petit  on  lit  pour  apprendre  ; 
Pour  se  souvenir  on  lit,  étant  vieux. 
La  vie  est  un  livre  écrit  pour  les  cieux 
Qu'on  relit  toujours  sans  y  rien  comprendre. 

Le  commencement  jessemble  à  la  fin, 
Comme  le  berceau  ressemble  à  la  tombe  ; 
Le  siècle  le  prend  au  siècle  qui  tombe 
Pour  le  repasser  au  siècle,  demain. 

Ainsi  va  le  monde  autour  de  ce  livre. 
Puisqu'il  faut  apprendre  avant  de  mourir, 
Lisons  doucement  pour  nous  souvenir, 
Car  le  souvenir  aide  riiomnie  à  vivre. 


Que  cliaque  feuillet  du  livre  éternel 
Nous  compte  des  jours  passés  à  bien  faire. 
Puisqu'il  faut  laisser  le  corps  à  la  terre, 
Que  rame  ait  les  yeux  ouverts  sur  le  ciel  ! 


LÉON    SÉCHÉ.  269 


MO  m  AU  CHAMP  DU  ON  N EUR 


C'était  un  chevalier,  si  Ton  donne  ce  nom 
A  riiomme  de  principe  et  de  haute  raison 
Qui  regarde  le  mal  en  face, 
Et  qui,  dans  les  combats ,  dùt-il  être  battu, 
A  l'intrigue,  au  mensonge  oppose  sa  vertu, 
Laissant  à  d'autres  la  cuirasse. 

Oui,  c'était  un  Breton  dans  la  force  du  mot. 
Droit  de  cœur  et  d'esprit,  il  portait  le  front  haut, 

De  fierté  n'en  ayant  aucune 
Que  la  fierté  permise  à  tout  homme  de  foi 
Qui  demeure  attaché  malgré  tout  à  son  roi 

Et  qui  le  suit  dans  sa  fortune. 

Qu'importaient  à  ce  preux  les  lâches  compromis 
Que  les  partis  passaient  avec  leurs  ennemis 

Pour  se  créer  un  ministère  ! 
Ses  actes,  sa  parole  allaient  au  même  but. 
La  loyauté^  voilà  quel  fut  son  attribut. 

Enfin  c'était  un  caractère. 

Caractère  héroïque  et  fortement  trempé, 

Que  rien  n'avait  séduit,  que  rien  n'avait  trompé. 

Politique  de  couleur  franche, 
Aimant  la  liberté  clans  ce  qu'elle  a  de  pur, 
Comme  un  fruit  que  l'on  doit  cueillir,  une  fois  mûr, 

A  l'arbre  et  sans  casser  la  branche. 


270        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Qu'il  dorme  donc  en  paix  le  chevalier  chrétien 
Qui  resta  jusqu'au  bout  le  plus  ferme  soutien 

Du  droit  légitime  qui  toml)e, 
Et  qui,  comme  Henri  cinq,  parlant  de  son  drapeau, 
Aurait  pu  dire  :  Il  a  flotté  sur  mon  berceau, 

Je  veux  qu'il  ombrage  ma  tombe. 


AMOUR  ET  PATRIE 

A  M.  André  Theuriet. 

SI  j'avais  un  blason,  ce  serait  ma  devise. 
Je  prendrais  un  écu  sablé  d'or  et  d'argent 
Sur  lequel  on  verrait  courir  en  s'allongeant, 
Avec  un  collier  rouge,  une  levrette  grise. 

Soldat,  j'aurais  gravé  ces  mots  sans  vantardise 
Sur  la  lame  d'acier  de  mon  sabre  luisant, 
Afin  que  l'ennemi  qui  dans  ma  main  l'eût  prise 
Connût  pour  quel  amour  j'avais  donné  mon  sang. 

Mais  je  n'ai  point  été  gâté  par  la  nature  : 
J'ai  pour  tout  écusson  mes  lettres  de  roture  ; 
Ma  plume  jusqu'ici  fut  mon  sabre  d'honneur. 

Ce  qui  n'empêche  pas  qu'au  bout  de  ma  carrière, 

Je  veux  que  ces  deux  mots  soient  écrits  sur  ma  pierre, 

Comme  durant  ma  vie  ils  l'étaient  dans  mon  cœur  ! 


CHARLES  SINOIR 


/iV  CQBZO  ET  IN  TERRA 

A  Mlle  A.  Souvestre. 

ON  dit  que  dans  le  ciel  c'est  le  bonheur  suprême, 
Et  que  les  chérubins  prosternés  à  genoux, 
Adorant  le  vrai  Dieu,  sont  plus  heureux  que  nous! 
Moi,  je  ne  le  crois  plus  depuis  que  je  vous  aime. 

Depuis  que  dans  vos  yeux  si  tendres  et  si  doux 
J'ai  lu  de  votre  cœur  le  très  touchant  poème, 
Depuis  que,  mon  amour,  tremblant  d'un  trouble  extrême, 
Attendant  un  aveu,  je  l'ai  reçu  de  vous. 

Pourquoi  donc  envier  la  céleste  patrie  ? 
Ici-bas,  cher  trésor,  vous  serez  tant  chérie 
Que  vous  ne  voudrez  pas  d'autre  félicité. 

Pourtant,  de  notre  monde  où  tout  est  éphémère, 

Quand  nous  serons  partis,  toute  une  éternité 

Je  veux  que,  dans  les  cieux,  vous  regrettiez  la  terre! 


272        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


SONNET-PREFACE 


AUX  EGLANTINES  ET  BLUETS 


A  M.  François  Coppée. 


COMPTANT  sur  votre  bon  accueil, 
C'est  peut-être  un  peu  téméraire, 
0  poète,  je  viens  vous  faire 
Juge  de  ce  petit  recueil. 

Je  crains  la  critique  sévère 
Et  passe  en  tremblant  votre  seuil; 
Mais  j'aurais  bien  un  peu  d'orgueil 
Si  tous  ces  riens  pouvaient  vous  plaire, 

Daig"nez-vous  approuver  mes  vers? 
Ma  muse,  qui  craint  ses  travers, 
N'en  sera  plus  préoccupée  ; 

Et  pour  fermer  la  bouche  aux  sots. 
Elle  ose  espérer  quelques  mots 
De  la  main  de  François  Coppée. 


SONNET  A  MES  LECTRICES 

CHÈRE  lectrice,  c'est  à  vous 
Que  j'offre,  avec  un  peu  d'audace, 
Ce  dernier  sonnet  que  je  place 
Timidement  à  vos  genoux. 


CHARLES    SINOIR.  273 


Acceptez-vous  ma  dédicace? 
Dites  oui,  du  ton  le  plus  doux. 
Oh!  n'ayez  pas  l'air  en  courroux, 
Je  vous  vois  rire  dans  la  glace. 

Chacun  a  ses  petits  travers  ; 
Moi,  je  souhaite  que  ces  vers 
Vous  rendent  un  peu  mon  amie... 

Si  je  l'apprenais  dans  vos  yeux, 
Mon  livre  ne  vaudrait  pas  mieux, 
Couronné  par  l'Académie. 


LE  RELIQUAIRE 

C'est  un  gentil  coffret  doublé  de  satin  rose, 
Où  gisent,  Lien  classés,  cinquante  objets  divers  : 
Des  portraits  de  tout  genre  et  des  billets  en  vers, 
Des  dessins  inédits  et  des  lettres  en  prose. 

Sur  tous  ces  riens  si  chers  l'œil  aime  à  revenir; 
Et  lorsque  tout  s'endort,  toutes  portes  bien  closes, 
Comme  avec  un  ami,  des  plus  futiles  choses 
Longuement  avec  eux  on  vient  s'entretenir. 

Car  ils  vous  parlent  tous  le  plus  tendre  langage; 
Et  comme  on  leur  sourit  à  ces  chers  messagers  ! 
Puis,  le  sommeil  venu,  dans  ses  rêves  légers. 
Des  meilleurs  souvenirs  ils  font  vivre  l'image. 

Charmant  petit  coffret,  loin  du  monde  moqueur 
On  te  caclie  avec  soin...  tel  un  saint  reliquaire! 
Moi,  j'ai  le  mien  aussi,  qui  veut  même  mystère  : 
Il  n'est  plein  que  de  vous,  et  s'ouvre  dans  mon  cœur! 

18 


iiw.Hwiwni<iiiiiiifiiim'miniiir"'"'"'"'"iBgE!gBBai'™aiBag^^ 


■gpMBBBgiail^MaiMMBWMKBIlMIiiiMeaiiaiiaillIMLIIlglIIIBgliBBS!^^ 


ROBERT  SURCOUF 


5f/i?  L^  MOItT  D'UN  MARIN 

JE  ne  crains  pas  la  mort  ;  la  mort  peut  être  donce 
Quand  on  meurt  au  pays,  quand  un  tombeau  de  mousse, 
Arrosé  par  les  pleurs  de  ceux  que  nous  aimons. 
Couvre  notre  dépouille,  ou  lorsque  nous  voyons 
Tous  nos  amis  présents  à  notre  heure  dernière. 
Nous  emportons  alors  avec  nous  leur  prière, 
Et  nous  la  déposons  aux  pieds  de  TEternel  ; 
Puis  nous  les  attendons  au  séjour  immortel. 
Mais  pour  le  malheureux  que  menace  l'orage 
La  mort  est  bien  affreuse,  et,  malgré  son  courage, 
Quand  le  sombre  reflet  des  sinistres  éclairs 
Montre  à  ses  yeux,  béants,  les  abimes  des  mers; 
Quand  il  se  voit  perdu,  quand  son  pauvre  navire, 
Ecrasé  par  la  foudre,  éclate  et  se  déchire, 
Il  cherche  autour  de  lui.  La  mort  seule  apparaît! 
Il  pense  en  frémissant  à  ceux  qu'il  adorait... 
Il  était  le  soutien,  l'espoir  de  sa  famille  ; 
Sans  lui  que  deviendront  et  sa  femme  et  sa  fille  ! 
Et  de  sa  vieille  mère,  ô  sombre  et  triste  sort! 
Qui  fermera  les  yeux  à  l'heure  de  la  mort?... 
Il  est  seul ,  il  périt  ;  pas  une  main  amie 
N'arrachera  son  corps  à  la  vague  en  furie. 
Il  meurt,  et  loin  des  siens,  sans  amis,  sans  un  seul, 
La  mer  lui  servira  de  tombe  et  de  linceul. 


SYLYANE 

(MADAME  FERDINAND  LE  BORGNE) 


A  L'ABANDON 


LE  vieux  manoir  breton,  par  caprice,  est  resté 
Hermétiquement  clos  et  muet  tout  Tété. 
Lui,  si  resplendissant,  il  a  ces  airs  moroses 
Qui  trahissent,  parfois,  la  tristesse  des  choses. 

Du  parc  silencieux  les  ondulants  couverts 

Penchent  leur  ombre  en  deuil  autour  des  ronds-points  verts. 

Le  troupeau  de  la  ferme  a,  dans  les  avenues, 

Repris  droit  de  pâture,  et  des  têtes  cornues, 

Sans  respect  pour  autrui,  dévastent  les  buissons 

Où  le  merle  sifflait  ses  dernières  chansons. 

L'herbe  envahit  le  sable  en  ces  blanches  allées 

Que  l'automne  remplit  de  feuilles  envolées  ; 

Au  milieu  de  l'étang"  s'abattent  les  roseaux  ; 

Un  lit  de  nénuphars  s'est  formé  sur  les  eaux  ; 

Les  ponts  sont  effondrés  :  dans  cette  solitude 

Règ-ne  de  l'abandon  la  morne  quiétude. 


276        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Cependant  les  rosiers  qui  voilent  la  maison 

Ont  donné,  depuis  juin,  des  bouquets  à  foison. 

Pour  qui  donc  leurs  parfums  ?...  Quelques  rudes  rafales 

Demain  vont  lacérer  ces  languissants  pétales 

Et  ces  branchages  verts  qui,  flottant  librement, 

Cachent  le  vieux  logis  sous  nn  masque  charmant. 

Lorsque,  dans  les  massifs,  nouvellement  écloses, 
Sur  ce  maussade  seuil  fleurissaient  tant  de  roses, 
Le  souple  chèvrefeuille,  enroulant  ses  anneaux, 
Suspendait  alentour  d'aériens  berceaux  ; 
Les  papillons  légers  y  revenaient  sans  cesse, 
Et  la  brise  effleurait,  d'une  folle  caresse. 
Cette  fraîche  oasis,  ce  toit  mystérieux 
Que  le  soleil  baignait  de  ses  rayons  joyeux. 
De  cette  maison  close  où  donc  était  le  maître  ?... 
Durant  les  jours  d'été  nul  ne  le  vit  paraître... 

Combien  d'âmes,  rêvant  d'elles-mêmes  le  don, 
Le  monde  ainsi  dédaigne  et  livre  à  l'abandon  !.. 
Sur  elles,  un  moment,  la  jeunesse  rayonne  ; 
Le  printemps  de  ses  fleurs  fièrement  les  couronne  : 
Oh  !  que  d'êtres  charmants,  de  tristesse  voilés, 
Sans  que  le  bonheur  vint  se  sont  étiolés  ! 


NUIT  D'ORAGE 

L'homme  s'est  endormi,  l'ombre  sent  le  mystère  ; 
Les  voiles  de  la  nuit,  où  percent  des  points  d'or. 
Semblent  des  crêpes  nou^s  suspendus  sur  la  terre. 
D'éclairs  éblouissants  la  lueur  éphémère 
Enflamme  l'horizon  :  fantastique  décor  ! 


SYLVANE.  277 

Sans  un  souffle  dans  l'air  le  feuillage  frissonne 
Et  toute  la  nature  inquiète  pressent 
L'orage  qui^  palpite  en  ce  ciel  menaçant  ; 
Déjà,  clans  les  vallons  ou  sur  la  mer  il  tonne  : 
Un  terrible  équinoxe  enfantera  l'automne  ! 
Des  roulements  puissants  se  heurtent  dans  la  nuit 
Et,  de  sillons  croisés  se  traçant  une  voie, 
Le  feu  du  ciel  rayonne,  illumine,  foudroie!... 

Que  pense  l'homme  ainsi  tiré  de  son  repos?... 

Ces  bouleversements  dans  la  nuit  flamboyante , 

Ces  fracas  d'éléments  :  les  vents,  le  feu,  les  flots. 

Ne  remplissent-ils  pas  son  âme  d'épouvante  ? 

Là,  verra-t-il  toujours  les  efl'ets  du  hasard  ; 

Ou  terrassé,  confus,  tremble-t-il  à  l'écart  ! 

Oui,  ses  yeux  dessillés  retrouvent  la  lumière 

Qui  jusqu'à  lui  ramène  un  souvenir  béni; 

Et  sa  lèvre  pâlie  essaie  une  prière 

Quand  son  être  éperdu  plonge  dans  l'hifîni  : 

«  Me  voici  devant  vous  comme  la  feuille  morte 

Que  l'ouragan  détache  et  vers  l'abime  emporte .  .  . 

Mais  il  ne  tombera  pas  uu  de  mes  cheveux 

Que  —  vous  l'avez  promis  !  —  vous  n'ayez  dit  :  Je  veux.  )> 

La  tourmente  s'apaise  ;  une  indécise  aurore 

Vient  annoncer  le  jour  et  de  rose  colore. 

Ainsi  que  l'espérance,  au  loin  ,  les  sommets  clairs. 

Sur  l'azur  languissant  pend  encore  un  nuage 

Frangé  de  lambeaux  gris  lacérés  avec  rage  ; 

Des  oiseaux  rassurés  s'appellent  par  les  airs. 

Sur  les  bois  de  sapins  passe  un  parfum  de  sève  ; 

S'il  est  troublé  là-bas,  ici  le  ciel  est  ])leu  ; 

L'homme  s'est  rendormi,  quand  tout  s'éveille...  il  révo 

Qu'un  moment,  dans  la  foudre,  il  a  vu  passer  Dieu  ! 


LOUIS  TIERCELIN 


SUR  LA    GREVE  DU  ME  NE  CE J 

Au  Maître,  à  Lecoiite  de  Lisle. 

TRISTESSE  de  la  mer  que  suit,  au  loin,  mon  rêve! 
Tristesse  du  ciel  rouge  aux  pâles  teintes  d'or; 
Tristesse  des  flots  bleus  qui  chantent  sur  la  grève... 

Volupté  de  la  ?s^iit  dont  le  cahne  m'endort  ! 

Tristesse  de  l'amour  qui  rit  au  cœur  des  hommes  ; 

Tristesse  des  espoirs,  tristesse  des  aveux! 

Tristesse  du  bonheur  de  ce  monde  où  nous  sommes... 

Volupté  de  l'Oubli  par  qui  je  suis  heureux  ! 

Tristesse  des  splendeurs,  des  gloires  et  des  flammes; 
Tristesse  des  esprits  sous  le  mystère  épais  ; 
Tristesse  de  la  folle  illusion  des  âmes... 


Volupté  de  la  Mort  qui  donnera  la  paix  ! 


LOUIS    TIERCELIN.  279 


LES  TROIS  PRIERES 

EN  LA  CATHÉDRALE  DE  QUIMPER.  * 

A  M.  E.  Renan, 
après  une  lecture  de  «  La  double  Prière.  » 

OUI,  lorsque  la  nuit  vient,  quand  l'ombre  sépulcrale, 
Lentement,  doucement,  emplit  la  Cathédrale, 
Et  lorsque,  le  long-  des  piliers^ 
Les  dernières  clartés  glissent,  se  suivant  toutes 

Avec  des  rythmes  réguliers 
Et  semblent  s'attacher  aux  nervures  des  voûtes  ; 

Lorsque,  s'affaiblissant  vers  les  murs  latéraux, 
Sur  la  pourpre,  sur  l'or  et  l'azur  des  vitraux 

Le  jour  mourant  se  cristallise. 
Et,  prêt  à  disparaître  en  un  rayonnement, 

Dans  les  verrières  de  l'église. 
Allume  la  splendeur  de  son  dernier  moment  ; 

Lorsque,  la  nuit  venue,  au  fond  de  la  nef  sombre. 
On  voit  briller,  lueurs  mystiques  de  cette  ombre. 

Les  lampes,  ces  étoiles  d'or. 
Parmi  la  solitude  et  parmi  le  silence, 

S'élevant  d'un  plus  libre  essor, 
De  notre  cœur  vers  Dieu  la  prière  s'élance. 

0  maitre,  allons  prier  !  A  ce  déclin  du  soir. 

Il  est  doux  de  marcher  ensemble  et  de  s'asseoir  " 

Dans  cette  abside  solitaire 
Et  de  s'abandonner  aux  troubles  renaissants 

Qu'éveille  le  divin  mystère, 
Au  milieu  du  parfum  des  fleurs  et  de  l'encens. 


280        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


*  * 


Le  Philosophe  pense  à  l'Avenir.  Il  sonde 
Les  prohlèmes  troulîlants  de  notre  humanité; 
11  rend  hommage  à  la  Puissance,  à  la  Bonté 
Du  Créateur  vivant  dans  la  gloire  du  Monde. 

Sous  le  tressaillement  des  seins  et  des  cerveaux, 
Il  constate  le  Dieu  présent,  dont  il  honore, 
Dans  l'Homme  et  l'Univers,  l'Qiluvre  incomplète  encore 
Mais  qui  doit  se  parfaire  en  des  efforts  nouveaux. 

Il  s'offre  pour  aider  l'Action  Inlinie, 
Ouvrant  à  l'Avenir  l'espoir  des  jours  meilleurs, 
Car  la  force  du  Maître  est  dans  les  travailleurs 
Dont  les  hras  aideront  l'acte  de  son  génie. 

Soyons  des  instruments  dociles  dans  sa  main. 
Dure  est  souvent  la  tâche  et  longues  sont  les  fièvres  ; 
Le  murmure  jamais  ne  souillera  les  lèvres 
Du  pieux  ouvrier  des  honheurs  de  Demain. 

Nous  acceptons  sur  nous  qu'un  poids  s'appesantisse 
Plus  lourd,  et,  résignés  aux  injustes  fardeaux, 
C'est  volontairement  que  nous  courhons  le  dos  : 
Il  faut  du  temps  à  Dieu  pour  faire  la  Justice! 

Cependant  nous  voulons  la  Joie  et  la  Beauté 
Et  le  Plaisir  permis  dans  le  culte  des  Charmes, 
Mais  soumis  au  Devoir,  à  la  Souffrance,  aux  Larmes, 
Nous  aimons  la  Douleur,  cette  autre  Volupté. 


LOUIS    TIERCELIN.  281 


Et,  l'œuvre  humaine  ainsi  vaillamment  poursuivie, 
Fiers  d'avoir  aidé  Dieu  dans  le  progrès  du  Bien, 
Sans  lui  rien  demander,  sans  même  espérer  rien, 
Nous  attendons  la  Mort,  ce  repos  de  la  Vie. 


* 


Le  Poète,  lui,  rêve  au  passé  radieux  : 
Du  rivag-e  des  mers  à  la  longue  montagne, 
Devant  elle  chassant  toujours  les  anciens  Dieux, 
La  croix  du  Bon  Sauveur  a  conquis  la  Bretagne. 

Enfermés  dans  la  hutte  à  l'abri  des  grands  bois, 
Voici  qu'ont  pullulé  les  pieux  solitaires, 
Et,  leur  payant  le  prix  des  âmes  aux  abois. 
Ducs  et  seigneurs  soumis  fondent  des  monastères. 

Ils  montent  vers  le  ciel  les  fins  granits  bretons, 
Suspendus  aux  portails  en  riches  broderies, 
Et  les  clochers  à  jour,  juste  orgueil  des  cantons, 
Dans  la  paix  des  couchants  mêlent  leurs  sonneries. 

Les  EgHses  partout  s'élèvent.  On  entend, 

Des  rochers  de  la  Manche  aux  sables  de  la  Loire, 

Vibrer  les  unissons  du  cantique  éclatant 

Qui  chante  le  saint  nom  de  Jésus  et  sa  gloire. 

0  dogme  merveilleux  !  tes  multiples  accents 
Ont  séduit  mon  oreille  et  mon  cœur  de  poète, 
Et,  sous  l'obsession  mystique  de  mes  sens. 
Mon  esprit  est  docile  et  ma  raison  muette. 


282        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


J'aime  comme  un  enfant  tes  saints  et  tes  martyrs, 
Grandis  dans  les  mépris  du  monde  et  ses  insultes  : 
Pour  leurs  virginités  ou  pour  leurs  repentirs, 
Tu  n'as  pas  deux  autels  et  tu  n'as  pas  deux  cultes. 

Tes  prêtres  cliapés  d'or,  de  soie  et  de  velours. 

Je  les  aime,  en  l'éclat  de  tes  cérémonies. 

Lorsque,  dans  la  raideur  de  leurs  ornements  lourds, 

Ils  bénissent  la  foule  au  chant  des  Litanies. 

Et  je  tombe  à  genoux  sous  l'encens  et  les  fleurs. 
Aux  fanfares  de  l'orgue,  à  la  lueur  des  cierges  ; 
Mon  cœur  a  des  sursauts  et  mes  yeux  ont  des  pleurs  : 
Il  est  mon  Dieu,  le  Dieu  des  martyrs  et  des  Vierges  ! 

Il  est  mon  Dieu,  le  Dieu  dont  l'extatique  émoi 
Abreuva  d'idéal  ma  soif  inassouvie. 
Le  Dieu  qui  dans  ma  vie  humaine  vit  en  moi. 
En  qui  je  revivrai  pour  l'Eternelle  Yie  ! 


Maître,  est-ce  là  prier!  Est-ce  ainsi  que  l'on  prie? 
Oui,  c'est  votre  pensée  et  c'est  ma  rêverie  ; 

Le  Seigneur  les  bénira-t-il  ! 
Ce  regard  en  avant,  ce  regard  en  arrière. 

Quelque  Credo  vague  ou  subtil, 
Est-ce  tout?  Est-ce  assez?  Est-ce  bien  la  prière? 

Cette  prière  unique  et  la  même  en  tout  lieu, 
Cette  prière  ardente  et  douloureuse  et  brève. 
Qui  n'a  pas  de  système  et  qui  n'est  pas  un  rêve, 
Qui  monte  comme  un  cri  de  notre  Ame  vers  Dieu  ! 


LOUIS    TIERCELIN.  283 


O  prière  naïve  et  toujours  exaucée, 
Heureux  qui  sait  te  dire  avec  simplicité  ! 
Il  en  est,  et  j'en  garde  au  fond  de  ma  pensée 
Un  exemple  touchant  qu'un  prêtre  m'a  conté. 


* 


Devers  Tan  treize  cent  dix,  et  près  de  la  ville 
De  Lesneven,  naquit,  fils  de  race  servile, 
Un  pauvre  être,  voué  d'avance  à  tous  les  maux, 
Qu'on  nomma  Salaûn  sur  les  fonts  baptismaux. 

Cet  enfant  souffreteux,  rebut  de  la  nature, 
Etait  laid  ;  son  esprit  avait  peu  d'ouverture^ 
Si  peu  qu'en  la  maison  d'école  où  l'avaient  pris 
Les  moines,  Salaiin  avait  à  peine  appris 
A  parler,  ne  semblant  rien  voir  ni  rien  entendre. 
Son  regard  était  triste  et  son  sourire  tendre, 
Mais  de  cette  tristesse  et  de  cette  douceur 
Des  idiots,  vivant  dans  un  rêve  obsesseur. 
Du  moins,  son  rêve  était  de  très  pieuse  espèce, 
Car,  dans  le  bégaiement  de  cette  langue  épaisse, 
Au  doux  clignotement  de  ces  yeux  insensés. 
On  distinguait  deux  mots  à  peine  prononcés. 
Les  seuls  qu'il  dit  :  Ave  Maria!  Sa  science 
Se  bornait  là  ;  c'était,  dans  cette  conscience. 
Le  seul  éclair  qui  put  indiquer  la  raison. 

Ses  parents  étant  morts,  il  quitta  leur  maison, 
Et,  comme  il  ne  savait  aucun  métier  pour  vivre, 
Il  allait  mendier  son  pain,  dit  un  vieux  livre. 
Et  marchait  chaque  jour  par  le  même  chemin. 
De  Lesneven  à  Guic-Elleau,  tendant  la  main, 
Pieds  nus  et  mal  couvert  d'un  lambeau  de  futaine. 


284        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


Il  avait  pris  asile,  au  bord  d'une  fontaine, 

Dans  un  bois  et  dormait  sur  le  sol,  à  Fabri 

D'un  vieux  cliêne  aux  rameaux  noueux,  au  tronc  pourri. 

Chaque  jour,  quelque  temps  qu'il  fit,  en  grand  liesse, 

Il  venait  à  l'Eglise,  ouïr  la  sainte  messe, 

Accroupi,  dans  un  coin^  le  pauvre  paria, 

Tout  seul  et  bégayant  ses  Ave  Maria. 

Et,  lorsqu'il  en  avait  dit  des  mille  et  des  mille, 

Il  allait  demander  l'aumône  par  la  ville, 

Pour  revenir  bien  vite  au  bois  de  Guic-Elleau. 

Quand  il  faisait  grand  froid,  il  se  jetait  dans  l'eau 

Et  restait  très  longtemps,  baigné  jusqu'aux  aisselles, 

Grelottant.  Tout  à  coup,  comme  s'il  eût  des  ailes. 

Il  sautait  dans  le  chêne,  où,  tantôt  chevauchant 

L'arbre  et  tantôt  pendu  par  les  mains,  au  doux  chant 

De  VAve  Mai'ia  souriant  sur  ses  lèvres, 

Il  demeurait  des  jours  entiers',  tremblant  les  fièvres 

Et  regardant  en  l'air,  toujours,  sans  savoir  où... 

Les  gens  qui  le  voyaient  l'avaient  nommé  Le  Fou  ! 

Un  matin,  des  soldats  de  Blois,  battant  l'estrade. 

L'arrêtèrent  :  u  Holà,  dis-nous,  mon  camarade, 

Qui  donc  es-tu?  Breton,  Français,  Blois  ou  Montfort?  » 

Et,  le  tenant  toujours,  ils  le  houspillaient  fort, 

Etonnés  qu'il  g-ardàt  cet  obstiné  silence  ; 

Quand,  soudain,  menacé  par  le  fer  d'une  lance, 

Le  fou  joignit  les  mains  lentement  et  pria. 

Et  c'était  si  touchant,  cet  Ave  Maria 

Psalmodié  devant  cette  troupe  en  furie  ! 

«  C'est  quelque  serviteur  de  madame  Marie, 

Dit  le  chef,  et  qui  n'est  ni  pour  ni  contre  nous  ; 

Laissons-le.  »  Salaun^  mains  jointes,  à  genoux. 

D'une  si  douce  voix  récitait  sa  prière 

Que  tous,  en  s'en  allant,  regardaient  en  arrière 

Son  front  qui  leur  semblait  rayonnant  et  ses  yeux 

Dont  le  regard  avait  comme  un  reflet  des  cieux... 


LOUIS    TIERCELIN.  285 

Et,  sans  avoir  connu  ni  l'amour  ni  la  haine, 

Le  fou  vivait  depuis  longtemps,  au  pied  du  chêne, 

N'ayant  parlé  que  pour  prier,  quand,  une  nuit 

De  l'an  de  grâce  mil  trois  cent  cinquante-huit, 

Repoussant  les  hons  soins  des  femmes  du  village 

Qui  voulaient  Temmener  dans  leur  maison,  vers  l'âge 

De  cinquante  ans,  le  pauvre  agonisant  cria 

Pour  la  dernière  fois  un  Ave  Maria, 

Les  seuls  mots  qu'il  eût  dits  pendant  sa  vie  entière, 

Et  mourut... 

On  creusa  sa  fosse  au  cimetière 
De  Guic-Elleau. 

Les  jours  passèrent  et  les  jours  : 
On  avait  oublié  Salaiin  pour  toujours 
Et  nul  ne  parlait  plus  de  lui  dans  la  contrée, 
Lorsque,  par  un  miracle  éclatant,  fut  montrée 
La  gloire  dont  Marie  et  son  fils  Tout-Puissant 
Voulaient  qu'on  illustrât  Salaûn  l'Innocent. 
Sur  la  tombe  du  fou  délaissée,  ô  prodige  ! 
Fleurit  un  lys  si  blanc,  dressant  sa  haute  tige, 
D'une  si  douce  odeur  et  d'un  si  vif  éclat. 
Qu'il  n'était  pas  un  bon  chrétien  qui  ne  parlât 
De  cet  événement,  très  loin,  dans  les  domaines. 
Ce  lys  miraculeux  vécut  là  six  semaines, 
Et  chacun  put  le  voir  et  constater  encor 
Sur  ses  feuilles,  tracés  en  caractères  d'or, 
Ces  mots  bénis  :  Ave  Maria!...  La  nouvelle 
Du  miracle,  car  c'est  ainsi  cj[ue  Dieu  révèle 
La  sainteté  de  ceux  qu'il  choisit,  rassembla 
Un  grand  concours  de  peuple  ;  et  les  gens  venus  là, 
Des  gens  de  tout  état  et  de  toute  paroisse. 
Afin  que  le  renom  du  bienheureux  s'accroisse 
Et  pour  perpétuer  un  miracle  si  beau, 
Pensèrent  qu'on  devait  honorer  d'un  tombeau 
L'humble  corps  que  le  ciel  marquait  par  de  tels  signes. 


286         LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


On  choisit  donc,  parmi  les  hommes  les  plus  dignes, 
De  pieux  travailleurs  pour  creuser  tout  autour 
Du  beau  lys,  et  chacun  fit  son  œuvre  à  son  tour. 
Et  quand  la  fosse  fut  entièrement  creusée, 
Quand  la  tète  apparut,  souriante  et  rosée. 
Plus  belle  qu'autrefois,  alors  ce  fut  un  cri  : 

Sur  les  lèvres  du  Saint  le  lys  avait  fleuri  ! 


0  maître,  allons  prier  !  Salaïm  nous  appelle  ! 
Là,  derrière  le  chœur,  je  sais  une  chapelle 

Dont  l'asile  s'ouvre  pour  nous  : 
J'y  veux  dire  avec  vous  la  prière  bretonne, 

Celle  qu'on  récite  à  genoux, 
Mains  jointes,  d'une  voix  très  lente  et  monotone. 

0  maitre,  allons  prier!  Elle  est  très  douce  au  cœur, 
Notre  vieille  prière  1  Et  quel  accent  vainqueur, 

Et  quelles  grâces  souveraines  ! 
Quel  espoir,  quelle  force  on  puise  dans  ces  mots 

Où  nos  mères  et  nos  marraines 
Ont  enfermé  pour  nous  le  baume  à  tous  les  maux. 

0  maitre,  allons  prier!  La  prière  si  tendre 
A  nos  lèvres  d'enfant,  souhaitons  de  l'entendre 

Réciter  encore  à  nos  fds  ; 
Et  les  mâles  efforts  et  les  saines  pensées, 

Pareils  à  des  moissons  de  lys, 
Viendront  fleurir  aussi  leurs  Ames  exaucées  ! 


LOUIS    TIERCELIN.  28" 


AU  PAYS  DU  REVE 

A  mon  cher  maître,  J.-M.  de  Heredia. 

JE  rêve  rinconnii  !  J'ai  soif  de  l'Impossible  ! 
Et,  vers  un  But  très  haut,  mes  désirs  anxieux 
Voient,  comme  une  flèche  ardente,  ayant  pour  cible 
La  Fleur  de  la  Montagne  ou  l'Etoile  des  Cieux. 

Je  voudrais  les  pouvoir  saisir,  tous  ces  Mensonges 
Qui  dressent  devant  moi  ton  mirage  alléchant, 
0  Terre  Sidérale,  où  vivent  dans  mes  songes 
La  Couleur  et  la  Forme  et  le  Rythme  et  le  Chant. 

Par  tes  vallons,  et  par  tes  bois,  et  par  tes  plaines, 
J'irais,  Pays  du  Rêve,  aspirer  lentement 
Les  arômes  subtils  dont  les  molles  haleines 
Autour  de  moi  feraient  comme  un  enlacement. 

Sur  tes  monts  les  plus  hauts,  au  choc  des  avalanches. 
Je  heurterais  l'orgueil  de  mon  front  indompté  ; 
Je  chercherais,  parmi  tes  neiges  les  plus  blanches, 
Un  voile  radieux  à  ma  Virginité. 

Dans  les  fauves  rayons  du  soleil  qui  la  dore, 
Je  plongerais  ma  chevelure  aux  flots  soyeux  ; 
Sur  ma  joue  étendant  les  roseurs  de  l'aurore  , 
Je  mettrais  tout  Tazur  de  la  nuit  dans  mes  yeux. 

J'écraserais  des  fleurs  de  pourpre  sur  mes  lèvres  ; 
Dans  la  mer  je  prendrais  des  perles  pour  mes  dents, 
Et  la  Lune  qui  tient  ma  pensée  en  ses  fièvres, 
Froide,  frissonnerait  sur  mes  membres  ardents. 


288        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Et  dans  riieureiix  oubli  des  Anciens  Jours  moroses, 
Eu  proie  à  cette  ivresse  aux  magiques  accords, 
Sur  un  lit  constellé  d'edelweiss  et  de  roses , 
J'étendrais  la  blancheur  sereine  de  mon  corps. 

J'écouterais  monter  les  pures  Harmonies 
Où  le  Silence  et  l'Ombre  ont  uni  leurs  élans  ; 
Et  la  Voix  qui  se  plaît  aux  langueurs  infinies 
Bercerait  mon  extase  en  des  cantiques  lents. 

Et  je  regarderais  la  pâle  Silhouette 
Longuement,  longuement  encor  et  longuement, 
Et  j'entendrais  monter  les  doux  vers  du  Poète 
Que  la  Voix  douce  pleure  avec  enchantement, 

Les  heures,  autrefois  lentes,  me  seraient  lîrèves. 
Et,  sans  regrets,  sentant  mon  Etre  se  briser, 
Je  mourrais  du  bonheur  d'avoir  vécu  mes  Rêves, 
En  bégayant  Son  nom  dans  un  vague  baiser. 


LES  ROSES  EFFEUILLEES 

A  mon  ami  Henri  Dronioii. 

ON  ne  ramasse  pas  les  roses  effeuillées  ! 
Qu'importe  si  le  pied  stupide  d'un  manant 
Les  foule,  ou  si  le  vent  les  chasse  maintenant! 
Ayant  touché  le  sol,  les  roses  sont  souillées. 

Souvent,  oh  !  trop  souvent,  mes  regards  effrayés 
Ont  vu  tomber  la  fleur  divine  de  mes  rêves  ; 
Mais  si  j'ai  pu  pleurer  mes  illusions  brèves. 
Je  ne  ramasse  pas  mes  rêves  effeuillés! 


YVES  DE  TREBRESSAN 

(VICOMTE    XAVIER    DE     BELLEVUE) 


BÊVES  DU  PASSE 


RÊVES  des  temps  passés,  souvenirs  de  reiifance, 
Vers  vous  le  cœur  au  milieu  du  silence 
Revient  souvent... 
Vers  vous,  jours  enchantés,  aube  trop  tôt  ravie. 
Premières  fleurs  de  notre  vie 
Qui  s'efTeuillent  au  premier  vent... 

On  entend  sous  les  bois  comme  un  frisson  qui  passe. 
Dans  les  brandies  ce  sont  des  appels  à  voix  basse 

Me  reconnais-tu?...  Regarde  :  c'est  moi, 
Ta  dixième,  onzième,  ou  quinzième  année. 
Je  reviens  à  toi  de  fleurs  couronnée  : 
Me  reconnais-tu?...  Tu  pleures!...  Pourquoi?... 

Pourquoi,  quand  je  passe  et  que  je  t'appelle, 
En  pleurant,  de  moi  détourner  les  yeux  ? 
x\utrefois  pourtant  je  te  semblais  belle 
Lorsque  le  printemps  brillait  dans  les cieux... 
Oh!  Pourquoi  de  moi  détourner  les  yeux?... 

19 


290        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

C'est  qu'à  ton  cœur  vieilli,  de  bien  loin  je  rappelle 
Les  bonheurs  du  passé,  tous  les  élans  pieux 
De  tes  dix  ans,  de  tes  quinze  ans,  les  espérances, 
Les  songes,  les  désirs.  Ce  qu'alors  tu  rêvais, 
Ce  qu'alors  tu  voulais,  ce  qu'alors  tu  pensais, 
Est-ce  encore  ce  que  tu  veux,  ce  que  tu  penses?... 

Depuis  as-tu  soufTert?  As-tu  des  jours  mauvais 
Subi  la  dure  étreinte  et  fléchi  sous  le  faix? 
Et  les  ans  dont  je  fus  suivie, 
Dans  la  marche  du  Temps  vainqueur, 
N'ont-ils  rien  brisé  dans  ta  vie 
Et  rien  effacé  dans  ton  cœur?.    . 

Ton  cœur!  D'espoir  et  de  courage, 
D'enthousiasme  pur  lors  il  battait  son  plein; 
Et  le  soleil  de  ton  matin 
Promettait  un  jour  sans  orage... 

(f  C'était  le  printemps  dans  les  cieux  ; 
C'était  les  chansons,  la  Jeunesse, 
Dont  la  baguette  enchanteresse 
Transformait  le  monde  à  tes  yeux!... 

((  Hier,  le  rêve!  Aujourd'hui  la  prose! 
Le  rêve  qui  ment  :  fol  espoir! 
Mais  maintenant  il  ment  en  noir 
Et  jadis  il  mentait  en  rose...   » 

Ainsi  du  passé,  dans  les  rameaux  verts, 
Murmurent  les  voix,  chantant  à  l'oreille 
Leurs.chants  de  jeunesse,  hymnes  sans  pareille. 
Echos  du  printemps,  enivrants  concerts. 


YVES    DE    TREBRESSAN.  291 

Et  le  cœur,  soudain,  se  prend  à  renaître. 
Et,  se  ranimant  à  ce  souvenir, 
Rajeunis,  plus  forts,  et  plus  purs  peut-être, 
Les  yeux,  sans  effroi ,  fouillent  l'avenir. 

Et  l'étoile  encor,  dans  la  nuit  moins  noire, 
Scintille,  éclairant  le  ciel  de  ses  feux... 
Et  l'on  se  reprend  à  rêver,  à  croire 
A  des  jours  meilleurs,  à  des  jours  heureux. 

Aux  pensers  d'antan  notre  âme  ravie 
Aperçoit  encor  des  fleurs  au  chemin. 
Revient  à  l'espoir,  renaît  à  la  vie. 
Et,  pleurant  Hier,  compte  sur  Demain... 

Rêves  des  temps  passés,  souvenirs  de  l'enfance, 
Que  notre  cœur  vers  vous,  au  milieu  du  silence, 

Revienne  souvent! 
Vers  vous,  jours  enchantés,  aube  trop  tôt  ravie. 
Premières  fleurs  de  notre  vie 
Qui  s'effeuillent  au  premier  vent!... 


SORTIR  OU  RESTER 

Odi  profamim  vulgiis. 

GRANDE  nouvelle  !  on  dit  que  l'on  joue  au  théâtre 
Je  ne  sais  quelle  pièce,  et  tous  courent  la  voir.  .  . 
Moi,  je  me  trouve,  en  somme,  encor  mieux  près  de  l'âtre 
A  fumer  ma  pipe,  ce  soir. 

Pour  sortir,  il  faudrait  d'abord  que  je  m'habille  : 
Rien  ne  m'est  ennuyeux  à  l'égal  de  cela  ! 
Puis  marcher  dans  la  boue,  en  me  rendant  en  ville  : 
Être  mouillé,  crotté,  quand  j'arriverai  là. 


âÔâ  LE  pAtiNAssË  bueton  contemporain. 

Trouver  viogt  citoyens  qui,  vers  moi,  main  tendue, 
Viendraient  :  Que  faites-vous,  cher?  on  ne  vous  voit  plus. 
Répondre  à  tout  ce  monde  et  dans  cette  cohue 
Se  sentir  bousculer,  être  comme  perclus. 

En  pantoufles,  les  pieds  tendus  devant  la  flamme. 
Je  contemple  mon  chien,  qui  dort  à  mon  côté  ; 
Mille  chers  souvenirs  me  reviennent  à  l'âme 
Et  dans  des  rêves  d'or  je  me  vois  emporté. 

Quelquefois,  je  relis  alors  quelque  beau  livre  : 
Lamartine,  Musset,  Hugo,  surtout  Brizeux. 
De  leurs  songes  brillants  je  me  reprends  à  vivre 
Et  je  me  sens  meilleur  en  causant  avec  eux. 

Puis,  quand  je  les  ai  lus,  parfois  je  prends  la  plume 
Et  griflbnne,  au  hasard  de  mon  cœur,  quelques  vers. 
J'écris  sur  mes  genoux,  je  me  chauffe,  je  fume, 
Et  tant  pis  si  j'écris  ou  pense  de  travers. 

Puis,  quand  je  sens  mes  yeux  se  fermer,  je  me  couche 
Et  m'endors,  en  songeant  à  ceux  qu'aime  mon  cœur, 
Et  dont  les  noms  chéris  se  pressent  sur  ma  bouche 
Et  me  font,  en  dormant,  croire  en  rêve  au  bonheur. 


Désormais ,  qu'il  neige  ou  qu'il  vente  ; 
Pluie  ou  soleil,  froid  ou  chaleur, 
Mon  Ame  y  reste  indifférente  : 
11  fait  si  jjeau  temps  dans  mon  cœur. 


MARIE  DE  YALANDRE 

(MADEMOISELLE   MATIIILDE    CLARET   DE    LA  TOUCHE) 


UN  BAISER  SUR  LA   PAGE 


SI  je  meurs  avant  toi,  rouvre  parfois  ce  livre, 
A  cette  page  émue  où  je  mets  un  baiser; 
ïu  verras  dans  ces  vers  mon  amour  me  survivre, 
Et  mon  âme  sur  toi  reviendra  se  poser .  . . 

Enlacé  d'autres  bras,  grisé  d'autres  ivresses, 
Tourne  vers  le  passé  tes  regards  francs  et  clairs 
Et  souviens-toi  de  l'heure  où,  pleines  de  caresses , 
Nos  prunelles  dans  l'ombre  ont  croisé  leurs  éclairs. 

Ne  livre  pas  au  vent  les  ileurs  que  j'ai  cueillies, 
Ni  ces  feuillets  froissés  et  tant  de  fois  relus  ; 
Mais  prends-les  quelquefois  dans  tes  mains  recueillies, 
Et  que  ton  œil  se  plaise  où  mes  yeux  se  sont  plus. 

Et  si  l'oubli  te  vient,  rouvre  en  passant  ce  livre, 
A  cette  page  émue  où  je  mets  un  baiser; 
ïu  verras  dans  ces  vers  mon  amour  me  survivre. 
Et  mon  âme  sur  toi  reviendra  se  poser 


294        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 


A    LA   BRETAGNE 


MÈRE  des  cœurs  virils  où  vit  la  foi  robuste, 
Bretagne  âpre  et  mystique  aux  rochers  de  granit, 
Qui,  dans  le  pur  miroir  de  l'océan  aug-uste, 
D'un  œil  méditatif  contemples  Tlnfini, 
Je  n'ai  jamais  foulé  tes  landes  ni  ta  grève, 
Ni  respiré  ta  brise  à  l'arôme  puissant  ; 
Mais  je  suis  ton  enfant  par  l'amour  et  le  rêve  ; 
ïu  m'as  donné  ton  àme  en  me  donnant  ton  sang  ! 


LE   PIANISTE  AVEUGLE 


LA  valse  allait  mourir  sur  le  clavier  sonore  ; 
Mais  l'accord  expirant  se  ranimait  parfois, 
Tombait  et  renaissait  pour  retomber  encore. 
Et  l'instrument  divin  chantait  comme  une  voix. 

Or,  celui  qui  jouait  cette  valse  très  lente 

Où  les  phrases  d'amour  se  mêlaient  aux  sang-lots, 

Inclinait  tout  songeur  sa  tête  nonchalante, 

Car  ses  yeux  sans  regard  étaient  à  jamais  clos. 

Et  tandis  que  les  doigts  habiles  de  l'artiste 
Faisaient  vibrer  ainsi  l'air  aimé  des  heureux, 
Dans  la  nuit  de  son  âme  il  écoutait,  plus  triste. 
Des  échos  d'alentour  le  concert  langoureux  : 


MARIE    DE    VALANDRÉ.  29o 


Haleine  de  la  femme  et  frou-frou  de  la  soie, 
Parfums  mystérieux  qu'on  respire  au  sérail, 
Craquement  du  satin  sur  la  taille  qui  ploie, 
Cliquetis  des  bijoux,  soupirs  de  l'éventail. 

Vol  des  couples  légers  qui  glissent  en  cadence 
Entraînés  à  la  fois  dans  un  tourbillon  fou, 
Doux  serments  emportés  sur  l'aile  de  la  danse, 
Bruit  furtif  d'un  baiser  venu  d'on  ne  sait  d'où^ 

Tous  ces  accents  railleurs  s'unissaient  pour  lui  dire 
«  Que  sais-tu  du  bonheur,  toi  qui  n'es  pas  aimé  ? 
«  Tu  ne  connaîtras  pas  l'ivresse  d'un  sourire  ; 
((  Au  soleil  de  Tamour  ton  cœur  sera  fermé  ! . . .    » 

Et  pendant  qu'il  prêtait  Toreille  à  ce  murmure 
Lentement  sur  sa  joue  une  larme  glissa  ; 
Personne  ne  la  vit,  et  cette  larme  pure 
Vint  tomber  sur  l'ébène  où  sa  main  l'effaça. 

Mais  quand  le  lendemain,  du  bal  joyeux  lassées, 
Emportant  avec  vous  lombre  d'un  beau  valseur, 
Vous  avez,  repliant  vos  dentelles  froissées, 
De  cette  nuit  de  fête  évoqué  la  douceur. 

Femmes,  nulle  de  vous  n'avait  gardé  mémoire 
De  celui  dont  les  yeux  n'ont  pu  chercher  vos  yeux 
Et  qui,  le  front  penché  sur  le  clavier  d'ivoire. 
De  ses  trilles  perlés  a  couvert  vos  aveux. 


296 


LE    PARNASSE    BRETON    COMEMPORAIN. 


LES   CHEVEUX  DE   MA    MERE 

LE  soir,  quand  pour  dormir  elle  a  défait  ses  tresses 
Et  me  laisse  à  genoux  baiser  ses  cheveux  longs, 
J'aime,  en  les  renattant,  à  couvrir  de  caresses 
Les  premiers  fils  d'argent  éclos  dans  ces  fils  blonds. 

J'y  lis  tout  un  passé  de  soucis  et  de  crainte  ; 

J'y  vois  mes  maux  d'enfant  qui  l'ont  tant  fait  souffrir, 

Et  chaque  nuit  veillée  a  laissé  son  empreinte 

Sur  ce  front  adoré  que  le  temps  va  flétrir. 

Des  efforts  qu'elle  a  faits  pour  me  rendre  meilleure, 
Plus  vaillante,  plus  sage  et  plus  digne  d'amour, 
Pour  soulager  qui  souffre  et  consoler  qui  pleure, 
Chacun  de  ces  fils  blancs  me  représente  un  jour. 

Aussi  tous  les  joyaux  et  tout  l'éclat  d'un  trône 
La  rendraient  bien  moins  belle  à  mes  yeux  attendris. 
Bien  moins  chère  à  mon  cœur,  que  la  double  couronne 
De  sa  bonté  pensive  et  de  ses  cheveux  gris. 

C'est  pourquoi,  quand  le  soir  elle  a  défait  ses  tresses 
Qui  baignent  son  front  pur  de  leur  reflet  changeant, 
J'aime  à  compter  tout  bas,  par  autant  de  caresses. 
Entre  ces  fils  dorés  les  premiers  fils  d'argent. 


ROBERT  DE  LA  VILLEHERYÉ 


M 


LE  FLORENTIN  A  EEPEE 

AIGRE  comme  un  ardent  coureur  de  grands  chemins, 
Hàlé  par  les  soleils  qui  font ,  lors  des  batailles  , 


Fumer  le  sang-  aux  bords  déchirés  des  entailles 
Qu'en  sa  furie  ouvrit  son  épée  à  deux  mains , 


Le  Florentin  repose  en  sa  force.  Son  âme 

A  passé  tout  entière  au  regard  de  ses  yeux 

Immobiles  qu'emplit  un  rêve  audacieux 

De  combats  meurtriers  et  de  moissons  en  flamme  ! 

Il  n'a  d'autre  désir  ni  d'autre  espoir  au  cœur, 
Serviteur  des  courroux  ou  jaloux  des  estimes , 
Que  d'abattre  à  ses  pieds  de  livides  victimes , 
Sans  même  souhaiter  l'org'ueil  d'être  vainqueur. 

Que  lui  font  le  triomphe  et  les  pleurs  éphémères? 
Sa  joie  est  d'entasser  des  mourants  sur  des  morts. 
Gardez  vos  fleurs  pour  ceux  qu'étreignent  les  Remords 
Et  qui,  frappant  les  fils,  song-ent  qu'ils  ont  des  mères. 


298        LE  PARNASSE  BRETON  CONTEMPORAIN. 

Lui  n'a  pas  de  ces  vains  soucis  !  Calme  et  hautain , 
Il  va  dans  la  mêlée  et  se  jette  aux  tueries, 
Sans  hauberts  imbriqués ,  sans  cuirasses  fleuries, 
Car  il  sait  ce  qu'il  vaut ,  le  brave  Florentin  ! 

Qu'il  n'est  pas  de  ceux-là  que  le  nombre  épouvante  , 
Fût-il  seul  contre  dix,  contre  vingt,  contre  cent, 
Que  rien  ne  brisera  son  glaive  éblouissant. 
Et  que  la  Mort,  toujours  fidèle,  est  sa  servante. 

Aussi  regardez-le,  vêtu  de  noir,  front  nu. 
Les  mains  sur  le  pommeau  de  l'arme  inéluctable , 
Comme  l'Olympien  Ares  très  redoutable, 
Beau,  réellement  beau,  le  tueur  ingénu. 

Et  quand  vous  l'aurez  vu ,  pâle  de  l'espérance 
Que  bientôt  les  combats  anciens  continueront. 
Essayez  d'oublier  le  front  cruel,  le  front 
Magnétique  du  fier  meurtrier  de  Florence. 

Faites  pour  le  chasser  des  efforts  surhumains 
Et  fuyez  vers  le  ciel,  où  les  blancs  Dioscures 
Rêvent,  l'obsession  des  batailles  obscures 
Que  domine  le  vol  de  l'épée  à  deux  mains. 

Avec  ses  yeux  d'acier  luisant  comme  une  lame , 
Avec  sa  lèvre  mince,  où  se  tord  durement 
Sa  moustache,  sa  lèvre  au  pli  rude  et  dormant 
Et  qui  ne  rit  jamais  qu'à  Iheure  où  la  Mort  clame, 

Comme  un  spectre  entrevu,  la  nuit,  dans  la  vapeur, 
Vous  ne  l'oublierez  plus,  et  dans  votre  mémoire, 
Il  restera  debout  en  son  pourpoint  de  moire. 
Si  grand  que  l'on  admire  et  si  froid  qu'on  a  peur! 


ROBEai    DE    LA    VILLEHERVÉ.  299 


VIEUX  MAITRES 

NICOLAS  uteo  Zwane ,  àme  juste ,  occupée 
Du  ciel ,  et  que  la  Mort  éternelle  épouvante  , 
A  taillé  clans  la  pierre  une  image  vivante 
De  sainte  Barbe  ayant  clans  ses  deux  mains  l'Epée. 

Et  sous  sa  vitre  d'où  descend  une  échappée 
De  clair  azur,  avec  des  splendeurs  qu'il  invente 
Henri  de  Blés,  jeune  homme  admirable  et  qu'on  vante, 
Peint  l'étoffe  aux  longs  plis  dont  la  Vierge  est  drapée. 

Or  pour  parfaire  ainsi  des  robes  solennelles, 

Hélas!  il  a  laissé  vides  et  sans  prunelles 

Les  yeux  qu'il  faut  emplir  de  toute  la  lumière. 

Le  doute  alors  le  prend.  Mais  une  enfant  l'épie. 
Celle  cju  il  aime ,  elle  est  la  seule  et  la  première  ! 
Et  douce ,  elle  lui  dit  :   «  Voici  les  miens.  Copie  !  » 


DIZAIN  EN  L'HONNEUR  DE  LA  MÈRE  TANISSE 

So:n  nom,  Marie  ou  Thérèse,  il  n'importe. 
Elle  est  très  vieille,  et  vécut  si  longtemps 
Que  plus  un  être  aimé,  lorscju'à  sa  porte 
Elle  revient  du  bois  ou  des  étangs, 
Ne  lui  sourit,  lui  criant:  Je  t'attends, 
Et  pour  toujours  elle  est  seule,  6  torture! 
Mais  la  vaillante  et  bonne  créature 
Craint  le  repos.  Elle  dit  :  J'en  mourrais  , 
Et  bravement  s'absorbe  en  sa  couture 
Près  du  foyer  que  peuplent  ses  regrets. 


VICOMTE  HËRSAllT  DE  LÀ  YILLEMARQUÉ 


LA  PATRIE 

Sur  l'air  de  la  Tour  d'Armor 


DE  notre  Bretagne,  naguères 
Je  partais,  les  larmes  aux  yeux 
Je  la  retrouve  ici,  mes  frères, 
La  patrie  est  où  sont  les  dieux. 

Ma  patrie  I  elle  a  pour  emblème 
La  blanche  hermine  des  aïeux  ; 
Ma  patrie  est  où  l'on  s'entr'aime  : 
La  patrie  est  où  sont  les  dieux. 

Ma  patrie  est  où  l'on  n'encense 
Ni  l'or  ni  les  noms  odieux, 
Ni  la  plèbe  ni  la  puissance  : 
La  «patrie  est  où  sont  les  dieux. 

Ma  patrie  est  où  le  génie 
Ne  rencontre  pas  d'envieux  ; 
L'honneur  est  roi  dans  ma  patrie  ; 
La  patrie  est  où  sont  les  dieux. 


VICOMTE    HERSART    DK    LA    VlLLEiMARQUÉ. 


301 


Ma  patrie  est  où  chaque  tête 
S'élève  lil)re  vers  les  cieux  ; 
Dans  le  calme  et  dans  la  tempête, 
La  patrie  est  où  sont  les  dieux. 

A  toi,  noble  terre  bretonne, 
Bonheur  du  cœur,  charme  des  yeux, 
A  toi  la  gloire  et  la  couronne  ! 
La  patrie  est  où  sont  les  dieux. 


HIPPOLYTE  VIOLEAU 


LE  PRINTEMPS  DU  VIEILLARD 


DANS  un  de  ces  manoirs  aux  tourelles  gothiques, 
Débris  cliers  à  l'artiste,  au  poète,  au  penseur. 
Et  qu'un  affreux  démolisseur 
Renferme  et  transforme  en  fabriques, 
Aux  premiers  rayons  du  matin. 
Un  vieillard,  appuyé  sur  le  fds  de  sa  fdle. 
Promenait  vaguement  son  regard  incertain 
Du  perron  solitaire  à  l'horizon  lointain, 
Des  vergers  à  l'étang,  des  bois  à  la  charmille. 
Presque  nonagénaire,  et  les  yeux  obscurcis 
Par  tant  de  longs  hivers,  tant  de  larmes  peut-être, 
Il  voulait  contempler,  il  voulait  reconnaître 
Ce  qu'il  vit  tout  enfant  près  de  sa  mère  assis. 
Aymar  aidait  ses  yeux,  ou  plutôt  sa  mémoire  : 

—  Voyez  là,  devant  vous  !  Voyez  quelles  couleurs  ! 

Ce  lilas  dans  toute  sa  gloire. 
Ce  frais  lilas  chargé  de  parfums  et  de  fleurs  ! 

—  Des  fleurs  !  dit  le  vieillard  ;  la  saison  rigoureuse 
Touche  donc  à  sa  fin?  —  Père,  avril  est  passé  ; 

Le  printemps  est  bien  avancé  : 
Dans  peu  de  jours  la  fraise  savoureuse 
Aura  tout  son  carmin.  —  Eh!  quoi,  reprend  l'aïeul, 


HIPPOLYTE    YIOLEAL  .  303 


Ce  rayon  sans  chaleur,  sans  éclat,  sans  promesse, 
Que  j'aurais  cru  funeste  aux  bourgeons  du  tilleul. 
C'est  le  soleil  de  mai  si  beau  dans  ma  jeunesse  ! 

Le  printemps  ?  Mais  tous  les  oiseaux 
Arrivaient  avec  lui,  chantaient  sa  bienvenue, 
Le  rossignol  au  courant  des  ruisseaux, 

La  fauvette  dans  les  roseaux, 

Et  l'alouette  dans  la  nue. 
Ces  oiseaux  où  sont-ils  ?  Et  tes  fleurs,  tes  lilas 
Par  quel  suave  encens  leurs  grappes  embaumées 
Se  révélaient  au  loin,  même  où  je  suis  !...  Hélas  ! 
Que  me  veut  le  printemps,  puisqu'il  ne  me  rend  pas 
Le  soleil,  les  oiseaux,  les  brises  parfumées?..,  » 

Et  l'aïeul  attristé  retourne  à  son  fauteuil  : 

«  —  Enfant,  dit-il,  jouis  de  la  saison  nouvelle. 

Pourquoi  languir  ici  ?  Va,  ta  sœur  Isabelle 

De  ma  froide  prison  ne  franchit  plus  le  seuil. 

Ta  main  presse  ma  main,  tes  sanglots  me  répondent... 

Ta  sœur,  je  m'en  souviens,  moi  qui  ne  puis  mourir, 

Elle  est  sous  le  gazon  si  lent  à  recouvrir 

Ces  traits  flétris  que  tes  larmes  inondent. 
Elle  est  où  Dieu  m'appelle,  où  je  serai  demain, 
Où  l'immortelle  vie  après  la  délivrance 
M'attend,  belle  et  féconde,  au  terme  du  chemin, 
Au  but  que  tant  de  fois  rêva  mon  espérance. 
Ah  !  gémis  sur  ta  sœur  ravie  avant  le  temps  ! 
Pèlerin  fatigué,  dépouillé,  solitaire. 
Comme  elle  je  n'ai  plus  pour  regretter  la  terre 

Le  trésor  de  mes  dix-sept  ans. 
Sa  tâche  commençait  et  la  mienne  est  finie. 
Qu'avez-vous  à  m'offrir?  Un  hiver  éternel? 
Là-haut  sont  les  parfums,  les  rayons,  l'harmonie. 
L'impérissable  amour,  la  sève  rajeunie  : 
Le  printemps  du  vieillard,  le  printemps  n'est  qu'au  ciel. 


304  LE   PARNASSE   BMTON   CONTEMPORAIN. 

L'ADIEU  DE  LA    NOURRICE 

(hallade) 

yoici  l'heure  !  —  Au  seuil  de  ma  porte 
S'arrête  l'âne  du  meunier  ; 
A  ta  mère,  dans  son  panier, 
Pauvre  ange,  il  faut  qu'on  te  rapporte, 
Hélas  I  tes  frères  affligés, 
Autour  de  ton  berceau  rangés, 
Pleurent  et  ne  peuvent  comprendre 
Pourquoi  celle  qui  m'a  donné 
Son  petit  enfant  nouveau-né. 
Veut  aujourd'hui  me  le  reprendre. 

Va,  cependant,  va,  mon  chéri, 
Puisque  ta  mère  te  réclame  ; 
Va  réjouir  une  autre  femme 
Dont  le  sein  ne  t'a  point  nourri. 

Devant  le  fagot  de  bruyère 
Où  je  réchauffais  tes  pieds  nus. 
Avec  toi,  je  ne  viendrai  plus 
M'asseoir  au  foyer  sur  la  pierre. 
ïa  mère  prendra  soin  de  toi  ; 
Mais  saura-t-elle  comme  moi 
D'eau  bénite  asperger  tes  langes, 
Et  renouveler  chaque  soir 
Le  petit  morceau  de  pain  noir 
Qui  préserve  des  mauvais  anges? 

Va,  cependant,  va,  mon  chéri, 
Puisque  ta  mère  te  réclame  ; 
Va  réjouir  une  autre  femme 
Dont  le  sein  ne  t'a  point  nourri. 


y 


1    9  Wu 


PB  Tiercelin,  Louis 

2887  Le  Parnasse  breton  con- 

T5  temporain 


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